Les vents d’automne ne sont pas les seuls à rafraichir l’atmosphère : le vent libéral souffle en constantes rafales et s’apprête à faire déferler une réforme de l’obligation d’emploi des personnes handicapées. Instaurée en 1957, elle visait à favoriser l’accès à la fonction publique pour pallier les carences des entreprises privées et offrir des opportunités d’emploi. Après que la loi du 30 juin 1975 a créé une politique de solidarité nationale envers les personnes handicapées, celle du 10 juillet 1987 a réformé une obligation d’emploi alors sclérosée : les administrations ne mettaient plus de postes à disposition, et des candidats handicapés pouvaient rester plus de dix ans sur liste d’attente. L’obligation d’emploi avait été étendue aux entreprises privées, avec un pourcentage réduit à 6% et obligation de résultat : si le quota n’est pas atteint, l’employeur doit verser une contribution destinée à financer des aides à l’emploi de travailleurs handicapés. Exemptées pendant vingt ans de cette contribution, les fonctions publiques doivent l’acquitter depuis la loi de février 2005. Aujourd’hui, le secteur privé a tout juste dépassé la moitié du quota de 6%, les fonctions publiques territoriale et hospitalière l’ont dépassé ou presqu’atteint, celle de l’Etat est plombée par l’exemption de l’Education Nationale du paiement de sa contribution : elle n’emploie que 3% de travailleur handicapés, un résultat proche de celui du secteur privé, 3,4% en 2016.

« Arrêtons d’être coercitifs et soyons incitatifs », en a déduit la secrétaire d’Etat aux personnes handicapées, Sophie Cluzel, lors d’une interview à Sud-Radio le 15 novembre dernier. Deux jours auparavant, sur Europe 1, elle clamait : « Il va falloir [que les entreprises] imaginent autre chose que payer des taxes. Il ne faut pas que le handicap soit une charge mais une chance. La diversité doit être un levier de performance pour l’entreprise. C’est comme ça qu’on y arrivera. » Avec les ministres concernés, Sophie Cluzel prépare actuellement une réforme de l’obligation d’emploi. Sauf que les politiques incitatives basées sur la seule volonté des entreprises, ça ne marche pas, il suffit de regarder les résultats dans les pays voisins qui conduisent une politique d’incitation à l’emploi de travailleurs handicapés comportant un quota sans obligation. Notez bien que cette transformation d’une obligation en incitation ne concerne que le handicap : en ces temps d’évasion fiscale, on aimerait voir ce que ça donnerait en matière d’impôts et taxes…

Le chômage des travailleurs handicapés ne cesse de progresser, atteignant la barre symbolique des 500.000. Les causes résultent notamment du licenciement de plus en plus fréquent des salariés devenus handicapés par les tâches accomplies, solution facilitée par la loi El Khomri de 2016 et les ordonnances Macron de cet été. D’autre part, l’ancien président Nicolas Sarkozy avait voulu que soit évaluée l’employabilité de toutes les personnes demandant l’Allocation aux Adultes Handicapés, ce qui a entrainé une augmentation de celles qui ont été reconnues travailleur handicapé. Dans le même temps, la formation professionnelle des travailleurs handicapés a été transférée à l’Agefiph avec la perte annuelle de 100 millions d’euros de crédits non transférés. Une partie des entreprises assujetties au paiement d’une contribution a obtenu de la conserver en signant un accord en faveur de l’emploi; l’analyse de ces accords montre que peu comportent un objectif ambitieux de recrutement, et un tel accord permet d’employer cet argent pour valoriser l’image de l’entreprise en donnant l’impression que l’on fait ce que l’on doit.

Il est encore prématuré d’annoncer la suppression de la contribution pour l’emploi, celle que même la secrétaire d’Etat qualifie de « taxe », preuve qu’elle n’a pas compris l’esprit de la loi du 10 juillet 1987 instaurant l’obligation d’emploi : les entreprises défaillantes devaient contribuer à améliorer l’accès à l’emploi justement parce qu’elles ne remplissaient pas leur devoir vis-à-vis de la société, il s’agissait d’instaurer une réparation financière à une situation discriminatoire générant un préjudice social. Remplacer l’obligation et cette contribution par une incitation ne pourra être que catastrophique, comme on le constate par exemple pour l’égalité homme-femme dont on parle depuis des décennies : malgré plusieurs lois françaises, une charte européenne et des conventions internationales, les femmes sont toujours moins payées à travail égal et leur évolution de carrière est moindre. Si une compensation financière était exigée des employeurs, la situation évoluerait vers plus d’égalité. D’ailleurs, la parité homme-femme lors des élections n’existe que parce qu’elle est obligatoire sous peine d’invalidation de candidature.

Ce n’est pas en donnant « envie aux chefs d’entreprises, comme l’exprime Sophie Cluzel, faire cette rencontre avec les personnes handicapées, les regarder différemment, avec leurs compétences, avec ce qu’elles peuvent apporter à l’entreprise et non pas avec leur charge » que le chômage des travailleurs handicapés baissera, les patrons ne sont pas des bisounours… D’abord parce que l’évolution de ce chômage dépend de la situation économique de notre pays, et ensuite des actions visant ce public spécifique : formation et requalification, aide et soutien à la recherche d’emploi, amélioration de l’accessibilité des locaux professionnels et des transports publics, meilleur cumul entre AAH, rente accident du travail, pension d’invalidité et un salaire, parce que travailler ne doit pas revenir plus cher que de se contenter de ces revenus de remplacement. Ce n’est pas cette politique globale qui a la faveur du courant libéral en vogue dans notre pays, la tendance est davantage à alléger les normes et obligations qui s’imposent aux employeurs. Au risque de faire subir davantage leur handicap à ceux qui le vivent, et de les exclure durablement du travail et de tout ce qu’il représente.

Laurent Lejard, novembre 2017.

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