C’est fait : la législation sur l’accessibilité du cadre bâti et des transports est modifiée, réservant celle-ci aux seuls points d’arrêts accessibles et aux grands Etablissements Recevant du Public. Parce que pour ceux qui reçoivent moins de 700 personnes, les dérogations à l’accessibilité sont élargies et un délai supplémentaire d’au moins trois ans sera accordé quasiment d’office pour se mettre aux normes. Lesquelles sont également allégées, pour récompenser les propriétaires et exploitants qui ont estimé, lors de l’adoption de la loi du 11 février 2005 qui instaurait une accessibilité à tout pour tous, qu’il y aurait certainement une échappatoire. Leur attentisme est aujourd’hui satisfait par le Gouvernement et le Président de la République, François Hollande. Ce dernier avait pourtant affirmé le contraire lors de sa campagne électorale, le 17 novembre 2011 à l’occasion d’une rencontre au Café-Signes à Paris : « Nous avons trois objectifs à atteindre. Un objectif d’accessibilité, accessibilité de tous les lieux, publics et demain privés, avec un rythme qui devra s’élever malgré les contraintes financières », propos réaffirmé lors de son premier meeting de campagne, le 22 janvier 2012 : « L’âme de la France, c’est l’égalité […] L’égalité, ce sont les mêmes droits pour tous […] C’est le droit pour les personnes handicapées de vivre la vie la plus normale possible. »

Certes, le futur président avait modéré « la plus normale possible », pas à égalité d’accès, le mot « possible » introduisant un bémol dont la tonalité est plus claire aujourd’hui. François Hollande ne pouvait en effet guère ignorer, quand il a signé l’ordonnance gouvernementale du 26 septembre 2014, qu’elle instituait un mécanisme de délivrance automatique de délais et de dérogations, c’était même écrit dans le rapport annexé à cette ordonnance : « […] afin d’adapter le régime d’octroi des dérogations aux règles d’accessibilité pour les établissements recevant du public en permettant les décisions implicites d’acceptation et en limitant la conformité à l’avis de la commission consultative départementale de sécurité et d’accessibilité à certains cas […] et pour prendre en compte, à travers des dérogations, accordées d’office le cas échéant, la situation des établissements recevant du public quand ces établissements existent et doivent être mis en accessibilité ».

La volonté gouvernementale approuvée par le Président de la République est donc de favoriser l’exception à l’accessibilité au point qu’elle devienne la règle. Il en va de même en matière de transports publics puisque la nouvelle législation supprime l’accessibilité de la totalité de la chaine du déplacement et la réduit aux seuls points d’arrêts considérés comme prioritaires sur des critères totalement déconnectés de la réalité. Comme la réglementation européenne impose que les autobus et autocars soient adaptés, on verra donc dans les rues et sur les routes circuler ces véhicules accessibles à bord desquels ne pourront pas embarquer des usagers handicapés parce que le point d’arrêt proche de leur domicile ou du lieu où ils se rendent ne sera pas aménagé. Ce paradoxe, quotidiennement vécu dans la seconde ville de France, Marseille, va s’étendre à bien d’autres.

Le message sociétal renvoyé par cette nouvelle législation est clair : les besoins spécifiques des personnes handicapées coûtent quelque argent que les lobbys du transport et de la construction au sens large ne veulent pas dépenser, espérant par ces petites économies augmenter leurs bénéfices et rentabilité pour les actionnaires. Le résultat sera des difficultés accrues de déplacement pour étudier, travailler ou chercher un emploi, se soigner, sortir et se divertir, assumer les tâches quotidiennes, et cela partout puisque la France d’au-delà 2015 pourra bâtir inaccessible alors que depuis 20 ans c’était devenu impossible. Le résultat de cette politique rétrograde, c’est l’exclusion sociale et professionnelle à petit feu, par l’usure provenant des obstacles impossibles à franchir et du sentiment « qu’on veut pas de nous ». Un Gouvernement au service de l’intérêt public ne l’aurait pas fait, celui de Manuel Valls l’a accompli. Avec comme résultat ce nouveau slogan de campagne suggéré à François Hollande : « L’exclusion, c’est maintenant ! »

Laurent Lejard, août 2015.

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