La pilule a visiblement été tellement difficile à avaler par les sénateurs UMP qu’ils se sont abstenus d’approuver la proposition de loi du groupe socialiste établissant la gratuité du stationnement automobile pour les véhicules arborant la carte européenne de stationnement délivrée aux personnes handicapées. Il faut revenir au débat sénatorial du 7 octobre dernier pour comprendre cette politicaillerie : ce jour-là, lors de l’examen de la dépénalisation du stationnement introduite dans le projet de loi sur la métropolisation, le sénateur UMP de la Manche et ancien ministre des personnes handicapées (2005-2007) Philippe Bas défend un amendement instaurant la gratuité du stationnement automobile sur les emplacements de voirie pour les titulaires de la carte de stationnement. Le Gouvernement s’y oppose, par la voix de la ministre de la Réforme de l’État, de la Décentralisation et de la Fonction publique, Maryslise Lebranchu, qui préfère laisser le soin à chaque collectivité territoriale d’adopter cette exonération. Mais on savait déjà le 7 octobre que le groupe socialiste du Sénat avait déposé une proposition de loi instaurant cette gratuité, sur les seuls emplacements réservés, et que ce texte viendrait en débat quelques semaines plus tard.
Et nous y sommes, sauf que lors de l’examen du texte en commission, l’exonération de paiement a été étendue à tous les emplacements de voirie. Le texte présenté en séance le 12 décembre au Sénat est de portée identique à celui de l’amendement UMP du 7 octobre, sauf que cette fois il est porté par les sénateurs du Parti Socialiste. Ce seront eux qui pourront dire aux citoyens qu’ils ont obtenu ce nouveau droit pour les personnes empêchées dans leurs déplacements du fait de leur handicap. Quitte à susciter l’amertume des sénateurs UMP qui ont invoqué la préservation des recettes des « pauvres » sociétés privées exploitant des parkings pour enfouir ainsi leur frustration dans l’abstention. Sociétés qui, dès lors que le parking qu’elles exploitent dessert un Etablissement Recevant du Public devront consentir la gratuité comme l’a précisé le rapporteur du texte, Ronan Kerdraon, au moyen d’un arrêt de la Cour de Cassation du 8 décembre 1982 qui avait jugé que « les voies et les parkings desservant les ERP font partie des lieux de stationnement ouverts au public pour lesquels les autorités compétentes peuvent réserver et aménager des emplacements destinés aux personnes titulaires de la carte de stationnement. Par conséquent, ces voies et parkings sont bien concernés par l’application du principe de gratuité et de non-limitation de la durée du stationnement. »
Ce 12 décembre, le Gouvernement ne pouvait pas s’opposer à la proposition de loi défendue par les sénateurs de sa majorité, aussi la ministre déléguée aux personnes handicapées, Marie-Arlette Carlotti, a-t-elle approuvé a minima, émettant « un avis de sagesse sur ce texte » après avoir modéré la disposition : « Le principe de la gratuité des places de stationnement pour les personnes titulaires d’une carte européenne de stationnement me paraît justifié, pour des raisons qui ont trait non pas à la discrimination, mais à la compensation d’un handicap. » La ministre s’est d’ailleurs bien gardé de publier un communiqué saluant un nouveau droit dont elle a estimé le manque à gagner pour les collectivités locales entre 16 et 21 millions d’euros, sur un budget global de plus de 96 milliards.
Lors du débat, le risque d’une explosion de la fraude au moyen de cartes contrefaites a été invoqué, sans que le responsable en soit clairement désigné. Ce risque résulte du laxisme de l’État qui n’a pas saisi l’occasion de la mise en place, à partir de 2001, de la carte européenne de stationnement pour éditer un document sécurisé. On le sait, la contrefaçon des anciens macarons GIC était endémique, sans avoir suscité d’action préventive des gouvernements successifs. Et depuis 2003, les sept ministres successifs en charge du handicap ont tous été saisis du problème, tous ont répondu s’y atteler, et six ont été remerciés avant d’avoir agi. Ce mouvement perpétuel s’arrêtera-t-il avec la septième ministre ? Rien n’est moins sûr, la sécurisation de la carte de stationnement nécessite d’élaborer un document fiable et d’investir dans plus d’une centaine de matériels pour les éditer, au moins un équipement pour chaque département, ce qui coûtera cher. Or, la tendance est aux économies, fussent-elles sur le dos des personnes handicapées, sur cette question comme sur d’autres.
Enfin, du côté de certaines associations nationales on ne se réjouit guère de l’émergence d’un nouveau droit. Bien sûr, la vieille doctrine de l’Association des Paralysés de France en vertu de laquelle « les personnes handicapées doivent payer leur stationnement comme les autres » est piétinée par les sénateurs aujourd’hui et le sera demain par les députés. Pour sa part, la FNATH exécute un grand écart, saluant « un grand pas pour ‘les petits soucis du quotidien’, un petit pas pour la politique du handicap » tout en étalant une kyrielle de conséquences négatives : mesure relevant de la charité, renforcement des fraudes, augmentation des demandes de carte de stationnement face au nombre insuffisant de places adaptées disponibles. Le Parlement va donc encore légiférer contre les desiderata de certaines associations nationales, mais pour la grande satisfaction des automobilistes handicapés qu’elles n’ont jamais vraiment écoutés ni défendus.
Laurent Lejard, décembre 2013.