A deux semaines du premier tour de l’élection présidentielle, les candidats n’ont esquissé que de vagues propositions en direction des 8% de personnes handicapées que compte la France. Sur les douze prétendants à l’Elysée, nous avons demandé à la moitié d’entre eux, sur la base d’une parité droite gauche, de répondre à cinq questions précises et personnelles sur ce qu’ils mettraient en oeuvre en direction des personnes handicapées. Contrairement à d’autres publications qui semblent s’être contentées de bonnes intentions et de propos rédigés par le staff des candidats, nous avons voulu privilégier le face à face. Seul Jean-Marie Le Pen a accepté un entretien direct, les autres laissant à leurs conseillers le soin de rédiger des propos qu’ils ont néanmoins signé et revendiqué. Quant à François Bayrou, même son équipe n’a pas estimé utile de répondre, son porte-parole « handicap », le député Yvan Lachaud, s’étant simplement proposé pour être interviewé à sa place ! Les interviews sont publiées dans l’ordre officiel établi par le Conseil Constitutionnel.


Question :Avez-vous un rapport personnel au handicap et comment considérez-vous les personnes handicapées, comment définissez-vous leur place dans la société ?

Marie-George Buffet : Comme beaucoup de personnes, j’ai dans mon entourage proche des personnes concernées par le handicap : le fils d’une de mes collaboratrices est tétraplégique à la suite d’un accident de piscine. Je connais ce douloureux problème et toutes les difficultés liées au projet de vie à construire après l’accident. Avoir un projet de vie, c’est essentiel; encore faut-il que la société soit accessible et permette pleinement l’épanouissement de chaque personne en situation de handicap !

Dominique Voynet : Je suis médecin et j’ai été urgentiste. Des corps brisés par des accidents de la route resteront à jamais dans ma mémoire. Je suis adhérente d’Handicap International. Je considère que mon devoir de citoyenne est de dénoncer la production et l’utilisation des bombes à sous-munitions qui mutilent et tuent encore au XXIème siècle. Il ne me semble pas possible de définir en tant que telle la place des personnes handicapées dans la société. Les situations sont multiples, à l’image de la société tout entière. Je pense que le politique doit répondre à l’urgence sociale qui touche de nombreuses personnes en situation de handicap, et renforcer encore les moyens pour permettre aux personnes handicapées de bien vivre : accessibilité des lieux publics, mobilité, accès à la culture, pratique sportive, éducation et formation, et bien sûr emploi.

Ségolène Royal : Je ne souhaite pas évoquer de cas personnels, vous le comprendrez, sauf à vous confirmer que, comme beaucoup de Français, ces questions ne me sont pas étrangères, loin s’en faut. Par ailleurs, avoir exercé des responsabilités ministérielles dans ce secteur a encore renforcé ma conviction que notre regard sur le handicap doit changer et que les pouvoirs publics doivent enfin passer aux actes, en se plaçant à la hauteur des enjeux. Les handicapés doivent occuper toute leur place, de plain-pied dans la société, à tous les âges.

Jean-Marie Le Pen : Je serai probablement la seule personne handicapée candidate ! [Rappelons que M. Le Pen a perdu l’usage d’un oeil N.D.L.R] Si je fais de la politique, c’est parce que j’ai un certain sentiment altruiste, et je suis très directement concerné, ma filleule, qui est la fille de Madame Arnautu [Conseillère régionale Ile-de-France N.D.L.R], est une grande handicapée. J’ai vécu cette épreuve douloureuse depuis plus de 20 ans, pas tout à fait comme ses parents bien sûr, mais avec une affectivité particulière. En règle générale, j’ai toujours défendu le principe de la solidarité nationale, qui évidemment s’exerce au bénéfice de ceux qui ont eu le moins de chance et à la charge de ceux qui ont eu les moyens de faire face à la vie avec plus de facilité. Certaines formes de handicap permettent l’intégration, d’autres pas; on ne peut pas demander que les gens qui ne sont pas en mesure de rendre un service à la collectivité doivent pouvoir bénéficier d’une aide et d’un soutien sans participation. En revanche, chaque fois que c’est possible, il y a intérêt d’être intégré à la société, avec ses droits et ses devoirs. Et comme je suis un défenseur de la préférence nationale, je pense que ce sont les handicapés français qui doivent prioritairement bénéficier des aides.

Nicolas Sarkozy : Je me souviendrai toute ma vie de cette conversation avec un grand écrivain de langue française qui m’expliquait que, dans sa famille, on ne prenait aucune décision sans demander l’avis de son enfant trisomique. J’ai la conviction profonde que le handicap enrichit celui qui le côtoie. C’est pourquoi j’ai toujours pensé que la société avait le devoir de garantir aux personnes handicapées les mêmes conditions d’existence qu’aux personnes valides, et à ces dernières, la chance de pouvoir apprécier le courage et la volonté des personnes handicapées. A l’école, au travail, dans les loisirs : la place des personnes handicapées est au milieu des personnes valides, ni plus, ni moins.

Question : Quel revenu vous apparaît décent pour les personnes handicapées sans emploi ? Mettrez-vous en place une politique volontariste de retour à l’emploi sanctionnée par le maintien d’allocations et prestations comme le proposaient le socialiste Vincent Assante et les sénateurs U.M.P Paul Blanc et Nicolas About en 2002 dès lors que la compensation du handicap serait assurée ?

Marie-George Buffet : Pour ce qui concerne les revenus, cette question est essentielle pour vivre pleinement sa citoyenneté. C’est pour cela que je propose que l’Allocation Adulte Handicapé soit augmentée de 300€ et indexée sur le SMIC, lui-même porté à 1.500€ par mois. Pour ce qui concerne l’emploi, je considère que chaque personne en mesure de travailler doit obtenir un emploi en milieu ordinaire. Toutes les aides techniques existent pour faciliter l’emploi des personnes en situation de handicap. Pour cela, il faut mettre en place une politique volontariste en direction des entreprises, pour qu’elles embauchent et qu’elles soient durement sanctionnées si elles ne le font pas, par une amende vraiment dissuasive. Toute personne handicapée qui travaille doit garder son allocation compensatrice car le handicap a un surcoût qu’il faut prendre en compte.

Dominique Voynet : Apporter une réponse chiffrée à cette question procéderait d’une démagogie particulièrement poussée, tant la réponse varie en fonction des besoins spécifiques de la personne, de son lieu de vie… On ne vit pas de la même manière en ville avec des services développés, en milieu rural ou dans une banlieue mal desservie par des transports en commun non accessibles. Ce qui me semble important, c’est de garantir aux personnes sans emploi handicapées ou valides des conditions dignes de vie. En ce qui concerne l’Allocation Adulte Handicapé, je propose non seulement de la revaloriser fortement, mais également de permettre aux personnes de la conserver dans le cas d’un retour à l’emploi.

Ségolène Royal : L’objectif d’une politique sociale juste devrait être l’égalité de traitement en toute circonstance, ce qui signifie pouvoir prendre en compte les charges spécifiques résultant du handicap De même, le système d’aide ne doit évidemment pas être désincitatif à l’insertion professionnelle ou à la reprise du travail. Par ailleurs je me suis engagée pour une revalorisation immédiate de 5% de l’Allocation Adulte Handicapé.

Jean-Marie Le Pen : On pourrait faire l’effort d’aller jusqu’au SMIC, ce qui serait une amélioration très sensible des revenus. Les personnes handicapées sont dans une situation très défavorisée, il faut qu’il y ait un avantage compensatoire de leurs difficultés supplémentaires de vivre.

Nicolas Sarkozy : Je considère, d’abord, que l’Allocation Adulte Handicapé ne permet pas de vivre décemment, elle n’atteint même pas le seuil de pauvreté, et, au nom de la solidarité la plus élémentaire, je propose d’en revaloriser le montant de 25%. Je veux ensuite encourager et reconnaître le mérite des personnes handicapées qui décident de reprendre un emploi, en mettant en place un revenu de solidarité active, c’est-à-dire une allocation qui permette de toujours garantir un vrai supplément de revenu entre celui qui travaille et celui qui ne travaille pas.

Question : En matière de discrimination positive, êtes-vous favorable au maintien de l’actuelle obligation d’emploi de personnes handicapées, voire souhaitez-vous la renforcer ? Quelle serait l’ampleur de cette discrimination positive en faveur des personnes handicapées, tel l’accès à des prestations, des aides techniques ou pratiques ?

Marie-George Buffet : J’y suis favorable, en faisant vraiment appliquer le quota de 6% qui n’est toujours pas atteint !

Dominique Voynet : J’y suis forcément favorable ! Je souhaite que les services de l’Etat et les collectivités territoriales donnent l’exemple, en mettant en place des recrutements dérogatoires, donnant droit à titularisation, à tous les niveaux de responsabilités. Ces dispositifs doivent être accompagnés des mesures nécessaires au maintien dans l’emploi : transport adapté, informatique, aides techniques et humaines. L’accès des personnes handicapées aux formations professionnelles doit également être renforcé par les régions qui pilotent ce chantier. Il n’y a, par exemple, aucune fatalité à ce que les personnes handicapées mentales soient orientées uniquement vers le secteur des espaces verts. Notre société doit regagner de l’ambition dans ce domaine.

Ségolène Royal : Je ne sais pas s’il convient forcément d’évoquer, ici, une discrimination positive. En tout cas, je suis favorable au maintien de l’obligation d’emploi dans le secteur privé et à sa récente extension dans le secteur public où les employeurs, en particulier l’Etat, ne sont pas particulièrement exemplaires en la matière. Or, la puissance publique ne peut raisonnablement imposer aux entreprises, dans ce domaine comme dans d’autres, des règles dont elle s’affranchirait.

Jean-Marie Le Pen : Cette discrimination peut avoir une certaine valeur lorsqu’il s’agit de rompre une habitude et de créer un autre comportement. Mais j’aimerais connaître les résultats de l’expérience qui a été tentée, les avantages que les entreprises ont pu tirer légitimement de l’emploi de travailleurs handicapés. Quand l’intégration est possible, il faut le faire; quand ce n’est pas possible, une contribution doit être versée, non pas dans le gouffre de l’argent public mais spécialement réservée à l’amélioration du sort des handicapés.

Nicolas Sarkozy : Je suis choqué lorsque des entreprises préfèrent payer une amende plutôt que d’embaucher au moins 6% de personnes handicapées, et scandalisé que les administrations ne respectent pas le quota de 6%. J’ai moi-même quadruplé, en trois ans, le nombre de personnes handicapées employées par le Conseil général des Hauts-de-Seine. Je ferai tout pour que le seuil de 6% soit atteint. Pour les services de l’Etat, ce sera pour moi un impératif. J’entends bien convaincre aussi les collectivités locales et les entreprises. Je veux favoriser l’accès des personnes handicapées aux établissements d’enseignement supérieur où elles sont beaucoup trop peu présentes. Cette égalité de droits, je veux d’ailleurs l’étendre à tous les domaines de la vie quotidienne. C’est pourquoi je veux rendre opposables devant les tribunaux les principes d’accessibilité des bâtiments publics et de scolarisation des enfants handicapés dans les établissements ordinaires.

Question : Qui doit financer la mise en oeuvre du volet accessibilité (transports, cadre bâti, etc.) de la loi de février 2005 ? Le budget de l’Etat, un cinquième risque Handicap et Dépendance financé par des prélèvements fiscaux ou sur les revenus, les collectivités territoriales, les entreprises de transport et donneurs d’ordre dans le Bâtiment et les Travaux Publics ?…

Marie-George Buffet : Je considère, afin d’éviter toute discrimination, que le handicap doit être de la responsabilité de l’Etat. C’est donc à lui de financer le volet accessibilité, en permettant aux régions, qui ont la responsabilité des transports, de mettre pleinement en oeuvre le volet accessibilité.

Dominique Voynet : L’Etat et les collectivités territoriales, chacun à leur niveau, doivent financer ce volet. En ce qui concerne l’Etat, on est là dans le paradoxe très français : le gouvernement fait voter une loi ambitieuse dans les termes, tout en ne se donnant pas les moyens budgétaires de la mettre en oeuvre très rapidement. Les entreprises du B.T.P et les opérateurs de transports publics doivent également prendre leurs responsabilités et veiller à garantir l’accessibilité des personnes handicapées dès la conception des projets. Ce qui suppose qu’on les associe à la conception même des bâtiments et équipements !

Ségolène Royal : J’observe que cette question, certes complexe, aurait sans nul doute mérité de recevoir une réponse avant que la loi ne soit votée, si l’idée était bien entendu, que ce texte soit appliqué… Quoi qu’il en soit, je suis à la fois favorable à la mise en oeuvre d’une cinquième branche de notre protection sociale et à une discussion entre toutes les parties, dont je ne veux pas préjuger des résultats. C’est dans la concertation que nous établirons les meilleurs mécanismes par lesquels la solidarité nationale devra nécessairement s’appliquer. Au minimum, les aides de l’Etat, de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie, des conseils généraux et régionaux, des Caisses d’Allocations Familiales, etc., devront être plus efficacement coordonnées et concentrées sur cette priorité.

Jean-Marie Le Pen : Lorsqu’il s’agit d’équipements publics, c’est l’Etat ou les collectivités locales qui doivent financer. C’est une affaire d’intérêt général qui dépend globalement de la collectivité. Lorsqu’il s’agit de propriétaires privés, ils doivent se plier à la loi. On peut prendre pour eux des mesures incitatives, comme des déductions fiscales sur les travaux. L’accessibilité est plus facile à faire dans les bâtiments neufs que dans des immeubles anciens parfois difficiles à adapter. Mais je constate en circulant qu’il y a des progrès, d’ailleurs souvent je préfère prendre les rampes, cela m’est plus agréable que les escaliers.

Nicolas Sarkozy : Chaque collectivité doit assumer sa part de responsabilité et financer les éventuelles mises en conformité des bâtiments ou des moyens de transport relevant de ses compétences. S’agissant de la dépendance liée au handicap et au vieillissement, dont les coûts sont immenses et croissants, je propose la création d’une cinquième branche de la protection sociale : elle permettra d’assurer une prise en charge des situations de perte d’autonomie.

Question : Des enfants, des adolescents étrangers viennent en France faire traiter les séquelles de leur handicap et recevoir des soins non prodigués dans leur pays d’origine : seraient-ils encore accueillis, auraient-ils le droit de s’établir en France si tel était leur choix de vie ?

Marie-George Buffet : Dans le cadre de coopérations, oui : tous les enfants pourraient être accueillis pour être soignés. Une politique active de co-développement doit permettre de former des médecins et de fournir les matériels nécessaires pour que ces enfants aient réellement le choix de vivre ensuite, dans les meilleures conditions, dans leur pays.

Dominique Voynet : La France « pays des droits de l’homme » ? Au-delà du discours, cela doit devenir une réalité. La politique brutale conduite depuis 5 ans en direction des personnes sans papiers ne me satisfait pas du tout. Ceci dit, il n’est pas interdit de mettre en place des coopérations permettant d’améliorer concrètement la prise en charge des jeunes handicapés dans leur pays, au plus près de leur famille.

Ségolène Royal : Le droit des étrangers s’applique à tous. Il y a une voie, celle de la raison, entre un laxisme qui n’est pas souhaitable, et une stigmatisation, malheureusement de mise depuis 5 ans, qui n’est pas digne d’un grand pays comme la France. J’ajoute que la France, dans le cadre de sa politique de co-développement, peut mettre au service de certains pays son excellence médicale.

Jean-Marie Le Pen : Notre pays est dans une situation telle qu’il est au bord de la faillite, et largement parce qu’il s’est cru capable d’assumer une forme de charité publique à l’ensemble du monde et d’abord à l’égard de ceux qui sont rentrés chez lui, même sans son autorisation. Ce n’est plus possible et nous sommes acculés à un choix cruel que je fais selon la ligne de séparation de la préférence nationale. Il existe d’innombrables misères dans le monde, on ne peut faire que des gestes symboliques mais la France ne peut plus prendre à sa charge une générosité qui n’est plus à sa portée. Pour les étrangers qui sont là, il y a une situation de fait acquis, on ne va pas leur causer le traumatisme de les renvoyer. En revanche, il doit être clair que nous n’accepterons plus d’entrées nouvelles qui ne seraient pas assumées par les Etats, des O.N.G ou des organisations caritatives.

Nicolas Sarkozy : C’est pour la République un honneur et un devoir que d’accueillir et de soigner les étrangers dans les meilleures conditions possibles, en particulier les enfants et les adolescents. Je me suis toujours montré très attentif à ce que les personnes en situation de handicap nécessitant des soins, obtiennent un droit de séjour en France lorsqu’elles ne pouvaient pas bénéficier du traitement approprié dans leur pays d’origine. Je considère toutefois que ce séjour ne fait pas naître un droit à demeurer en France : sur ce sujet, je crois qu’il faut savoir faire preuve d’humanité, mais aussi de responsabilité.


Propos recueillis par 
Laurent Lejard, avril 2007.

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