Mardi 30 janvier, les personnels des Etablissements d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes (EHPAD) qui reçoivent 600.000 pensionnaires étaient appelés à faire grève pour protester contre leurs conditions de travail. Salaires le plus bas possible, effectifs ne laissant que quelques minutes à consacrer à chaque pensionnaire, absence de médecin coordinateur ou d’infirmière de nuit, la liste des griefs est longue. Les conséquences, une population d’usagers presque aussi isolée que s’ils vivaient à domicile : faute de personnel, les relations humaines sont réduites aux échanges entre pensionnaires. Malgré ces conditions dégradées, les hébergés doivent toutefois payer un prix de séjour qui dépasse généralement le montant de leur retraite, ce qui contraint leurs familles à acquitter la différence. Plusieurs enquêtes journalistiques récentes ont mis en évidence un rationnement des soins et de la nourriture (les trois repas quotidiens reviennent en moyenne à 4,35€), des pratiques illégales, un remplissage dépassant la capacité d’accueil, un chantage à l’expulsion du résident si sa famille se plaint, en résumé des pratiques de voyous dans bon nombre d’établissements.

Pourtant, les trois premiers groupes privés à but lucratif, qui gèrent plus de 90.000 lits en France, affichent un taux de rentabilité avoisinant les 14% et des bénéfices confortables, ce qui les rend particulièrement attractifs pour les investisseurs. Certains d’entre nous ont reçu par courriel des propositions d’investissement en EHPAD assorties d’un intéressant avantage fiscal : les chambres peuvent en effet être achetées par des particuliers avec réduction d’impôt à la clé, ce qui fait que ces établissements sont en copropriété et le financement de leur construction assuré par l’ensemble des propriétaires. La même technique financière est employée pour des résidences de tourisme, hôtels, résidences pour étudiants. Il ne reste plus qu’à remplir l’EHPAD d’occupants âgés, ce qui est très facile puisqu’il y a moins de places disponibles que de demande. Puis à ramener au minimum vital le coût d’exploitation au risque de générer de la maltraitance institutionnelle et un mouvement social comme celui du 30 janvier. Avec cette « ingénierie », les principaux groupes privés lucratifs d’EHPAD ont tellement gagné d’argent en France qu’ils se développent maintenant à l’étranger, confrontés à la volonté de l’Etat de ne plus autoriser la création de nouvelles places. Le privé lucratif touche tout de même près de 4 milliards d’euros d’argent public par an…

Les établissements médico-sociaux pour jeunes ou adultes handicapés ne sont heureusement pas, à l’exception d’une poignée, propriété de sociétés à but lucratif. Même si certains connaissent des difficultés comparables, personnels pressurés et management à la trique, le taux d’encadrement d’un salarié par usager permet de meilleures conditions de vie. Ce secteur est dominé par de grosses associations nationales créées au départ par des parents démunis, structures qui ont grossi et sont parfois capables d’oublier leur but premier : offrir des conditions d’existence dignes et respectueuses des êtres humains les plus vulnérables. C’est cet objectif que n’ont pas vraiment les groupes privés lucratifs qui ont néanmoins le vent en poupe en ces temps de libéralisme économique à tout crin. En 2018 comme il y a quarante ans quand le secrétaire d’État à l’action sociale d’alors, René Lenoir, dénonçait les « mouroirs », la France a toujours « mal à ses vieux. »

Laurent Lejard, février 2018.

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