« Nous ne voulons plus de charité sociale, mais une vraie loi de programmation pour une vraie citoyenneté », proclamait en juin 2004 la présidente de l’Association Française contre les Myopathies (AFM), Laurence Tiennot-Herment. Plus de six ans après cette déclaration fracassante, le droit à compensation du handicap instauré par la loi du 11 février 2005 est menacé de faillite : les gouvernements successifs laissent aux conseils généraux une part grandissante de paiement de la Prestation de Compensation du Handicap (PCH). Cette dernière est désormais au coeur d’une querelle entre le groupe des départements dirigés par la gauche au sein de l’Association des Départements de France (ADF) et l’État, groupe qui a engagé un contentieux au Conseil d’État et au Conseil Constitutionnel. Un bras de fer financier qui ignore le quotidien de personnes handicapées présentées tels de simples consommateurs d’une PCH désignée comme une charge insupportable pour les finances locales. Dans le même temps, de nombreuses personnes handicapées se plaignent de la faible couverture par la PCH de leurs dépenses réelles et multiplient les actions de solidarité et de charité publique.
Nous sommes pourtant loin de l’apocalypse proclamée en avril 2005 par le président de l’Association des Départements de France, Claudy Lebreton, qui avait commandé une étude d’impact auprès du cabinet supposé très sérieux Ernst & Young : elle prévoyait qu’en 2009 la PCH bénéficierait à 400.000 personnes pour un total de deux milliards d’euros dont les trois-quarts seraient à la charge des Conseils Généraux. Or, selon les statistiques de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA) chargée de financer la PCH, la réalité est très différente : fin 2009, elle recensait 90.792 prestations accordées, soit 22,7 % de la prospective du cabinet Ernst & Young, payées avec 510 millions d’euros fournis par la CNSA et 320 millions à la charge de la centaine de départements français. On est loin des 1,5 milliards de dépenses prévues par Claudy Lebreton, même si la part de PCH financée par les Départements a fait un bond de 300 millions d’euros en un an !
En 2010, la CNSA estime la dépense totale à 1.058,3 millions d’euros, dont 505,9 couverts par elle et 552,4 millions par les Départements. Auraient-ils anticipé ? Le montant moyen de PCH attribué mensuellement est nettement en baisse, à 811€ d’aides humaines en 2010 contre 881€ pour 2009 et 915€ d’aides techniques contre 805€. Le législateur a laissé le payeur être décideur, les conséquences néfastes commencent à apparaître. Dans ce contexte, la CNSA n’est toujours pas en mesure de fournir des données qualitatives permettant d’apprécier le niveau de couverture par la PCH des besoins de compensation exprimés par les demandeurs. En 2009 et 2010, la Caisse s’efforçait encore de déployer au sein des MDPH un système unique d’information statistique, condition indispensable pour évaluer précisément des inégalités territoriales ressenties sans pouvoir les traiter : si l’on sait déjà que la part des attributions de PCH varie de 31 à 97% des demandes selon les Départements, il n’est actuellement pas possible de disposer d’un tableau de bord département par département, un outil indispensable pour agir sur les inégalités territoriales.
De ce fait, il est impossible de savoir si certains départements réservent la PCH aux invalides à 80 % et plus, de connaître la part réelle couverte par la prestation et donc les dépenses restant à la charge du demandeur, d’apprécier les disparités dans le financement complémentaire assuré par les Fonds Départementaux de Compensation. Pour ces derniers, la CNSA constate dans le rapport 2009 des MDPH que « 27 départements présentent une absence d’intervention du fond. Cela peut s’expliquer soit par l’épuisement des crédits, soit simplement par le fait que le département n’a pas transmis les données à la CNSA » (sic). Or, les Fonds Départementaux de Compensation devaient apporter un complément financier pour couvrir les dépenses restant à la charge du demandeur; en 2009, ils ont été mobilisés pour à peine plus de 1.200 dossiers dans la France entière. L’État l’a bien compris, en s’abstenant en 2009 de verser sa contribution à ces fonds, accentuant le sentiment général d’abandon du droit à compensation du handicap.
Laurent Lejard, janvier 2011.