L’Inspection des Finances a de la suite dans les idées, et l’un de ses hauts-fonctionnaires, Laurent Vachey, de la mémoire. Chargé par le Gouvernement de défricher le chantier de création d’un nouveau risque de protection sociale dédié à la dépendance, il a cherché des pistes de financement des 4 milliards d’euros estimés nécessaires. Et sans surprise, cet inspecteur des finances a puisé, pour le rapport qu’il vient de remettre au Gouvernement, dans des propositions déjà formulées par son corps d’élite dont chaque membre gagne plus en un mois qu’un Allocataire Adulte Handicapé en un an… Depuis la création de cette prestation en 1975, l’Inspection des Finances (lire notamment ce rapport d’audit d’avril 2006) et la Cour des Comptes (lire son dernier rapport de novembre 2019) n’ont eu de cesse de dénoncer le nombre croissant de bénéficiaires et le coût global pour le budget de l’État. Leurs demandes sont toujours les mêmes : restreindre le barème d’appréciation du taux d’invalidité, les conditions d’octroi et le coût de l’allocation.
Et une fois encore, ces allocataires ne sont pas à la fête dans le rapport de la mission Autonomie. Elle propose de transférer au nouveau risque dépendance (rebaptisé Autonomie pour faire positif) ce qu’il reste de financement de l’Etat en faveur des adultes handicapés : AAH dès 2022, garantie de ressources des travailleurs en Etablissements et Services d’Aide par le Travail, amélioration de l’habitat et autres postes budgétaires. Elle recommande également d’unifier l’évaluation des situations individuelles des personnes âgées et handicapées, ce qui est totalement incohérent, et de fusionner les Maisons Départementales des Personnes Handicapées au sein de Maisons Départementales de l’Autonomie pour traiter indistinctement handicap et dépendance liée à l’âge. De même, le budget serait unifié pour ces publics alors qu’actuellement les financements sont clairement différenciés.
L’ensemble de ces propositions ne vise pas à rendre les dispositifs d’aide aux personnes handicapées ou âgées plus lisibles, ce n’est qu’un prétexte : il s’agit de mutualiser, comprimer, économiser, réduire. La mission estime à 4 milliards d’euros le financement supplémentaire nécessaire à la nouvelle branche autonomie, et elle propose des solutions pratiques pour trouver cet argent : d’abord, faire payer les Allocataires Adultes Handicapés en réduisant leurs prestations de 400 millions d’euros. A ces 10% facilement trouvés s’ajoutent 10% ponctionnés sur les aides aux personnes âgées, histoire de faire dans l’égalité de traitement. 700 autres millions proviendraient d’une réduction de l’avantage fiscal à l’emploi d’aides à domicile, au risque de favoriser le travail au noir dans ce secteur, ce qui entrainerait une baisse de recettes de cotisations sociales et d’impôt sur le revenu de ces aides humaines, mais ce n’est pas le propos de cette mission Autonomie. Et pour compléter à hauteur des 4 milliards, hausse des cotisations sociales des travailleurs et des retraités, augmentation des droits de succession, entre autres vieilles recettes.
Mais l’essentiel réside dans la volonté de débarrasser le budget de l’État de la Solidarité Nationale en direction des personnes handicapées : leurs revenus de remplacement seraient en totalité payés par la Sécurité Sociale (rentes accident du travail-maladie professionnelle, pension d’invalidité, Allocation Spéciale d’Invalidité, AAH quel que soit le taux d’invalidité, garantie de ressources en ESAT), sur les ressources propres de ses différents régimes qui reposent sur les cotisations sociales et la Contribution Sociale Généralisée (CSG). C’est 12 milliards d’économies pour le budget de l’État, et un changement fondamental de philosophie : les adultes handicapées seraient renvoyés vers la protection sociale, assimilée au soin et au médical, tout le contraire de la société inclusive clamée à coup de discours par le Gouvernement. Ce transfert constituerait une nouvelle charge pour une Sécurité Sociale dont le déficit est aggravé par la crise sanitaire du coronavirus Covid-19. Mais ce n’est pas grave, une taxe sur les rémunérations et pensions a été créée pour couvrir ce déficit, la CRDS (lire l’actualité du 28 mai 2020 et cet Éditorial édifiant sur cette excellente affaire financière). Quelques dizaines de milliards à payer en plus aux banques par les travailleurs et les retraités, cela vaut bien de créer un risque Autonomie !
Laurent Lejard, septembre 2020.