Un récent documentaire réalisé par Jean-Michel Carré remet sur la place publique un sujet tabou : la vie affective des personnes handicapées et le lent cheminement vers une assistance pour leur permettre d’avoir une sexualité. Réalisateur de plusieurs documentaires sur la prostitution, les femmes en prison, les travailleurs du sexe, Jean-Michel Carré développe dans le film « Sexe, Amour et Handicap » un aspect très particulier de la sexualité : « Pendant le tournage de mon dernier film sur la prostitution, j’ai rencontré un homme handicapé qui m’a raconté son histoire, ses désirs, comment il les assouvissait avec des prostituées, subissant des abus, des vols, jusqu’à ce qu’il en trouve une qui accepte son handicap. Depuis, il vit sa sexualité. »
« Là, on n’était pas dans les problèmes de frustration, mais dans la privation totale, pour un nombre élevé de personnes handicapées. J’ai enquêté, et découvert l’assistance sexuelle. J’ai eu envie d’aller plus loin, en voyant qu’il y avait une autre manière d’aborder le problème ». Jean-Michel Carré expose la problématique en présentant des témoignages de personnes handicapées privées de vie sexuelle, ou en grande difficulté d’en avoir une.
Le film ouvre sur l’image d’un corps caressé par une esthéticienne relaxologue, qui propose bénévolement ses services de massages sensuels aux adhérents de l’association provençale Choisir sa vie, dont la présidente, Yvette Boyer, présente l’action qu’elle mène pour un droit effectif à la sexualité des personnes lourdement handicapées.
Christelle, infirme motrice cérébrale, parle quant à elle de sa féminité qu’elle veut préserver, des mois d’amour qu’elle a vécu avec un homme valide après avoir quitté une institution médico-sociale puis de la séparation : « Mon corps est en prison, et mon coeur est brisé… »
Charly Valenza explique pour sa part comment une relation amoureuse qui s’était créée entre lui et une employée de l’établissement de soins dans lequel il résidait a été finalement détruite, et les conséquences qu’il a dû supporter. Bien d’autres personnes handicapées témoignent de l’impossibilité, où des très grandes difficultés qu’elles rencontrent pour lier une relation intime, avoir une sexualité.
En contrepoint, un éducateur évoque les tentatives de suicide de personnes handicapées confrontées à la privation de toute sexualité. La sexologue Sheila Warembourg, qui a travaillé durant quelques années pour le Service d’Accompagnement de la Vie Affective et Sexuelle des personnes handicapées d’Handicap International (aujourd’hui dissous), s’efforce d’informer sur la situation vécue et de convaincre de la nécessité de mettre en place des solutions. Face aux réticences des féministes, elle incite à la rencontre avec des personnes handicapées pour faire comprendre le besoin d’assistance sexuelle. Une assistance présentée en détail, avec les personnes équilibrées qui s’y forment, et le cadre dans lequel elle est pratiquée en Suisse.
Des féministes à sens unique.
C’est sur le transfert d’expérience en France que le débat achoppe violemment, les mouvements féministes manifestant dans les médias le refus absolu d’accepter la création d’une assistance sexuelle aux personnes handicapées, qu’ils assimilent tout de go à la prostitution, suivis par la ministre chargée (entre autres) des personnes handicapées, Roselyne Bachelot : « Vous ne croyez tout de même pas que la ministre chargée du droit des femmes va cautionner un truc pareil ! », avait-elle répondu en pleine conférence de presse, le 6 janvier dernier.
Mais quel est le niveau d’information de Roselyne Bachelot sur le sujet particulier de l’assistance sexuelle, ce « truc pareil » qu’elle s’est gardée de définir ? Elle n’a pas vu le documentaire de Jean-Michel Carré, bien qu’on lui ait proposé à trois reprises de le visionner. Dans l’intervalle, Roselyne Bachelot a rencontré deux opposantes virulentes : Maudy Piot, psychanalyste aveugle et présidente de l’association Femmes pour le dire, Femmes pour agir, suivie de Gisèle Halimi, célèbre avocate et militante féministe. La ministre a également rencontré les dirigeantes du mouvement de lutte contre la prostitution Le Nid, en novembre 2010. Secrétaire d’État auprès de Roselyne Bachelot, Marie-Anne Montchamp, a de son côté visionné le documentaire. Mais quel espace d’expression et d’action politique lui reste-t-il après les déclarations tonitruantes de « sa » ministre ?
Maintes fois sollicitée, Gisèle Halimi, fait répondre par sa secrétaire « qu’elle n’a pas assez le temps en ce moment ». « Elle est vent debout contre l’assistance sexuelle », explique-t-on pourtant au cabinet de Marie-Anne Montchamp. Contactée à deux reprises, la référente du Nid sur les questions de l’assistance sexuelle aux personnes handicapées ne répond pas davantage… Corédactrice d’une tribune parue sur Libération en août 2009 sous le titre « Assistante sexuelle pour handicapés ou prostitution ?« , la présidente de la Ligue du droit international des femmes, Annie Sugier, refuse également de s’exprimer : « La ligue est occupée par la situation des femmes en Egypte », explique l’avocate Linda Weil-Curiel, qui répond au téléphone. Silence encore de Sabine Salmon, autre corédactrice du même texte, présidente de Femmes Solidaires. Silence toujours de Claudine Legardinier, également corédactrice de la tribune d’août 2009. Ces féministes très occupées ont visiblement pour stratégie de publier des tribunes libres, répondre aux questions de médias complaisants et refuser les interviews contradictoires, une véritable négation du dialogue et du débat démocratique.
Un débat que ne peut fuir Maudy Piot, du fait de sa présence dans le monde du handicap : « Je ne veux pas entrer dans la polémique, explique-t-elle, parce que la sexualité des personnes handicapées est une vraie question ». Sa proposition : « que les personnes handicapées sortent des établissements, de chez elles, aillent à la rencontre des autres grâce au financement de ces sorties par la Prestation de Compensation du Handicap pour qu’elles trouvent chaussure à leur pied. »
Mais la réalité est éloignée de ce monde idéal, la PCH couvrant à peine les dépenses d’aide humaine pour la seule « survie » à domicile. Maudy Piot différencie toutefois le massage sensuel et la caresse, qu’elle estime acceptable, de l’assistance sexuelle rétribuée, qu’elle qualifie de « prostitution », tout en fantasmant : « Qui va être aidant sexuel ? Des personnes défavorisées, sans métier, qui n’ont pas de formation, des gros, des moches, qui plaisent pas ? 90 % des demandes d’assistance sexuelle proviennent des hommes, ce sont des femmes qui devront répondre, c’est une marchandisation du corps de la femme ! » Cet argument ne lui appartient pas, il est porté par le Mouvement Le Nid à la commission handicap duquel elle participe. Mais face à la souffrance des mamans qui en sont réduites à masturber leur enfant handicapé qui n’y parvient pas tout seul, la psychanalyste Maudy Piot assène : « Ça fait plaisir à la mère de masturber son gamin… »
Militant pour la vie autonome des personnes lourdement handicapées, Marcel Nuss, qui a cofondé le Centre Ressources Handicaps et Sexualités (CeRHeS) est indigné par les termes du débat : « Il y a un déni de démocratie. Roselyne Bachelot prend l’avis des opposants à l’assistance sexuelle mais pas de ses défenseurs. Elle met la pression sur les parlementaires qui seront saisis prochainement d’une proposition de loi [préparée par le député UMP Jean-François Chossy NDLR]. C’est une attaque partiale et ignorante de la réalité : cette ministre ne sait pas ce qu’est l’assistance sexuelle ! » Assistant sexuel suisse diplômé, Jacques Arnould sait, lui, ce que c’est : « Une dimension primordiale de l’assistance sexuelle, c’est de bien rappeler et de mettre en évidence que ce sont des moments joyeux. La sexualité, c’est quelque chose de fun, de sympa, de rigolo, on prend du plaisir, on prend du bon temps ! »
Quel dommage que certain(e)s prétendent encore interdire ce plaisir aux personnes auxquelles il est le plus inaccessible…
Laurent Lejard, février 2011.