En ce mois de janvier 2012, le concours est lancé entre « La grande vadrouille » et « Intouchables » ! Qui va réussir le plus grand nombre d’entrées ? Comme beaucoup d’autres, je ne participerai pas à ce grand élan collectif, qui pousse d’immenses foules dans les salles obscures, pour une raison simple : je suis sourd et, comme tous les films français et malgré la multiplication des salles équipées de matériel de projection numérique, ce film n’est pas proposé avec sous-titrages. Selon des informations qui ont circulé dans le réseau sourd, il y « aurait eu » une projection sous-titrée à Toulouse… C’est un peu loin de Paris, Lille ou Marseille, juste pour voir un film !

Ainsi, comme « La Grande Vadrouille » et « Bienvenue chez les Ch’tis » en leur temps, « Intouchables » ne touchera pas les Sourds. Ainsi, alors même qu’ils sont de grands amateurs de cinéma (car ils sont des « visuels » et que le cinéma et la langue des signes partagent la même grammaire, celle des communications visuelles), et alors même que le cinéma français soit l’un des rares qui ait survécu à l’impérialisme américain, les Sourds sont privés de la culture de leur pays.

La mode des rétrospectives s’étant emparée des « étranges lucarnes » désormais largement sous-titrées grâce à la loi 2005-102, que nous aurons mis seulement un quart de siècle à obtenir (le sous-titrage est apparu vers 1980 et, en 2000, il n’excédait guère 10 % des émissions), nous avons enfin pu découvrir de nombreux talents inconnus dans le monde sourd : ColucheGuy Bedos et tant d’autres, sans oublier, comme leur nom l’indique, « Les Inconnus« .

Quant au film « Intouchables », ne l’ayant pas vu je me garderais de le critiquer. Toutefois, je m’interroge sur l’effet qu’il aura sur le grand public, car, inévitablement, il aura un effet. Avec des dizaines de millions d’entrées, c’est un « phénomène de société » dont les Sourds sont, encore une fois, tenus à l’écart. Certes, ce n’est qu’une comédie, une histoire, un conte de fées… du « cinéma » en un mot ! Nous pourrions nous réjouir que le grand public s’intéresse, enfin, aux personnes en situation de handicap. Mais ce film ne dit rien sur leur vraie vie. Comme les poissons volants, les utilisateurs de fauteuils roulants qui roulent en Maserati ne sont pas la majorité du genre !

Depuis trente ans, nos associations de sourds ou de malentendants ont dû lutter contre l’idée reçue qu’un « handicapé » est forcément une personne en fauteuil roulant. Qu’il existe des dizaines d’autres cas ne vient pas à l’esprit. Le succès de ce film risque de renforcer encore ce lieu commun et de détruire trente ans d’efforts et d’explications sur la diversité des situations de handicap. Les intouchables, les « vrais », ne sont pas ceux que l’on voit au cinéma, ce sont ceux qui ne peuvent pas y aller ! « Pas de bras, pas de chocolat », pas d’oreilles, pas de film français !


Marc Renard Président de l’association 2AS, janvier 2012.

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