Le projet de loi d’égalité des droits et des chances devrait être promulgué à la fin janvier 2005, après un dernier examen à l’Assemblée Nationale entre le 20 et le 23 décembre 2004, puis une Commission Mixte Paritaire en janvier. Il reste peu de temps pour obtenir que la loi qui régira durant de longues années la vie des personnes handicapées soit modifiée sur quelques points problématiques, voire porteurs d’une discrimination légalisée. D’autres articles novateurs doivent être soutenus pour ne pas tomber sous les coups de boutoir de lobbys farouchement accrochés à leurs prérogatives.

La liberté du choix de vie.
 La capacité de pouvoir choisir librement son mode de vie suppose des conditions économiques adaptées : un revenu d’activité ou patrimonial, ou des ressources minimales assurant une vie décente et une participation à la vie sociale (sortir, se divertir, voyager). Les allocations actuelles sont insuffisantes pour atteindre le deuxième objectif. Dans les grandes villes, où le coût de la vie et du logement sont plus élevés, on ne peut raisonnablement parler de vie décente avec 587 euros par mois. C’est pourtant ce qui restera mensuellement aux adultes handicapés si le complément autonomie de leur allocation n’est pas rétabli par les Députés. Les modalités de calcul de cette allocation adulte handicapée ne doivent prendre en compte que les seuls revenus du bénéficiaire, pour mettre un terme à des situations intolérables dans les couples. Il convient de rappeler que l’on n’est pas obligé de demander cette allocation, et que les personnes dont le conjoint est « riche » ont toute latitude en la matière.

Le cumul entre l’A.A.H et un revenu d’activité professionnel a toujours été possible, mais d’un niveau trop faible pour être incitatif. Les Députés ont la faculté, sans que cela entraîne une charge supplémentaire pour les finances publiques, de définir dans la loi le plafond de cumul qui devrait être instauré au niveau de quatre fois le Smic. Il n’est pas cohérent, à l’époque du développement des nouvelles technologies, de créer une catégorie particulière d’allocataires bénéficiant d’une prestation majorée au titre de l’incapacité à travailler. En pratique, nombre d’allocataires seront tentés, face aux difficultés qu’ils rencontrent pour trouver un emploi, de se faire inclure dans cette catégorie d’inaptitude qui pourrait se transformer en ghetto dont la seule conséquence positive sera de réduire durablement le nombre de demandeurs d’emploi handicapés.

La délégation de soins n’est pas une entaille dans l’exercice de la profession infirmière, comme le crient haut et fort les syndicats d’infirmiers libéraux, mais une disposition indispensable au respect du choix de vie. Une personne handicapée dépendante a le droit de se lever et de se coucher à l’heure qu’elle souhaite, matinale ou tardive, de sortir de chez elle à sa convenance, de voyager sans contrainte, etc. Le maintien de l’obligation de faire exécuter des soins quotidiens par un personnel infirmier « statutaire » constitue une entorse à ces libertés : combien d’infirmiers sont-ils prêts, en pleine nuit, à aller changer à domicile une sonde ou une canule ? La formation de tierces personnes et d’auxiliaires de vie à certains actes de soins participe de la reconquête de l’autonomie et de la liberté des personnes handicapées dépendantes, elle doit être complémentaire de l’intervention à domicile de professionnels de santé.

L’accessibilité.
 Le caractère d’obligation nationale de l’accessibilité a été introduit dans le droit français par la loi d’orientation du 30 juin 1975 et réaffirmé par celle du 13 juillet 1991 sur l’accessibilité. Diverses dispositions réglementaires ont été prises, mais leur application demeure aléatoire et diversifiée du fait de l’absence de normes précises largement popularisées. « L’accessibilité dépend d’une impulsion politique », affirme le Secrétaire d’Etat aux transport François Goulard, et on le croit volontiers quand on examine la situation dans les transports : les constructeurs français d’autobus et d’autocars font encore obstacle à la mise en oeuvre de la Directive Européenne relative à l’obligation d’accessibilité de ces véhicules, les collectivités locales rechignent à financer l’adaptation des lignes urbaines et interurbaines. Les réseaux ferrés se sont retranchés derrière les dispositions dérogatoires à l’accessibilité de la loi d’orientation des transports intérieurs de 1982 pour s’abstenir d’aménager progressivement leurs installations. Après avoir sciemment rejeté les personnes à mobilité réduite, S.N.C.F et R.A.T.P tentent de diluer dans une très longue période la mise en accessibilité des trains, métros et gares. Les Députés donneront-ils une prime à leur mauvaise foi ou rétabliront-ils, avec sanction, le délai raisonnable de 10 ans pour la mise en accessibilité de tous les réseaux de transports collectifs ? Disposition corollaire, l’obligation de proposer un système de transport de substitution en cas d’impossibilité technique, situation généralement invoquée pour les métros de Paris et de Marseille, se heurte à la mauvaise organisation des services de transports spécialisés : déployés inégalement sur le territoire national, les conditions d’accès diffèrent d’une ville à l’autre, elles doivent être unifiées et la loi en est le moyen le plus efficace.

La citoyenneté.
 Les Sénateurs ont introduit, dans les articles relatifs à la scolarité, une disposition restrictive à l’intégration dans l’école ordinaire : le choix d’orientation exprimé par les parents ne doit pas provoquer « des troubles qui perturbent, de manière avérée, la communauté des élèves » (article 8-II). Comment alors concilier une attitude de rejet de la part de parents qui refuseraient, par exemple, que leurs enfants côtoient un petit autiste ou un jeune infirme moteur cérébral ? Le « trouble de la communauté des élèves » pourrait aisément servir de « cache- handicapés », et cette disposition qui légalise de facto la discrimination doit disparaître de la loi, sans amendement.

Il n’est plus tabou d’écrire que les associations nationales de personnes handicapées sont davantage représentatives des structures médico- sociales qu’elles gèrent que des populations qu’elles prétendent défendre. Leurs tergiversations lors des différentes phases d’élaboration et d’examen du projet de loi ont mis en évidence un réel décalage entre les besoins des personnes et les revendications associatives. Qui se souvient que l’Unapei s’est prononcée favorablement après avoir obtenu que la prestation compensation soit versée pour les personnes hébergées en établissement ? Comment comprendre que des associations (A.F.M, APAJH, ANPIHM et plus d’une vingtaine d’autres) qui exigeaient, en mai dernier, le retrait du projet de loi pour le refonder se soient précipitées dans les groupes de travail destinés à amender le texte mais sans en remettre en cause les principes fondateurs ? La soixantaine d’associations qui occupent tous les sièges au sein du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées, ainsi que dans les instances locales, n’apparaissent plus représentatives et le Sénat l’a bien compris en instaurant une présence à parité des associations d’usagers et gestionnaires. Ces dernières veulent maintenir leur monopole de représentation et leur conception du compromis, voire de la compromission. Il est temps que les personnes handicapées soient représentées par leurs pairs, au travers d’associations de défense ayant voix au chapitre et de procédures électives telle celle que le Conseil Régional d’Ile de France veut mettre en oeuvre dès 2005. La démocratie a tout à gagner de l’affranchissement des personnes handicapées de ceux qui parlent en leur nom, à raison comme à tort.

Les personnes vivant en établissements médico-sociaux, quel qu’en soit le statut, disposent de quelques dizaines d’euros par mois pour vivre. Jusqu’à 90% de leur allocation adulte handicapé peut leur être retenu au titre d’une participation aux frais d’hébergement. On peut également redouter que la future Prestation Compensation soit intégralement récupérée par des établissements qui trouveraient là une source supplémentaire de financement, après la Sécurité Sociale, l’Etat, les collectivités locales, les subventions caritatives, les actions publiques de collecte de dons. La participation des personnes hébergées en institution à la vie en société, et leur citoyenneté, nécessite une capacité économique minimale, indispensable pour sortir de l’établissement et avoir des activités de loisirs ou autres en milieu ordinaire. Aucune décision n’est prise, aucun chiffre n’est communiqué pour ce que l’on appelle le « Reste à vivre ». En définissant un montant minimal, en pourcentage de l’allocation adulte handicapé, qui soit net de toutes retenues, frais et charges, les Députés contribueraient à l’émancipation économique et citoyenne de personnes maintenues dans la dépendance d’établissements censés participer à leur intégration sociale.

Jacques Vernes, décembre 2004.

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