La charge a été lancée le 9 décembre dernier dans Le Moniteur, magazine des professionnels de la construction, puis reprise après une incubation d’une dizaine de jours dans de nombreux médias : « Un siphon de sol induit une chape de 7cm sur l’ensemble des niveaux. Et la surcharge générée par le poids de la chape impose une augmentation dimensionnelle de la structure : poteaux/poutres, fondations… », justifiait Alain Chapuis, le Monsieur Accessibilité de la Fédération Française du Bâtiment (FFB), présenté comme un expert absolu puisque « lui-même en fauteuil depuis près de 20 ans ». En clair, pour que tous les logements neufs disposent d’une salle de bains avec douche à l’italienne, sans bac à ressaut fut-ce de deux centimètres, il faudrait des planchers plus épais et plus lourds, obligeant à construire des structures renforcées, l’ensemble grevant le poids et la facture au détriment des futurs propriétaires.
Sauf que cet argument est faux : « La FFB est sur un schéma de construction qui n’est plus d’actualité, affirme un assistant à maitrise d’ouvrage. Maintenant, on fait des siphons encastrés dans une gaine technique, que ce soit dans les constructions en béton ou en bois. » Cela se traduit par une évacuation linéaire vers la gaine technique avec une pente de 1% et l’eau s’évacue dans la colonne. Et pour cela, il n’est pas nécessaire d’augmenter l’épaisseur du plancher de béton. « Cet argument est d’une mauvaise foi absolue, ajoute une architecte. Un tiers de la population, vieillissante, en a besoin, et il n’est plus question de vendre des logements sans bacs extra plats, avec ressaut de 2 à 7 cm au plus. Ces bacs sont parfaitement étanches. » L’étanchéité est en effet le second argument massue de la FFB : « Cela oblige à prévoir une étanchéité générale sur toute la surface du sol de la salle de bain ainsi qu’une étanchéité partielle sur les parois verticales ». Etanchéité réclamée depuis une trentaine d’années par les compagnies d’assurance afin de réduire les dégâts des eaux; à cet égard, il n’existe pas de statistiques comparant les sinistres selon qu’une salle de bains est à siphon sol sans bac, avec bac haut ou baignoire, comme l’ont constaté les participants aux concertations avec l’Administration courant 2019. L’un des aspects porte sur la réversibilité, c’est-à-dire la possibilité sans travaux d’installer une baignoire, utile à nombre de personnes handicapées ou qui apprécient de prendre des bains.
« L’argument de l’étanchéité toute surface est pipeau parce que les assurances l’exigent depuis de longues années, appuie l’architecte. Mais les constructeurs ne la réalisaient pas pour faire des économies. » L’assistant à maitrise d’ouvrage n’a également connaissance ni de données assurancielles, ni d’étude comparative de prix. Pourtant, Alain Chapuis et la FFB l’affirment : « On nous impose des règles contraignantes et onéreuses ». Mais où sont les comparatifs, et quels sont les enjeux réels ? « C’est tellement contre-sociétal que je ne vois pas de raison, reprend l’architecte. La part de population future qui a le pouvoir d’achat exige de la douche à l’italienne. Cela ne répond pas aux demandes des industriels de la construction. » Et de s’interroger sur la volonté de certains de casser les prix, en même temps que le confort et l’accessibilité, et les difficultés que rencontrent des petits entrepreneurs pour bâtir des salles de bains étanches avec siphon sol. Reste à savoir de quel côté penchera le ministère chargé du Logement, dont l’administration doit prochainement publier un arrêté réglant la question. Définitivement, espérons-le.
Laurent Lejard, janvier 2020.
NB : Nous avons décidé de ne pas identifier les deux professionnels précités, afin de leur éviter d’éventuelles représailles. De plus, un entretien téléphonique avec Alain Chapuis avait été convenu afin qu’il réponde aux arguments qui contestent ses déclarations, rendez-vous reporté sine die à l’heure où cet article a été publié…