Si le Gouvernement laisse faire, la France sera dotée dans quelques mois d’une loi de discrimination locale, résultat de la proposition que le sénateur UMP du Loiret, Eric Doligé, vient de déposer au Sénat. Ce texte lui a été demandé par le Président de la République, Nicolas Sarkozy, afin de simplifier et alléger les normes réglementaires que les communes, départements et régions doivent mettre en oeuvre. Le souci semble légitime, tant la réglementation est devenue complexe et imbriquée, mais à qui la faute ? Qui impose au Parlement de voter des textes de loi sur tout et sur rien ? L’Administration est priée de suivre un rythme effréné pour écrire et suivre l’application des textes réglementaires découlant de lois de circonstances, adoptées à la va-comme-je-te-pousse. Ajoutez à cela la multiplication de Haut-Conseils, comités consultatifs ou de concertation locale et autres machins à réunionite aiguë et vous obtenez un maelstrom dont il devient subitement urgent d’émerger…

La proposition de loi Doligé, cinquième du genre en moins de deux ans, dépasse le simple piétinement de l’accessibilité à tout pour tous, elle autorise les élus locaux à déroger à toutes les normes réglementaires dès lors qu’elles les dérangeraient ! Cette déréglementation est dans l’air du temps, au nom de la stimulation des initiatives et de l’activité économique. Pourquoi pas, après tout : trop de réglementation tue la réglementation. Sauf qu’une fois de plus, les cibles sont essentiellement sociales et environnementales : la loi Doligé vise clairement les personnes handicapées, les enfants de « pauvres » qui fréquentent les cantines scolaires ou sont placés chez des assistants maternels, les « indigents » qui survivent grâce aux aides des Centres Communaux d’Action Sociale. Le sénateur du Loiret propose que les élus locaux soient seuls juges de ce qu’ils mettront ou pas en accessibilité, qu’ils puissent déroger aux règles de qualité des repas des cantines, aient le droit de supprimer leur CCAS, être moins regardants sur l’agrément des familles d’accueil. Sans surprise hélas, d’autres révisions de normes réglementaires portent sur le foncier et la construction immobilière, ouvrant une capacité nouvelle de bâtir n’importe quoi n’importe où, fut-ce sur un site archéologique; on caricature à peine.

Le texte Doligé offre en quelque sorte une « prime à l’inaction » ou la mauvaise volonté d’élus locaux qui n’ont pas entrepris la mise en oeuvre de la loi du 11 février 2005. Bien des communes trainent d’ores et déjà des pieds pour réaliser le diagnostic d’accessibilité de leurs établissements recevant du public, peu d’entre elles ont réalisé un Plan de mise en accessibilité de la voirie et des espaces publics, plus de la moitié des collectivités territoriales n’ont pas établi de schéma directeur d’accessibilité des transports. En ouvrant un droit à dérogation, les élus de ces communes pourraient tout naturellement régulariser leur passivité, et poursuivre une politique (plus ou moins exprimée) d’exclusion des personnes handicapées sans risque de poursuites.

Cette proposition de loi, déposée en pleine campagne pour les élections sénatoriales, contient 33 articles très techniques, réformant de nombreuses dispositions de multiples codes. Notre Sénateur est censé l’avoir rédigée entre le 16 juin (date à laquelle le Président de la République lui a demandé de traduire un rapport de simplification des normes en proposition de loi) et le 4 août (date de dépôt du texte au Sénat). Alors même que le Monsieur Doligé était en vacances courant juillet…

Une de fois de plus, un sénateur porte un texte de loi émanant du Gouvernement et de la haute administration, manoeuvre néanmoins éventée par le Président du Sénat, Gérard Larcher, qui a décidé, tout UMP qu’il soit, de soumettre la proposition de loi à l’avis du Conseil d’État. En effet, si cet examen préalable auprès d’une instance de vérification de la conformité au droit est obligatoire pour un projet de loi d’initiative gouvernementale, il n’existe pas pour une proposition de loi déposée par un parlementaire. Et cette voie d’élaboration législative permet également de s’abstraire de toute concertation et avis d’organes tel que le Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées. Mais en utilisant pour la première fois un droit de saisine du Conseil d’État créé par la réforme constitutionnelle de juillet 2008, le Président du Sénat contrarie une opération qui aurait été rondement menée : la création d’une République à géométrie variable selon l’humeur ou les desiderata d’élus locaux.

Laurent Lejard, septembre 2011.

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