Pour la troisième fois, une proposition de loi de suppression des revenus du conjoint au assimilé dans le calcul de l’Allocation Adulte Handicapé était examinée au Parlement, le 13 février dernier. Le Sénat a rejeté le 24 octobre 2018 celle du groupe communiste, et l’Assemblée Nationale un texte similaire trans-partisan le 7 mars 2019. Mais voilà que cette veille de Saint-Valentin, deux jours après la Conférence Nationale du Handicap et le quinzième anniversaire de la loi du 11 février 2005, l’Assemblée Nationale a adopté une proposition de loi identique soutenue par les centristes de Libertés et Territoires : 44 députés ont voté pour, 31 contre. Les députés de la majorité La République En Marche-Modem avaient déserté l’hémicycle et les tentatives d’en « récupérer » dans les couloirs ou leurs bureaux se sont révélées insuffisantes.

Cette péripétie politique a laissé sans voix la secrétaire d’Etat aux personnes handicapées, Sophie Cluzel, qui veut maintenir la dépendance dans les couples, invoquant les « solidarités familiales », et a soutenu à maintes reprises au Parlement l’abaissement du plafond de cumul pour que le conjoint handicapé soit davantage encore soumis à son partenaire. Une manière étrange d’autonomiser les personnes handicapées dans cette « société inclusive que nous voulons tous ». Mais les députés de la majorité n’ont pas voulu se faire accabler de nouveau moins de deux semaines après avoir rejeté l’extension à 12 jours au lieu de 5 du congé professionnel en cas de décès d’un enfant. Le Gouvernement s’est opposé le 30 janvier à cette proposition de loi soutenue par les centristes de l’UDI, les députés de sa majorité remplaçant ce congé par la prise de jours de RTT ou de congés annuels. La ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a endossé sa tenue de défenseure des intérêts patronaux, clamant « ce que vous proposez, c’est un congé payé à 100% par l’entreprise ! » pour mieux le refuser. Alors même que l’ex-présidente du Médef, syndicat du patronat français, et son président actuel s’affichaient dès le lendemain par tweets interposés favorables à ce congé porté à 12 jours payés par l’employeur !

Résultat : un gouvernement parlant à la place du patronat français qui le contredit, puis qui force sa majorité à rejeter une mesure qui a valu à ses députés d’être taxés « d’inhumanité », suscitant une polémique très médiatisée conduisant le Président de la République à désavouer les parlementaires qu’il a fait élire et le Gouvernement qu’il a nommé, lui demandant de faire preuve « d’humanité ». Dans un tel contexte, il est… humain que ces mêmes députés n’aient pas voulu s’en reprendre une couche et se soient « planqués » pour ne pas voter à nouveau contre une avancée sociale. Il s’est même trouvé trois députés LREM pour s’abstenir et quatre autres à voter pour, assurant une majorité confortable ! La prochaine étape se jouera au Sénat, dans quelques semaines ou quelques mois. Il faudra pour cela que la conférence des présidents des groupes parlementaires s’entende sur une date d’examen du texte, et si les sénateurs avaient la bonne idée d’adopter le texte sans le modifier, le « prix de l’amour » serait immédiatement supprimé !

Mais le Gouvernement dispose d’un rattrapage : l’intégration de l’AAH au sein du Revenu Universel d’Activité (RUA) qui devrait être créé en 2022 pour fusionner tous les minima sociaux en un seul. Intégration de l’AAH refusée par quatre grandes associations de personnes handicapées qui ont quitté la table de concertation une semaine tout juste avant la CNH. Le Président de la République en a convoqué les présidents à l’Elysée pour les « rassurer », puis a affirmé dans son discours du 11 février : « Jamais l’allocation adulte handicapé ne sera transformée, diluée, supprimée au bénéfice du revenu universel d’activité. » Les dirigeants associatifs ont logiquement compris que l’AAH resterait à part du RUA… quand Sophie Cluzel annonçait le contraire quelques heures plus tard devant les députés : « Les associations sont d’accord pour revenir autour de la table afin d’améliorer cette allocation aux adultes handicapés dans une perspective de retour au travail, a-t-elle répondu à une question au Gouvernement du député communiste Stéphane Peu. C’est là que le temps partiel nous permettra un vrai retour au travail. Nous nous donnons quelques mois pour y parvenir et voir enfin comment s’articulent le revenu universel d’activité et l’allocation aux adultes handicapés. » Le dossier est d’autant moins clos que lesdites associations n’ont pas décidé de revenir à la table de concertation : « Absolument pas ! assure la porte-parole de l’Unapei. Nous n’avons encore eu aucun échange avec madame Cluzel. Nos différentes associations sont actuellement en train de se concerter pour décider de la marche à suivre. Mais, pour le moment, rien n’a été décidé. » Et l’une de ces associations appelle déjà à manifester le 5 mars prochain…

Laurent Lejard, février 2020.

Partagez !