Présentée comme un modèle d’intégration des personnes handicapées dépendantes pour leur offrir une réelle vie autonome, la Suède prépare une réforme qui remet en cause les modalités des aides humaines qui leur sont nécessaires. 15.000 personnes sont directement concernées par des restrictions drastiques : seuls quatre besoins de base seront pris en compte quotidiennement (hygiène personnelle, habillage-déshabillage, repas et communication), plus quinze heures au mieux d’aide humaine par semaine pour des activités extérieures (sortir, faire ses courses, aller à ses activités). Dans ce contexte de restriction, celles qui travaillent risquent de ne plus pouvoir le faire. Le projet de loi prévoit également d’ouvrir des maisons d’hébergement de type habitat partagé à la française ou « ressource intermédiaire » de type québécois, et de demander à des familles d’apporter une aide humaine. Militante pour une vie autonome de qualité, Gisèle Caumont est révoltée, elle qui avait quitté en 1999 la France pour la Suède, dès son départ en retraite, par amour pour ce pays qu’elle connaissait bien et dont elle parlait la langue, pour bénéficier d’aides humaines alors impensables en France.

La proposition de loi de révision de la loi sur l’assistance personnelle aux personnes handicapées dépendantes LSS (Lag om Stöd och Service) publiée vendredi est une question de démocratie, une violation de la convention des Nations-Unies sur les droits des personnes handicapées que la Suède a ratifiée en décembre 2008, et une gigantesque tragédie pour les personnes concernées. La LSS est une loi concernant les droits dont la Suède a été fière. D’autres pays ont été impressionnés par notre loi. Aujourd’hui elle est dramatiquement maltraitée.

Pendant près de vingt ans, je suis venue en France présenter cette remarquable loi suédoise dans de multiples conférences. J’ai même travaillé avec le gouvernement français lors de sa mise en chantier de la loi de février 2005 qui a amélioré considérablement la situation des personnes handicapées. J’ai honte pour la Suède qui est devenue mon pays, et malheureusement je ne peux donner qu’un avis entièrement négatif puisque la proposition de loi dont nous avons pris connaissance fin février 2018 est une véritable catastrophe humanitaire. Je dois le faire savoir partout maintenant. Nous sommes face à une tragédie provoquée par un gouvernement socialiste…

Pourtant, il nous affirme que la situation économique de la Suède est bonne ! Avez-vous constaté une baisse du niveau de votre vie ? Voyez-vous la Suède en grande difficulté à cause de nous ? Non. Et pourtant on revient tout simplement aux années 70 : on va rouvrir des institutions qui avaient fermé. Les enfants en dessous de douze ans n’auront plus le droit à l’assistance, ce qui veut dire que les parents devront arrêter de travailler, ne plus dormir la nuit, et vivre dans l’angoisse constante. Quel progrès ! Les personnes handicapées âgées de plus de 80 ans ne seront plus considérées comme handicapées mais comme vieilles, même si elles sont en forme, engagées dans la société, actives. Miracle : leur handicap a disparu ! La double assistance est supprimée même en cas de problèmes respiratoires ou d’épilepsie. Quinze heures d’aide par semaine seront accordées pour les activités, les courses, etc., on ouvrira la porte de la « maison prison » seulement quinze heures par semaine. Il ne sera plus question de pouvoir travailler quand on a besoin d’assistance. J’arrête là la liste de tout ce qui va arriver car il suffit de se renseigner pour continuer de lire avec effroi ce qui nous attend.

N’oubliez pas que ce n’est pas seulement ce qui nous attend, mais aussi ce qui vous attend au cas où vous-même ou l’un de vos proches se retrouve en situation de handicap. En quelque sorte, votre futur désormais, et non plus celui seulement de 15.000 personnes ! On nous jette tout simplement à la poubelle ! Nos droits sont bafoués, notre liberté supprimée. La LSS nous avait ouvert les portes de l’égalité des droits, du choix de vie, de la liberté ! Elle était un modèle pour les autres pays. Il nous reste les yeux pour pleurer et la voix pour crier. Ce qui arrive maintenant est une question de vote. Voulons-nous une société qui bafoue les droits essentiels ? Voulons-nous une société qui s’attaque aux plus jeunes et aux plus âgés ? Voulons-nous une société qui n’est pas solidaire ? Les responsables politiques de nos communes doivent être courageux et répondre en toute sincérité à nos questions ! Que va-t-il advenir de la LSS ? L’angoisse, la révolte, l’incompréhension sont immenses. On parle déjà d’idées de suicides. Notre handicap et nos souffrances sont déjà grandes. Faut-il encore en ajouter ? Ça ne suffit pas ? Nous avons toujours le droit de voter… Nos familles aussi, nos amis aussi. De toute évidence, nos voix iront aux partis dont le programme respectera l’égalité des droits et garantira le retour à la LSS. Il en va de nos vies. Il en va surtout de la dignité d’un pays.

Gisèle Caumont, Independent Living, mars 2018.

Partagez !