En ce dixième anniversaire de l’instauration du jour férié travaillé non payé (Contribution Solidarité Autonomie dans le jargon officiel), la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA) a tenu à publier un récapitulatif de cette action imposée aux salariés. Ce rétablissement de la corvée supprimée en août 1789 pendant la Révolution a rapporté plus de 23 milliards d’euros en dix ans, qui devaient initialement être employés à financer les aides à domicile pour les personnes handicapées ou âgées dépendantes. Mais dès la mise en place de la CNSA, on a compris que moins de la moitié de la collecte annuelle financerait ces aides, la plus grande part revenant aux établissements médico-sociaux pour combler le désengagement progressif et régulier d’un Etat qui impose toutefois ses règles.
Le résultat est visible : la Prestation de Compensation du Handicap et l’Allocation Personnalisée d’Autonomie ne couvrent qu’une partie des besoins des bénéficiaires, et la doctrine qui leur est appliquée maintient le « reste à charge », comme si les personnes handicapées ou âgées en perte d’autonomie étaient personnellement responsables de leur état et devaient par conséquent en subir l’impact financier. Alors que les politiciens de 2003 avaient raconté aux travailleurs de ce pays qu’ils financeraient par solidarité la vie douillette à domicile des plus vulnérables des Français (dont 15.000 avaient été fauchés par une canicule pendant les vacances des ministres), voilà ces derniers contraints de payer de leur poche le « prix de leur handicap ». Ces aides sont par ailleurs attribuées sous conditions drastiques, au terme d’une procédure complexe d’une année en moyenne, ce qui conduit de nombreuses personnes handicapées à faire financer leurs aides techniques par des associations dédiées ou des actions de solidarité reposant sur la charité privée. Pour les personnes âgées dépendantes, la situation est pire puisque le versement de l’APA au titre de l’aide humaine est subordonné au paiement effectif du « reste à charge » : si trois heures par jour sont accordées dont deux financées, celles-ci ne seront payées que si la troisième l’est de la poche du bénéficiaire ! Cette contrainte n’est imposée aux personnes handicapées que pour l’aménagement du logement, du véhicule, ou les aides techniques.
Ce constat est parfaitement connu des grandes associations nationales supposées défendre les intérêts des personnes handicapées et qui siègent au Conseil de la CNSA. Au gré des ans, elles en approuvent ou pas le budget et le résultat comptable, font un communiqué par-ci par-là et continuent à gérer la pénurie institutionnelle. De leur côté, les présidents de Conseils Généraux ne cessent de dénoncer la part croissante de financement complémentaire de la PCH et de l’APA que leur budget doit consacrer, alors que la loi établissait une parité entre le financement Etat-CNSA et Départements. Leur contestation sera réglée d’ici 2020 par la suppression de ces collectivités territoriales. Dix ans après la création de la Contribution Solidarité Autonomie, qui est depuis avril 2013 également prélevée sur les pensions de retraite et d’invalidité (un comble !), le résultat est là : la corvée a permis à l’Etat de faire des économies budgétaires tout en donnant aux citoyens l’illusion de soutenir les personnes handicapées ou âgées.
Laurent Lejard, juin 2014.