Lors des récents Etats généraux de la démocratie territoriale, le Président de la République a annoncé que « les départements se verront confier l’ensemble des politiques du handicap et de la dépendance, hors du champ de l’assurance maladie ». Le lancement par le Chef de l’Etat de l’acte III de la décentralisation est un coup dur porté aux personnes handicapées.

D’abord parce que, contrairement aux autres sujets menés par le nouvel exécutif, aucune concertation n’a eu lieu avec les représentants des personnes concernées. Coup dur ensuite car la décentralisation n’est pas sans effet sur les personnes handicapées. Ainsi, la décentralisation intervenue dans les années 80 a généré des disparités importantes de traitement d’un département à un autre. Dans près d’une vingtaine de départements, les personnes handicapées sont amenées à participer financièrement, à des niveaux plus ou moins importants, à leur accompagnement. Dans les autres, ces frais sont pris intégralement en charge par l’aide sociale départementale. L’offre de service est inégalement répartie sur l’ensemble des départements. Cela ne signifie par pour autant que tous les départements sont mauvais, certains d’ailleurs étant tout à fait exemplaires. Le problème est l’inégalité de traitement que toute décentralisation entraine en raison de l’autonomie des collectivités territoriales qui ne permet plus à l’Etat de jouer son rôle de régulateur dans les compétences transférées.

L’impact pour les personnes handicapées de la décentralisation telle qu’annoncée par le Président de la République serait considérable car il s’agirait de transférer l’ensemble de la politique du handicap, hors champ de l’assurance maladie. Cela représente environ 11 milliards d’euros, soit près du double des dépenses actuellement consacrées par les départements aux personnes handicapées. Un tel transfert concerne l’avenir de 20.000 salariés handicapés des entreprises adaptées, de 120.000 travailleurs handicapé en Etablissement et Services d’Aide par le Travail (ESAT, ex CAT), de 700.000 majeurs sous tutelle ou curatelle et de près d’un million de bénéficiaires de l’Allocation aux Adultes Handicapés (AAH). Ce sont les personnes les plus vulnérables parmi nos concitoyens qui seront ainsi impactées. Cette décentralisation « au profit » des conseils généraux paraît traduire la volonté de l’Etat de se désengager de la politique du handicap. L’Etat ne jouerait plus aucun rôle dans l’égalité de traitement des personnes handicapées.

Le transfert d’une telle charge financière aux départements, eux-mêmes en grandes difficultés budgétaires, comporte par ailleurs de nombreux risques. En effet, compte-tenu des tensions importantes pesant sur les budgets des Conseils Généraux, quelles seraient les garanties pour que les sommes transférées soient bien affectées par les départements à la politique du handicap et non à un autre objet ? Pour ce qui concerne les ESAT, quelles seraient alors les garanties qu’ils se développent de manière égale d’un département à un autre ? Pour les établissements existants, quelles seraient les garanties que les budgets évoluent de la même manière et, par delà, quelles garanties d’un accompagnement de qualité égale ?

Pour ce qui concerne l’AAH, quelles seraient les garanties que le département n’exige pas d’être seul décisionnaire pour son attribution ? Déjà, des disparités de traitement sont observées pour l’attribution de la Prestation de Compensation du Handicap. Lors de la précédente mandature, les associations représentatives des personnes handicapées s’étaient vigoureusement opposées à ce que le financeur puisse décider seul de l’attribution de l’AAH. Compte-tenu de l’opposition vigoureuse de l’ensemble des associations, le précédent Président de la République, Nicolas Sarkozy, avait dû finalement renoncer à cette perspective en l’annonçant lui-même lors de la dernière Conférence Nationale du Handicap, le 8 juin 2011. Il est pour le moins surprenant que l’actuel Chef de l’Etat veuille reprendre une mesure que son prédécesseur avait dû lui-même abandonner !

Pour autant, les associations mesurent parfaitement les contraintes qui pèsent actuellement sur le budget de l’Etat. Toutefois, elles ne peuvent admettre que la politique du handicap puisse être principalement fondée sur la logique de réduction des déficits de l’Etat. L’Unapei et les 600 associations qu’elle fédère demandent donc au Chef de l’Etat d’ouvrir la concertation avant de prendre des décisions qui peuvent avoir de tels impacts sur l’avenir des personnes handicapées et de leurs familles.


Thierry Nouvel, Directeur Général de l’Unapei, octobre 2012.

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