Le 2 juin 2008, Xavier Bertrand, alors Ministre en charge du handicap, et le chanteur aveugle Gilbert Montagné constataient que l’application de la loi de 2005 sur le handicap « exige des adaptations pour tenir compte de la spécificité des besoins de certains handicaps ». Ils annonçaient donc, haut et fort, l’adoption d’un plan 2008-2011 « pour une intégration pleine et entière des personnes aveugles et malvoyantes à la vie de la cité » (PDV). Les 22 mesures de ce plan avaient pour ambition de permettre à ces personnes d’exercer l’ensemble des droits reconnus à tous les citoyens et notamment ceux de vivre :
– dignement avec le handicap,
– de façon autonome,
– pleinement leur citoyenneté.

Nous y avons cru ! Comptant tant sur les engagements du Ministre que sur la notoriété du chanteur pour faire avancer les choses. Le 14 janvier 2009, un premier Comité de Suivi auquel la Confédération Française Pour la Promotion Sociale des Aveugles et des Amblyopes (CFPSAA) participait, se réunissait. Ce fut le seul !

Pour justifier leur inaction, nos interlocuteurs invoquèrent la crise économique, les changements de ministres et les lenteurs de l’Administration : rien que de faux prétextes. En fin d’année 2010, Gilbert Montagné quittait subrepticement son poste de Secrétaire de l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP) en charge du handicap, pensant peut-être se dédouaner ainsi de toute responsabilité.

Des lots de consolation !

Soyons honnêtes, reconnaissons que depuis trois ans l’audiodescription, l’accès aux livres, l’étiquetage des médicaments et des produits de consommation courante ont progressé, c’est sans doute parce qu’ils étaient sur la table bien avant la parution du PDV !

Les promesses ne sont que du vent !

Nous ne reprendrons pas ici les 22 mesures attendues, financées, en un mot promises dans un délai de 3 ans. Les plus emblématiques devaient permettre aux quelques 60.000 personnes aveugles et aux 270.000 malvoyants profonds de « vivre mieux avec leur handicap ». Rien n’a été fait, elles devront « continuer à galérer », tout simplement. Citons les déceptions les plus criantes :

– Améliorer la prise en charge des personnes âgées qui deviennent malvoyantes: mesure 7. Bien au-delà de la simple application du PDV, cette amélioration aurait dû résulter de la mise en œuvre de la loi 2005 sur le handicap qui prévoit sans ambiguïté la disparition totale des barrières d’âge pour l’attribution de la Prestation Compensatrice du Handicap (PCH), dans un délai de cinq ans après la promulgation de la loi. L’Etat, pourtant garant de cet engagement, refuse de s’y soumettre. Pire, une Ministre n’hésite pas, lors de réunions publiques, à menacer les personnes handicapées de perdre leurs avantages si elles persistent à réclamer l’entrée en vigueur de ce texte. La CFPSAA a déposé un Recours pour Excès de Pouvoir devant le Conseil d’Etat en juin 2010.

– L’emploi des déficients visuels, tant au sein des Administrations que des entreprises privées, (mesure 11) n’a jamais été aussi catastrophique: l’Etat se désengage vis-à-vis des organismes créés pour faciliter l’emploi des personnes handicapées. L’inaccessibilité de la plupart des sites publics et de certains logiciels libres utilisés sur les lieux de travail freinent l’embauche et même le maintien dans l’emploi des déficients visuels. Depuis 2005, les employeurs préfèrent, pour respecter la loi, engager des personnes atteintes d’un handicap léger, ce qui exclut, de fait, aveugles et malvoyants profonds. Au lieu de progresser, on recule !

– En matière d’accessibilité, si l’on constate une certaine amélioration de la sécurité dans les transports pour les déficients visuels (mesure 14) grâce à l’application de normes européennes et à l’engagement de certains partenaires (SNCF, RATP…), il n’en va pas de même pour les aménagements de la voirie et des espaces publics: la multiplication de pistes cyclables à contresens dans les rues à sens unique, et de celles qui, de plus en plus souvent, empruntent les trottoirs, aggrave encore nos difficultés de circulation. Mais une menace plus sérieuse se profile: depuis plus d’un an, la CFPSAA s’investit pour sensibiliser les Pouvoirs Publics et les constructeurs de véhicules électriques à la nécessité de sonoriser ces derniers, faute de quoi les personnes aveugles qui se repèrent au son du flot du trafic risquent de ne plus pouvoir circuler seules.

– Rien de fait non plus dans le domaine de la formation d »instructeurs en locomotion (mesure 15) et d’éducateurs en activité de la vie journalière (mesure 18), autant de vœux pieux, sans le moindre début de commencement d’action pour aller dans ce sens. si ce n’est un dossier que prépare la CFPSAA pour demander l’inscription de ces professions au Répertoire national des certifications professionnelles, il lui en a déjà coûté plus de 20.000€ !

– Encourager le recours à une aide animalière : mesure 5. Bien que 150.000€ aient été prévus pour réaliser cette mesure, elle est restée lettre morte. Faute d’information, les professionnels refusent encore de laisser le maître et son chien accéder à tous les lieux publics; la commission chargée de labelliser les écoles de chiens guides, et ainsi de garantir la qualité de la formation de l’animal, ne s’est plus réunie depuis le 5 juin 2009, elle devait le faire au moins une fois par an; la seule campagne d’information sur le sujet a été initiée, sans aucune aide publique, par une association membre de la CFPSAA.

– Les appareils de la vie quotidienne vocalisés (mesure 17) se comptent toujours sur les doigts de la main, et les 114.000€ prévus pour améliorer ce secteur se sont volatilisés! Gageons qu’ils n’ont pas été perdus pour tout le monde !

– Améliorer l’accès aux aides techniques (mesure 4). Un monopole à la limite de la légalité maintient les prix des aides techniques à un niveau inacceptable de sorte que les fonds départementaux de compensation, lorsqu’ils existent encore, ne peuvent atténuer le « reste à charge » financé par les utilisateurs. Un logiciel Jaws coûte plus de 1.500€, une plage braille quelques 5.000€, le montant de la PCH pour financer ces aides est limité à 3.960€ sur une période de 3 ans. Le PDV n’a rien changé.

– La mesure 22 prévoyait enfin de « mettre Internet au service de l’autonomie des personnes déficientes visuelles »: c’est hélas, de plus en plus souvent, le contraire qui se produit. Les sanctions prévues à l’encontre des contrevenants publics ou privés aux dispositions législatives régissant l’accessibilité des sites se sont transformées en simples incitations, ôtant ainsi toute portée à ces dispositions. Les sites publics (CNAF, Pôle Emploi…) restent inaccessibles, les logiciels (Open Office) très employés dans la Fonction Publique demeurent inutilisables par les déficients visuels malgré nos demandes réitérées auprès du Ministre en charge de ce secteur.

Privés de gâteau !

Dans ces conditions, les 31 associations qui composent la CFPSAA ont unanimement décidé de ne pas fêter, ce 2 juin, un anniversaire aussi désastreux. Xavier Bertrand et Gilbert Montagné seront privés de gâteau, mais surtout les déficients visuels, une fois encore, ne pourront que constater qu’on les a payés de mots! Pour la CFPSAA, le constat est amer et le temps des naïvetés passé. Cet échec pèsera sur la Conférence Nationale du Handicap du 8 juin prochain en présence du Président de la République, mais aussi et surtout dans les mois qui viennent qui, n’en doutons pas, seront riches en promesses.


Philippe Chazal, Président de la CFPSAA, juin 2011.


Note : Le ministère chargé des personnes handicapées a publié le 1er juin dernier son propre bilan du plan handicap visuel.

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