« Il faut plus d’Europe pour plus de droits » : politiciens et économistes libéraux nous le serinent à longueur de temps. Cette Union Européenne dirigée par une Commission non élue mais toute-puissante devait élaborer et faire adopter par le Parlement en 2012 un Acte européen sur l’accessibilité. C’était promis juré craché par la vice-présidente de la Commission, Viviane Reding : « Je travaillerai dur afin de rassembler tous les acteurs pour m’assurer que les produits et les services, les bâtiments et les espaces publics deviennent plus accessibles à tous les citoyens, et pour ce faire, nous lancerons une étude visant à identifier les questions qui sont en jeu », avait-elle déclaré à l’intergroupe Handicap du Parlement Européen le 13 janvier 2011. De nombreux discours, une fin de mandat et un renouvellement du Parlement plus tard, cet acte européen n’existe qu’à l’état de projet en version peau de chagrin : son champ d’application restreint à une gamme de produits et services technologiques (terminaux de paiement, matériels informatiques, téléphonie, commerce électronique, etc.) se réduit au fil des discussions en commission, et le texte actuel n’apporterait quasiment rien de plus en regard de la législation française. Les petites et moyennes entreprises continueraient à fabriquer ou fournir des produits et services sans accessibilité, la loi européenne ne s’appliquerait pas aux infrastructures, exclurait les médias audiovisuels, ne s’appliquerait que partiellement aux transports, etc. En clair, les lobbies si actifs au contact des institutions européennes ont réussi à altérer un texte dont la version transmise au Parlement Européen est grandement édulcorée.

Autre texte en attente, la ratification du traité de Marrakech sur le droit d’auteur adopté en juillet 2013 par l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, pour établir des exceptions afin de favoriser la création et la diffusion de livres adaptés aux personnes déficientes visuelles. L’Union Européenne a voulu être seule à ratifier ce texte pour l’ensemble des pays membres, et elle a saisi la Cour de Justice de l’Union Européenne pour cela et empêcher chaque Etat de ratifier le texte. La CJUE lui a donné raison en février dernier. Mais dans le même temps, les services juridiques de la Commission Européenne ont bloqué ce texte en invoquant un risque de discrimination envers d’autres groupes de personnes handicapées. Finalement, le Comité des Affaires Juridiques du Parlement Européen a adopté, le 23 mars dernier, un texte « très largement conforme au contenu du Traité de Marrakech, selon l’Union Européenne des Aveugles qui ajoute : Nous sommes néanmoins préoccupés par la position du Conseil qui vise à introduire des mécanismes contraires aux préconisations du Traité tels que le droit à compensation des éditeurs. Des discussions devraient intervenir prochainement entre le Conseil et le Parlement en vue de l’adoption d’une position commune. » En clair, la Commission et le Conseil européen voudraient amoindrir un traité international déjà ratifié et applicable dans 27 pays dont l’Inde, le Mali, le Canada, Israël… mais pas dans l’Union Européenne, et par conséquent la France.

De quoi sauter sur sa chaise, en effet…

Laurent Lejard, mai 2017.

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