Surfant
sur la manifestation médiatique du Téléthon du week-end, le Premier
ministre préside le vendredi 2 décembre le Conseil Interministériel
du Handicap (CIH) ayant pour objectif de présenter un état des
lieux visant à valoriser l'action du Gouvernement. Face à la campagne
de presse qui s'annonce, nos associations présentent le réel état
des lieux des situations de handicap vécues au quotidien par plusieurs
millions de nos concitoyens.
Scolarité. La rentrée scolaire a constitué cette année encore
un véritable parcours du combattant pour les enfants et leurs
familles, que ce soit en raison de difficultés liées à une accessibilité
des locaux scolaires non assurée à ce jour, ou de la difficulté
de se voir accorder par les Maisons Départementales des Personnes
Handicapées un nombre d'heures suffisant d'auxiliaires de vie
scolaire, d'obtenir des rectorats la mise en place réelle de la
décision de la MDPH à cause de recrutements insuffisants et de
leur statut souvent précaire : on compte aujourd'hui 41.000 titulaires
de contrats aidés et 28.000 assistants d'éducation effectuant
24 heures par semaine pour un salaire mensuel moyen de 650€ !
Ou encore de la difficulté de bénéficier d'outils pédagogiques
adaptés. Sans parler des activités périscolaires auxquelles les
élèves dits handicapés ne participent qu'exceptionnellement.
Emploi. Dans le secteur privé, le taux de chômage des travailleurs
disposant de la Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé
(RQTH) atteint les 21%, contre un peu plus de 10% pour les travailleurs
dits valides. Précisons que ce sont les travailleurs de plus de
50 ans disposant de cette RQTH qui paient le tribut le plus lourd,
46% d'entre eux étant au chômage, contre 23% pour les seconds.
Et pour la totalité des travailleurs disposant de ce "statut",
la période de chômage atteint les 26 mois, contre 16 mois environ
pour les seconds. De ce point de vue, ce ne sont pas les récentes
dispositions permettant le cumul de la prime d'activité et de
l'Allocation aux Adultes Handicapés, ou bien la création du Compte
personnel d'activité ou du Compte personnel de formation qui,
pour positives qu'elles soient, contribueront à changer cet état
de fait. Ce d'autant plus que les transferts de missions et de
charges non compensées de l'État vers l'Agefiph affaiblissent
les capacités de cette dernière à financer l'accompagnement vers
l'emploi des travailleurs disposant de la RQTH. Sans parler des
ponctions indues opérées par le premier au détriment de la seconde
qui s'élèvent aujourd'hui à 224 millions d'euros (50 millions
durant le quinquennat Sarkozy-Fillon. 174 millions, globalement
sur le Fonds privé et sur le Fonds public, durant le quinquennat
Hollande-Ayrault-Valls) !
Dans le secteur public, le taux d'emploi des personnes handicapées
est de 5,17% par rapport au taux légal de 6%. Un effort louable
a donc été fourni depuis l'instauration de cette obligation. Ce
taux global masque cependant d'importantes disparités entre les
trois Fonctions publiques (4,18% pour la Fonction publique d'Etat,
5,41% pour l'hospitalière et 6,22% pour la territoriale). De telles
différences perdurent également selon que la collectivité ou le
ministère concerné est plus ou moins investi dans la mise en oeuvre
d'une politique de l'emploi des personnes handicapées, volontariste
et pérenne. Ainsi, certaines entités publiques poursuivent leurs
efforts en maintenant le rythme de recrutement des personnes handicapées
malgré la baisse globale des effectifs. D'autres en revanche profitent
de la diminution de ces effectifs pour afficher un taux d'emploi
des fonctionnaires handicapés mécaniquement orienté à la hausse.
Un autre sujet de préoccupation réside dans la bonne gestion de
la phase post recrutement (aménagements de postes, adaptation
de l'environnement professionnel, évolution des carrières, promotions...)
dans un contexte de forte contrainte budgétaire. Celui-ci ne doit
pas aboutir à adapter les recrutements en fonction de la nature
des handicaps ni même à les conditionner aux marges de manoeuvre
financières dégagées pour l'insertion professionnelle des fonctionnaires
dits handicapés. De ce point de vue, nous ne pouvons que déplorer
que le gouvernement puise dans le FIPHFP en utilisant cet argent
à d'autres fins que celles prévues par la loi.
Retraites. Après de longs combats, les travailleurs handicapés
ont obtenu la création d'un dispositif de retraite anticipée à
taux plein dès 55 ans, avec majoration de leur pension de base.
Mais les conditions à remplir sont draconiennes. Quant aux aidants
de personnes handicapées dépendantes, les avantages obtenus restent
dérisoires. Si la loi dite garantissant l'avenir et la justice
du système de retraite du 20 janvier 2014 a abaissé de 80 % à
50 % le taux d'Incapacité Permanente requis, elle a surtout supprimé
à partir du 1er janvier 2016 la prise en compte du critère RQTH
conquise auparavant en 2010. Résultat : la plupart des travailleurs
handicapés vont être obligés de travailler sept années de plus
(jusqu'à 62 ans au lieu de 55) pour avoir une retraite décente.
Ou bien de partir en retraite pour invalidité plus tôt, mais avec
une pension misérable alors que les employeurs pourront continuer
à les compter dans leurs quotas obligatoires pour éviter de payer
une redevance ! Le récent article 30 bis ajouté au Projet de Loi
de Financement de la Sécurité Sociale, censé résoudre certaines
situations particulières, ne change rien : pratiquement personne
ne pourra en bénéficier...
Ressources. Au 1er septembre 2012, l'Allocation aux Adultes Handicapés
(AAH) s'élevait à 776,59€. En augmentation de 2,19 % par rapport
à avril 2012, augmentation finale clôturant la revalorisation
progressive 2008-2012 destinée à rattraper les insuffisances des
périodes antérieures, revalorisation entamée après la manifestation
parisienne rassemblant près de 35.000 personnes dites handicapées
dans la rue ! Elle atteint aujourd'hui 808,46€. Soit en quatre
ans, de septembre 2012 à septembre 2016, une augmentation de 31,87€
! Toujours très inférieure au seuil du minimum de pauvreté, l'AAH
est versée à un peu plus d'un million de bénéficiaires qui, selon
leur situation, la perçoivent en tout ou partie. Ce tandis que
le complément de ressources et la majoration pour la vie autonome
(deux compléments accordés seulement à quelques dizaines de milliers
de personnes en fonction de leur situation) n'ont pas varié depuis
5 ans ! Quant au niveau minimal de la pension d'invalidité, il
était de 276,39€ en 2012 et atteint aujourd'hui 284€ !
Accessibilité. Le 11 février 2005, la Gauche votait contre la
loi dite Pour l'égalité des droits et des chances, la participation
et la citoyenneté des personnes handicapées au motif que celle-ci
ne répondrait pas aux situations particulièrement difficiles vécues
par plusieurs millions de nos concitoyens, notamment et à juste
raison en matière d'accessibilité. Il était donc permis de s'attendre
à ce qu'à partir de 2012, une politique volontariste de mise en
accessibilité du cadre bâti et des transports soit engagée : c'est
à tout son contraire que nous avons assisté et que nous assistons
encore aujourd'hui. En effet, l'Ordonnance du 26 septembre 2014
multiplie les dérogations de convenance, c'est-à-dire sans justifications
réelles au plan technique, en faveur des propriétaires et gestionnaires
d'Etablissements Recevant du Public existants et à créer, notamment
de 5e catégorie, c'est-à-dire essentiellement les commerces de
proximité pour lesquels aucun contrôle après travaux (lorsqu'il
y en a) n'est effectué ! Ce choix idéologique de favoriser les
lobbies commerçants, immobiliers et financiers remet en cause
également la volonté du législateur de 2005 pour lequel il ne
pouvait y avoir d'obstacles à la construction de logements neufs
accessibles et adaptables.
L'Ordonnance fait disparaître l'obligation d'installation de douches
strictement à siphon de sol (c'est-à-dire sans seuil) et l'obligation
d'accessibilité de balcons aisément accessibles, les premières
pouvant avoir à présent un seuil de 5 cm et les seconds un seuil
de 15 cm, bien entendu infranchissable en fauteuil roulant ! L'ordonnance
est aussi une remise en cause de la continuité de la chaine de
déplacement, voulue par la loi de 2005, permettant par la mise
en accessibilité de tous les arrêts de transports collectifs (sauf
impossibilité technique) la liberté de déplacement du logement
au travail, à la vie sociale, à l'accès aux soins, aux besoins
du quotidien. Aujourd'hui seuls les arrêts considérés comme prioritaires,
ceux situés en zones denses, devront être rendus accessibles :
a-t-on encore le droit de vivre à la campagne quand on est âgé
ou handicapé ? Rappelons que l'Ordonnance à été ratifiée par la
quasi-totalité du Parlement le 5 août 2015, le Parti Socialiste,
le Parti Radical de Gauche, le Modem, l'UDI, et le Front National
votant pour, Les Républicains (ex UMP) s'abstenant avec bienveillance,
Europe Ecologie-Les Verts s'abstenant avec vigilance, seul ce
que l'on appelait encore à ce moment-là le Front de Gauche votant
contre.
Compensation. Mesure très positive de la loi du 11 février 2005,
la Prestation de Compensation du Handicap a prouvé s'il en était
besoin que la vie à domicile des personnes en situation de dépendance
vitale était parfaitement possible. Notamment à partir de 2006
la possibilité d'obtenir la présence d'accompagnants 24 heures
sur 24. Malheureusement, quel que soit le nombre d'heures demandées
et quel que soit le besoin de compensation, on ne cesse de constater,
dans la plupart des départements, une diminution très nette du
nombre d'heures attribuées. Ceci aussi bien pour les renouvellements
que pour les nouvelles demandes.
On constate également que, contrairement à ce qu'a prévu le législateur,
les personnes handicapées sont mal informées sur leurs droits
ou découragées de les faire appliquer, notamment celui d'être
reçu par les commissions d'attribution au moment de l'examen de
leur dossier. Mais le pire est à venir avec des mesures, tel le
Guide d'évaluation de la Caisse Nationale de Solidarité pour l'Autonomie,
déjà appliquées dans un certain nombre de départements et en voie
d'être généralisées qui conduisent à diminuer par deux le temps
nécessaire à l'aide à l'accomplissement des actes essentiels de
la vie comme si la personne handicapée n'était qu'un vulgaire
robot n'agissant que sur commande ! L'idée de la compensation
disparaît progressivement devant l'insidieuse mise en place d'une
gestion de la survie, et la personne handicapée reléguée au rang
d'objet !
Association Nationale Pour l'Intégration des personnes dites Handicapées
Moteurs (ANPIHM), Comité pour
le Droit au Travail des Handicapés et pour l'Égalité des Droits
(CDTHED), Coordination
Handicap et Autonomie (CHA),
Groupement Français des Personnes Handicapées (GFPH),
Handi-Social, décembre
2016.
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