Le 3 novembre dernier, le Gouvernement a obtenu de l’Assemblée Nationale, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2015 (PLF), 58 millions d’euros de transferts de charges au détriment des aides à l’emploi des travailleurs handicapés. Il les a littéralement « piqués » dans les réserves financières de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées (Agefiph) et du Fonds d’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP). Et si le Gouvernement a concédé 7 millions d’euros pour financer 500 nouvelles aides au poste en Entreprises Adaptées, c’est en puisant dans la ligne budgétaire qui finance les maisons de l’emploi.
Ce détournement était partiellement connu depuis début septembre, lorsque le ministre chargé de l’Emploi, François Rebsamen, avait informé la direction de l’Agefiph, par simple lettre et sans concertation, d’une ponction de 29 millions via le PLF. Face à la faiblesse des réactions, limitées à une poignée de communiqués, le ministre a donc récidivé son vol en déposant devant les députés, deux minutes seulement avant qu’ils soient amenés à l’examiner, un amendement étendant la même ponction au FIPHFP : « Il s’agit d’un amendement important, a justifié François Rebsamen en séance, car il minore de 29 millions d’euros les dépenses faites sur le budget du ministère de l’Emploi au titre des emplois aidés. Cette minoration résulte de la mise en place d’une contribution du Fonds d’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique. » Ce que le président de l’Association des Paralysés de France, Alain Rochon, qui fut jusqu’à sa retraite haut-fonctionnaire au ministère des Finances, qualifie de « racket budgétaire » en rappelant qu’il avait maintes fois assisté à ce genre de prédation. Ces ponctions seront réalisées au moins pendant trois ans, ce qui fera disparaître au total 174 millions d’euros d’aides à l’emploi des travailleurs handicapés alors que le chômage de ces derniers a doublé en 6 ans pour atteindre 423.000.
Au prétexte de la crise économique, le financement des aides à l’emploi des personnes handicapées n’a cessé de régresser : baisse constante du produit de la contribution des entreprises qui n’atteignent pas le quota légal de 6% de travailleurs handicapés, transfert de charges du gouvernement Fillon en 2010 entrainant une perte annuelle de budget de 110 millions d’euros d’aides, 44 millions économisés dans le budget de l’Etat avec l’arrêt en 2013 du plan de création de 10.000 places en Etablissements et Services d’Aide par le Travail. L’actuel gouvernement a également annoncé son intention de réduire le nombre de bénéficiaires de l’Allocation aux Adultes Handicapés au titre de la restriction substantielle et durable d’accès à l’emploi, cette prestation étant payée par l’Etat, pour les expédier vers le RSA financé par les départements.
Alors que le chômage de l’ensemble des salariés continue à augmenter, le budget 2015 se contente de maintenir les moyens alloués à Pôle Emploi que tous les observateurs considèrent comme très insuffisant. Or le Comité Interministériel du Handicap du 25 septembre 2013 a décidé de revoir les critères d’orientation vers les services Cap Emploi, spécialisés dans le soutien et l’aide au retour au travail des chômeurs handicapés, afin que seuls ceux qui sont les plus éloignés de l’emploi puissent être ainsi pris en charge. Si ce projet est mis en oeuvre, les travailleurs handicapés licenciés ou arrivant sur le marché du travail risquent de poireauter à Pôle Emploi sans conseil ni soutien efficace, le temps d’en faire des « travailleurs éloignés de l’emploi »… pris en charge par les Cap Emploi. De son côté, l’Agefiph confrontée à la baisse de ses ressources réduit le nombre et le montant des aides aux travailleurs handicapés, qui constituent ainsi la « variable d’ajustement » et sont les victimes finales de cette véritable politique de pillage.
Quand un simple justiciable se sert dans la poche d’un autre, il est puni. Mais aucune sanction n’est jamais infligée à un ministre lorsqu’il finance l’action de son périmètre ministériel en se servant de l’argent d’une association chargée d’un service public. Aujourd’hui comme hier, les voleurs sont au Gouvernement, où ils bénéficient de l’impunité la plus totale.
Laurent Lejard, novembre 2014.