D’ici la fin de l’année, le Gouvernement va mettre en oeuvre un plan d’action pour lutter contre la pollution de l’air. Présenté le 2 juin par la ministre de l’Ecologie, du développement durable et de l’énergie, Ségolène Royal, il autorisera les municipalités à interdire ou réduire sur leur territoire la circulation de voitures classées plus polluantes que d’autres. Aucune disposition ne concerne les véhicules conduits par ou transportant des personnes handicapées : si elles utilisent un modèle trop ancien, elles ne pourront plus librement se déplacer. Dans le même temps, l’obligation d’accessibilité des transports collectifs vient d’être réduite à une petite partie des points d’arrêt considérés comme prioritaires, ceux qui desservent des établissements médico-sociaux et des services publics. Résultat : 2015 ne sera pas l’année de mise en oeuvre de l’accessibilité à tout pour tous, mais des restrictions savamment organisées du droit à la mobilité et à la vie sociale des personnes à mobilité réduite les plus pauvres. Ce sont elles qui vont souffrir le plus de cette politique « d’apartheid territorial et social » pour reprendre les termes employés en janvier par le Premier ministre, Manuel Valls. Il qualifiait ainsi des décennies de politique des banlieues; on peut lui retourner le propos sur son action en direction des personnes handicapées pour lesquelles le Gouvernement multiplie les obstacles.

Chaque semaine amène en effet son nouvel écueil. Fin avril, la compagnie ferroviaire Thello interdisait de voyage un jeune homme en fauteuil roulant motorisé, mi-mai une compagnie aérienne à bas prix créait une ligne de bus inaccessible, sous le regard impavide du secrétariat d’Etat aux transports. Cette semaine, Ségolène Royal lance son plan de restriction automobile sans en avoir mesuré toutes les conséquences, oubliant que les parlementaires avaient, fin 2008, exempté les foyers fiscaux comptant une personne handicapée du paiement du malus écologique. Il s’agissait alors de ne pas contraindre des automobilistes ou des familles à changer un véhicule dont le prix des aménagements peut dépasser celui de la voiture. Cette réalité, la ministre de l’Ecologie a décidé de l’ignorer alors que la plupart de ses futures victimes n’ont d’autre alternative que de rester chez elles.

Pour compléter le tableau, le secrétaire d’État à la Réforme de l’État et à la simplification, Thierry Mandon, a confirmé le remplacement dans les mois qui viennent de la carte de stationnement et de la carte de priorité par une unique carte mobilité-inclusion. Cette création s’inscrit dans une politique globale de simplification administrative, sauf qu’on ne voit pas où se trouve la simplification puisqu’il s’agit de créer une troisième carte destinée aux personnes à mobilité réduite qui ne sont pas reconnues invalides à 80%. En effet, pour ces dernières (si on a bien compris tant l’annonce du ministre est floue) rien ne changera, elles continueront à recevoir une carte d’invalidité donnant droit de priorité, et la carte européenne de stationnement valable dans l’ensemble des pays de l’Union et acceptée dans d’autres (Suisse, Islande, Norvège, USA, Canada).

Mais qu’en sera-t-il des autres personnes à mobilité réduite : la nouvelle carte mobilité-inclusion sera-t-elle conforme au modèle européen ? Et comment, avec une carte unique, une personne bénéficiaire pourra-t-elle à la fois stationner sa voiture (si elle a encore le droit de l’utiliser) sur une place réservée près d’un bureau de poste puis faire valoir son droit de priorité au guichet ? « Elle disposera de deux exemplaires d’une même carte par exemple pour stationner, et pour ne pas faire la queue au supermarché », a précisé la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, Ségolène Neuville. Deux cartes seront donc délivrées demain, tout comme aujourd’hui sauf qu’elles ne seront pas du même modèle que les cartes actuellement en vigueur : bonjour la simplification administrative… Certes, l’usager ne remplira qu’un seul dossier pour obtenir deux droits, mais c’est déjà le cas pour la plupart des bénéficiaires. Une véritable simplification aurait consisté à maintenir les actuelles cartes de priorité et de stationnement en les délivrant au terme de l’instruction d’un seul dossier. Plus simple certes, mais moins rentable en termes de communication gouvernementale…

Après avoir mis en pièces l’accessibilité et la mobilité, il restera aux politiciens à restreindre le droit d’utilisation des jambes de remplacement que sont les fauteuils roulants. Au Québec, ils y ont déjà pensé : une réglementation sur l’usage des fauteuils motorisés est entrée en vigueur le 1er juin, avec obligation de signalisation par un haut fanion orange flottant au vent et autres systèmes électriques, interdiction de circuler en téléphonant, en écoutant de la musique ou avec plus de 0,8gr d’alcool dans le sang, etc. Des amendes sont prévues, mais pas encore la confiscation du fauteuil roulant ni l’emprisonnement. S’ils ne s’inspirent pas de la réglementation québécoise, nos politiciens et les technocrates à leur service seront peut-être tentés de créer un « permis fauteuil roulant » à l’instar de la ville d’Herblay (Val d’Oise). Sous l’égide de la mairie, les polices municipale et nationale ont en effet fait « passer un permis fauteuil aux membres du centre de vie qui accueille plus d’une quarantaine d’infirmes moteurs cérébraux » relate Le Parisien du 27 mai dernier. Cours théoriques, pratique sur circuit routier puis en ville, tout comme les motards et automobilistes. Avec à la clé « l’obtention pour certains du fameux ‘permis fauteuil ». Et les autres, on leur interdira de sortir de leur établissement ?

Laurent Lejard, juin 2015.


Post scriptum : Quelques heures après la publication de cet éditorial, le cabinet de Ségolène Royal nous a fait savoir qu’il y aurait une dérogation pour les voitures des personnes handicapées. Outre les pastilles colorées numérotées de 1 à 6 que devront arborer les véhicules en fonction de leur niveau théorique de pollution, une 7e portant le D de dérogation sera attribuée à ceux des services d’intervention, d’urgence et transportant des personnes handicapées. Le cabinet de Ségolène Royal n’a toutefois pas été en mesure de préciser les catégories concernées : transport adapté en minibus ou fourgonnette, voiture appartenant à ou transportant habituellement une personne handicapée…

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