François Hollande s’est parfaitement sorti de la troisième Conférence Nationale du Handicap, qu’après un premier report en juin et moult atermoiements il avait finalement décidé de réunir en son palais de l’Élysée. Une idée de génie pour annihiler toute protestation, alors que sous son impulsion le gouvernement conduit une véritable politique d’exclusion sociale et professionnelle des personnes handicapées tout en affirmant le contraire, et le résultat est là : pas un mot plus haut que les autres de la part des intervenants, aucune contestation émanant d’une assistance soigneusement choisie, un déroulé de table-rondes déjà vues et entendues enfilant les propos sur le mode  » y’a qu’à faut qu’on ». L’ordre régnait d’autant plus que les policiers et gardes du corps étaient très présents pour maintenir les participants à leur place, l’un d’eux déambulant sans même prendre la peine de masquer l’arme accrochée à sa ceinture ! Même pour aller dans l’unique WC accessible (mais pas aux normes : la cuvette dépasse de 20% la hauteur maximale de 50cm, la barre relevable de transfert tenant au mur par miracle), une « assistante » tenait compagnie et restait devant la porte !

Dans ce cadre pesant, la CNH a déroulé cinq table-rondes en moins de deux heures, juste de quoi, pour quelques dirigeants associatifs, risquer quelques critiques sur un ton feutré, faire valoir les quelques ministres présents, et applaudir le Président qui intervenait dans la dernière de ces tables-rondes pour faire « proche des préoccupations du peuple ». Il lui revenait de clore la conférence, et c’est avec un discours contenant de multiples erreurs et approximations qu’il a officié. « La loi de 2005 […] a été votée dans ce qu’on appelle un large consensus » : faux, tous les parlementaires de l’opposition de gauche, dont les socialistes (et parmi eux François Hollande !) ont voté contre. La réforme des retraites « a été l’occasion de développer le départ anticipé des travailleurs handicapés » : faux encore; élaborée il y a onze ans par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin sous la présidence de Jacques Chirac, étendue en 2010 aux travailleurs reconnus handicapés par le gouvernement de François Fillon, elle a été réformée en janvier 2014 par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault qui a réduit ce droit aux seuls invalides à 50%, privant ainsi de nombreux salariés concernés.

« Dans le budget 2015, il y aura une progression de 20% des aides aux établissements et services d’aide par le travail et aux entreprises adaptées » : faux toujours, la dotation aux ESAT progresse de 1,5% avec gel du plan de créations de places annoncé en 2008 par le précédent Président de la République lors de la première CNH, et celle des Entreprises Adaptées de 2,3% pour financer 500 nouvelles aides au poste. « Nous avons dégagé des crédits permettant de pérenniser les 28.00 postes d’accompagnants d’élèves en situation de handicap. Nous leur avons proposé des contrats plus longs » : en partie faux; leur pérennisation en Contrats à Durée Indéterminée lancée à la rentrée de septembre sera étalée jusqu’en 2020, les personnels concernés devant parvenir au terme de six ans de contrats précaires, « une période d’essai de 6 ans, du jamais vu ! », s’était exclamée à l’époque l’Union Nationale pour l’Avenir de l’Inclusion Scolaire, Sociale et Éducative…

Que retenir de cette Conférence ? La publication dans les six mois du « rapport prévu par la convention internationale de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées que notre pays a signée en 2007 et qu’il a ratifiée en 2010. » C’est-à-dire avec plus de trois ans de retard sur l’échéance. « Tous les bâtiments publics qui sont réalisés par l’Etat doivent être accessibles et les bâtiments anciens doivent être prioritairement rénovés dans ce sens » : ce n’est toujours le cas du siège de la Présidence de la République, obligeant à installer dans la cour, au milieu du perron, un élévateur provisoire peu fonctionnel. « [Les] grandes compétitions sportives, 2015 l’Euro de basket, 2016 l’Euro de football, toutes ces villes ont fait en sorte que ces compétitions puissent être totalement accessibles aux personnes en situation de handicap » : c’est bien le minimum que les organisateurs pourront faire, puisque ces compétitions sont à la fois subventionnées (2 milliards d’euros pour l’Euro de football) et exemptées d’impôts ! « L’élection présidentielle de 2017 sera la première pour laquelle les documents des candidats seront accessibles pour tout citoyen, quel que soit son handicap » : les députés viennent de retirer du Projet de Loi Finances pour 2015 la suppression de l’envoi à domicile de ces documents, le Gouvernement ayant voulu imposer leur mise à disposition sur des sites web sans garantie d’accessibilité.

« Chaque projet d’école devra contenir un volet relatif à l’accueil et à l’accompagnement des enfants présentant des besoins éducatifs particuliers », mais sans moyens supplémentaires annoncés. « Il y a seulement 10% des entreprises de plus de 20 salariés qui ont un accord sur le handicap […] on va alléger les procédures d’agrément de ces accords et nous fixer comme objectif le triplement de leur nombre d’ici trois ans dans les entreprises » : elles pourront donc conserver la contribution qu’elles versent à l’Agefiph dont les ressources continueront à baisser fortement au détriment des véritables aides à la formation et l’emploi des personnes handicapées, au profit d’actions gérées par ces entreprises qui pourront mettre ce qu’elles veulent dans ces accords, dont des actions de communications et de prestige comme bien d’autres le font déjà. Autre fausse bonne idée témoignant d’une méconnaissance profonde de la réalité : le remplacement des cartes de priorité et de stationnement par une carte unique « mobilité / inclusion ». Entre stationner un véhicule et faire valoir son droit à priorité dans une file d’attente, il faudra choisir ! Quand à la proposition « que, désormais, à partir de l’an prochain, les Maisons départementales puissent décider, sur décision motivée, d’accorder l’allocation adulte handicapé (AAH) pour une durée plus longue, jusqu’à cinq ans », les conseillers du Président aurait dû ajouter sur son discours que cela concerne les invalidités évaluées entre 50 et 79% avec Restriction Substantielle et Durable d’Accès à l’Emploi : si cette restriction est durable, il est logique que l’AAH ne soit pas accordée pour un an mais pour une durée elle-même… durable.

Finalement, François Hollande sort vainqueur de cette troisième Conférence Nationale du Handicap. Il a réussi à atténuer fortement la contestation des associations qui rencontrent d’ailleurs beaucoup de difficultés à mobiliser contre la suppression de l’accessibilité universelle initiée par la loi « de droite » du 11 février 2005 et supprimée par l’ordonnance « de gauche » du 26 septembre 2014 : à trop vouloir négocier, cogérer, on perd son âme. Et comme ce Président de la République s’en sort bien, il a décidé de réunir tous les ans une Conférence Nationale du Handicap, qu’il lui suffit de convoquer sous les ors de l’Elysée pour vanter sa politique et être certain de remporter une nouvelle victoire. Mais à vaincre sans péril on triomphe sans gloire

Laurent Lejard, décembre 2014.

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