Il y avait du Nadine Morano dans l’annonce faite par François Hollande en clôture de la Conférence Nationale du Handicap le 11 décembre 2014 : « Il faut unifier les cartes de stationnement – une seule qui pourrait s’appeler ‘mobilité/ inclusion’ et qui serait sécurisée et personnelle. » Or, il n’existe qu’une seule carte de stationnement, à la sécurisation certes améliorable, mais déjà personnelle. En fait, le Président de la République voulait annoncer la création d’une seule carte assurant à la fois le droit de priorité et de stationner un véhicule, alors qu’au quotidien les titulaires laissent la carte de stationnement visible dans un véhicule et présentent leur carte de priorité au guichet… Rapidement, le secrétariat d’Etat chargé des personnes handicapées avait dû expliquer que deux exemplaires de la même carte seraient remis aux bénéficiaires, laissant dubitatif sur la simplification administrative pour l’usager invoquée par le Président puisque les deux peuvent être demandées en une seule formalité. Cela rappelle l’annonce par Nadine Morano, alors secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, de la création d’un label Handi-Vacances parce que « nous n’avons quasiment pas de label pour les personnes handicapées, à part Handiplage, » (interview sur RMC du 8 juillet 2009). En fait, notre blonde de Lorraine ne savait pas que le label Tourisme et Handicap existait depuis 8 ans. Hollande-Morano même combat ?

Actuellement, trois cartes sont délivrées : invalidité en cas de taux au moins égal à 80%, priorité pour un taux de moins de 80% quand la station debout est pénible, stationnement en cas de périmètre de marche très réduit ou emploi d’un fauteuil roulant. Grâce à l’adoption le 28 avril au Sénat d’un amendement gouvernemental au projet de loi pour une République numérique, mobilité-inclusion les remplacerait toutes à partir du 1er janvier 2017 (initialement la carte d’invalidité n’était pas concernée, la décision de la fusionner est toute récente), d’un format carte bancaire, les droits du titulaire étant attestés par une mention priorité, invalidité ou stationnement. Un flash-code permettrait aux policiers de vérifier sa validité sur un fichier centralisé téléconsultable. Compris comme cela, la nouvelle législation ne changerait rien aux droits, sécuriserait l’usage et simplifierait la délivrance : pas si sûr.

La délivrance s’appuiera sur une téléprocédure qui suppose que les Maisons Départementales des Personnes Handicapées la mettent en place d’ici le 1er janvier 2017 alors que leurs systèmes informatiques ne sont ni unifiés ni compatibles. Il sera donc difficile à l’Imprimerie Nationale d’éditer « automatiquement » les nouvelles cartes sécurisées, et on peut redouter de grandes disparités territoriales avouées dès mars 2015 par le ministère des Affaires Sociales dans une réponse à un député : un nouveau système d’information, Go Cartes, de dématérialisation de la procédure devait être déployé sur la base du volontariat auprès de « services déconcentrés chargés de la cohésion sociale, puis des MDPH qui seraient intéressées ». Combien l’ont fait ? La loi empêche l’Etat, au nom de la libre administration des collectivités territoriales, d’imposer aux Conseils Départementaux un système informatique unique à toutes les MDPH. Il faut actuellement près de 4 mois en moyenne pour qu’une demande de carte soit traitée, l’environnement administratif et technique actuel ne permet pas de penser que ce délai sera réduit.

Côté droits ouverts, mobilité-inclusion est, selon l’Imprimerie Nationale chargée de l’éditer, conforme au modèle européen et par conséquent utilisable dans les pays de l’Union Européenne. Pourtant, le modèle européen mesure 106×148 mm avec mentions en plusieurs langues et autres spécifications qui semblent incompatibles avec un format réduit : mobilité-inclusion sera trois fois plus petite. « L’information de nos partenaires européens doit être faite pour assurer la reconnaissance de la carte », précise un porte-parole du secrétariat d’Etat aux personnes handicapées, manière de dire que l’usage de mobilité-inclusion n’est pas actuellement garanti dans les pays de l’Union Européenne. De fait, la nouvelle carte vient se télescoper avec le projet lancé en juillet 2015 par la Commission Européenne de création d’une carte européenne de mobilité délivrée aux ressortissants handicapés. Elle assurerait à l’ensemble des titulaires le bénéfice des dispositions et tarifs prévus dans chaque pays de l’UE en faveur des personnes handicapées, que ce soit dans les lieux culturels, sportifs ou de loisirs, ainsi que dans les transports, et serait délivrée par chaque Etat membre selon un modèle commun comportant des signes compréhensibles dans tous les pays de l’UE, à l’image de la carte européenne de stationnement en vigueur depuis plus de 15 ans.

« La France n’a pas présenté de proposition de projet suite à l’appel d’offres lancé par la Commission pour la création d’une carte européenne de mobilité », répond un porte-parole de la Commission Européenne. Une source associative précise que la Direction Générale de la Cohésion Sociale (DGCS) n’était pas intéressée par le projet, et considérait que la carte européenne de mobilité compliquerait le travail des MDPH. On comprend mieux qu’à aucun moment la compatibilité de mobilité-inclusion avec les cartes de l’Union Européenne n’ait été évoquée lors du débat sénatorial du 28 avril.

Mais la carte mobilité-inclusion survivra-t-elle à son adoption par le Parlement ? Introduite par amendement dans le projet de loi pour une République numérique, elle n’a aucun rapport direct ou indirect avec l’objet de ce texte, et en cas de recours de l’Opposition auprès du Conseil Constitutionnel, cette disposition sera qualifiée de « cavalier législatif » et logiquement censurée. Toutefois, en utilisant la pratique de l’amendement d’une loi lambda, le Gouvernement contourne l’obligation légale de saisir le Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées. A cet égard, une poignée d’associations a été informée de l’élaboration d’un projet piloté par la DGCS dans une approche toute technocratique assez éloignée de la réalité de l’utilisation des cartes d’invalidité ou de stationnement. De plus, l’Exécutif fait l’économie d’une étude d’impact sur cette mesure : combien d’usagers concernés et de cartes à éditer, pour quel coût (« Il fait actuellement l’objet de négociations », indique le secrétariat d’Etat) et moyens humains à déployer, dans quels délais de traitement entre la MDPH et la délivrance centralisée à l’Imprimerie Nationale qui peut s’attendre à réaliser annuellement près d’un million de cartes, avec quelle confidentialité des données ? La Commission Nationale Informatique et Libertés n’a pas été consultée.

La boulette de Nadine Morano avait failli entrainer le naufrage du label Tourisme et Handicap, la ministre ayant fait le forcing au risque de casser l’existant. Pour la carte mobilité-inclusion, l’urgence subite à légiférer résulte de l’imminence du premier rendez-vous annuel de la Conférence Nationale du Handicap qui se déroulera le 19 mai prochain : il faut que François Hollande ait du po-si-tif, pour faire oublier le doublement du chômage des travailleurs handicapés et la fonte des aides à l’emploi, le gel des allocations et pensions, le report aux calendes hollandaises d’une accessibilité aux normes réduites. Alors, pour masquer une avalanche de catastrophes, quoi de mieux que d’en créer une nouvelle ?

Laurent Lejard, mai 2016.

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