Vivre au Cameroun avec un handicap et sans aide technique entraine une existence pénible dans un monde à part, comme abandonné à soi-même avec un grand désir de faire partie du « monde normal ». Cette affirmation se vérifie chaque jour car les aides techniques servent d’appui ou de soutien à la mobilité, permettant aux personnes handicapées non seulement de ne point se sentir comme des individus en marge, mais en plus de vivre comme des membres à part entière de la société. Bien des personnes handicapées qui ont réussi à se hisser à des niveaux élevés de la société camerounaise doivent en effet en grande partie leur réussite, et leur capacité à surmonter les défis quotidiens, aux aides à la mobilité.

Peter Tabe, par exemple : fonctionnaire au Ministère des Finances, atteint d’une paralysie suite à une attaque de polio à l’âge de trois ans, il a d’abord bénéficié d’une paire de béquilles glanée par son père au Centre National des Personnes Handicapées. Par la suite, il a aussi eu recours aux attelles, aux tricycles, aux chaussures orthopédiques et, aujourd’hui, à une voiture automatique, adaptée pour lui. Selon ses dires, bien qu’il n’ait pas été facile pour son père de quitter son village (Mamfé, situé dans le sud-ouest) pour la capitale Yaoundé afin de se procurer ces matériels, les sacrifices consentis ont pesé de tout leur poids. Même si ces aides ont coûté très cher à sa famille, elles ont été indispensables pour l’instruction de Peter, sa carrière professionnelle et son intégration dans la société : « Les obstacles n’ont pas été complètement éliminés, mais ils ont été considérablement réduits », constate-t-il.

Le Centre National de Réhabilitation des Personnes Handicapées Cardinal Paul Emile Léger (CNRPH), considéré comme le centre référence au Cameroun, ne se charge pas que de la rééducation de personnes atteintes de divers types de handicap, il opère aussi dans la fabrication de certaines aides techniques. Joseph Njock, chef de l’atelier orthopédique, se réjouit d’avoir formé d’autres personnes qui, à leur tour, ont créé d’autres structures à travers le pays, notamment l’Atelier Orthopédique du SAJOCAH (Saint Joseph Children and Adult Home) à Bafut, dans la région de nord-ouest. Ces centres fabriquent des chaussures orthopédiques, attelles, béquilles et prothèses allant approximativement de 15.000 francs CFA à 800.000 francs CFA (23€ à 1.220€). Le plus coûteux étant les prothèses, le matériel de fabrication étant importé.

Le tricycle, seule aide technique roulante de fabrication locale coûtant entre 125.000 et 175.000 Fcfa (190€ à 267€), est incontournable pour les personnes ayant un handicap moteur, eu égard à son adaptation aux routes camerounaises. Henry Nya dirige l’atelier de fabrication de tricycles du CNRPH à Yaoundé. Il affirme que sa satisfaction réside non seulement dans sa capacité à former d’autres personnes (à partir de son fauteuil roulant) mais aussi dans l’amélioration apportée par ses tricycles dans la vie des individus. On peut lire de la joie sur son visage alors qu’il raconte l’histoire d’un homme originaire de Yokadouma dans la région de l’est, qui était prêt à tout pour enlever sa fille du sol où elle avait rampé à quatre pattes pendant treize ans. Grâce à l’un de ses tricycles, celle-ci est à l’aise aujourd’hui.

Malheureusement, de nombreux Camerounais handicapés bravent toujours le handicap sans aide technique. Ceci est dû en partie à l’ignorance, mais bien plus à la pauvreté. L’absence de sécurité sociale et d’allocations rendent la situation encore plus difficile. Pour ces raisons, les personnes handicapées se tournent vers les Organisations Non Gouvernementales. Entre autres, on retrouve Jean Pascal Somb Lingom, mal voyant et étudiant en cycle de doctorat à l’Université de Yaoundé I. Lui, comme Castrick Nguegue, aveugle et vendeur ambulant, a besoin pour se déplacer d’une canne blanche, dont le coût varie, selon la qualité, entre 10.000 et 30.000 Fcfa (15€ à 45€). Ils ont essayé en vain d’obtenir ces cannes du Ministère des Affaires Sociales, qui donne des appareillages de manière occasionnelle, lors des journées de solidarité. Sinon, les dépenses en aides techniques sont à la charge de chacun, de sa famille ou des tiers de bonne volonté. C’est ainsi qu’après ses demandes infructueuses auprès des pouvoirs publics, Jean Pascal a finalement obtenu de l’aide d’un expatrié, qui continue d’envoyer des cannes blanches non plus pour lui seulement, mais aussi pour d’autres personnes handicapées visuelles.

« Sans la canne blanche, je ne serais pas capable de vivre aussi indépendamment que je le suis aujourd’hui et, certainement, je n’aurais pas atteint le niveau d’éducation que j’ai », explique-t-il. Castrick Nguegue précise que la nature dangereuse de son commerce ambulant lui a valu la perte de deux cannes blanches après qu’il a été renversé par un véhicule. Incapable de s’en procurer une nouvelle, il se sert actuellement pour se déplacer d’un tube de parasol peint en blanc…

Ces aides techniques sont davantage disponibles, grâce à une implication plus prononcée du Gouvernement, la prise d’initiatives par les personnes handicapées elles-mêmes et une collaboration plus étroite avec les ONG nationales et internationales. Certaines bonnes volontés font aussi des « gestes magnanimes » de temps à autre. On peut également mentionner la Journée de l’Action Sociale organisée chaque année par le Ministère des Affaires Sociales avec le parrainage de Madame Chantal Biya, Première Dame du Cameroun. Au cours de cette journée, parmi d’autres actes altruistes, des aides techniques sont offertes aux personnes handicapées (cannes blanches, béquilles, fauteuils roulants, etc.). Malgré toutes ces actions, on note toutefois que le nombre des personnes handicapées dans le besoin dépasse de loin le nombre de celles qui en bénéficient. Et les personnes handicapées vivant en zone urbaine ont davantage accès à ces matériels que celles vivant en zone rurale.

Contrairement aux années passées, où de nombreux enfants ou adultes devaient ramper à quatre pattes, beaucoup aujourd’hui se déplacent à l’aide de béquilles et de fauteuils roulants manuels et électriques, dont le prix à l’importation reste encore très élevé : au moins 300.000 Fcfa (457€) pour un fauteuil roulant manuel et plus de 3.000.000 Fcfa (4.573€) pour un fauteuil électrique dont les pièces de rechange restent encore rares (batteries, moteurs, boites de commande, pneus, etc.). De plus en plus de personnes malvoyantes adoptent les cannes blanches, mais doivent se débrouiller pour apprendre à les utiliser, tandis que les amputés bénéficient de prothèses. D’autres personnes handicapées ont des voitures automatiques qui sont achetées déjà adaptées à l’extérieur du pays, les personnes handicapées ne faisant pas encore confiance aux garagistes locaux en matière d’adaptation de véhicule.

Le 3 décembre, le Cameroun se joint à la communauté internationale pour commémorer la Journée Internationale des Personnes Handicapées. Thème 2010 : « Tenir les promesses, intégration du handicap dans les Objectifs du Millénaire pour le Développement à l’horizon 2015 et au delà ». Qu’à cela ne tienne ! Il va sans dire que tant que des actions concrètes ne seront pas entreprises pour s’assurer que chaque personne handicapée soit en mesure d’entrer en possession d’une aide technique nécessaire à sa mobilité, source de son autonomie, ces objectifs seront difficilement atteints…


Hilda Bih, décembre 2010.

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