La République Démocratique du Congo est, selon l’Organisation Mondiale de la Santé, au premier rang des pays d’Afrique Centrale en nombre de personnes handicapées. Et leur situation sociale et professionnelle demeure préoccupante. D’une manière générale, ces personnes vivent en majeure partie dans des centres d’hébergement communément appelés « centres pour handicapés ». D’autres restent dans leurs familles ou vivent chez des « personnes de bonne volonté ». Leur accès aux soins est tributaire de la politique sociale accordée aux personnes vulnérables, notamment dans les hôpitaux généraux qui sont établis dans toutes les provinces. A Kinshasa, elles reçoivent une réduction allant jusqu’à 80 % des frais des soins, et parfois une exemption faute d’une capacité de pouvoir d’achat. Il n’existe pas de politique distributive des aides techniques. Les personnes qui ont la chance d’être en contact avec des donateurs extérieurs se servent, des trafics s’organisent : dans les rues de Kinshasa se pratique à qui mieux mieux la vente d’équipements orthopédiques reçus par des ONG ou d’autres partenaires sous forme de dons ou avec exonération…
Ni emplois ni allocations. Le Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti (SMIG) est de 60€, et les personnes handicapés n’ont pas droit aux allocations ni aux indemnités liées à leur handicap si elles sont employées. « En me comparant avec le travailleur qui attend son SMIG, mon travail à mon compte me permet de gagner un revenu journalier de 5.500FCFA soit l’équivalent de 8€ par jour, explique Espérant Muyabi Samba, handicapé moteur et cordonnier sur la place Victoire à Kinshasa. Et parfois c’est moins que ça, en temps de crise. Je vis de mes activités de cordonnerie artisanale à cette place publique. Donc je me considère mieux. »
« Mon souci est lorsque la Police disperse les débrouillards, elle ne me laisse pas le temps d’emballer mes affaires. Je suis traité sur un pied d’égalité et sans humanité avec ceux ayant des conditions physiques normales, elle ne tient pas compte de mon état de handicapé. Je me demande à quel point ma vie est hypothéquée puisque personne ne m’offrira un job et que même ce que je fais en m’établissant à mon compte ne présente aucune garantie de viabilité. La seule différence peut-être entre moi et le travailleur qui attend son SMIG est qu’il est protégé et moi non ». Actuellement, Espérant Muyabi Samba loge chez des religieux d’une Paroisse de la confrérie des Eglises du Réveil.
Bien que garantie par l’article 49 de la Constitution, la représentation des personnes handicapées dans la gestion des affaires publiques n’est que figurative car la loi organique de mise en oeuvre n’a pas été élaborée et la proposition de coopter des personnes handicapées à l’Assemblée Nationale bloquée par son ancien président Olivier Kamitatu. Makangila Ngiengo, un étudiant couturier handicapé moteur, sait bien que la Constitution congolaise reconnaît qu’il est du devoir de l’Etat de promouvoir la présence des personnes handicapées dans les institutions nationales, provinciales et locales : « Que ferai-je lorsque je terminerai mes études ? Je vois déjà mes ainés handicapés qui ont terminé leurs études aujourd’hui, ils ne se retrouvent nulle part d’une manière générale. Ils finissent pour la plupart par s’établir à leur compte à cause de la discrimination. A quoi servirait alors que j’étudie, parce que la discrimination continue encore de plus belle ? ». Actuellement, Makangila Ngiengo vit chez sa mère au quartier Delveaux, à Binza dans la commune de Ngaliema, il n’a pas de matériel de départ pour commencer une activité professionnelle à son propre compte.
Agir pour soi et les autres. Les femmes handicapées sont sérieusement marginalisées, quand bien même la question de la parité est un sujet d’actualité : « Si les hommes handicapés éprouvent d’énormes difficultés pour s’épanouir, comment il en sera pour les femmes handicapées ! déplore Annie Ngoie Cimone, présidente de l’Association Congolaise pour la Libération et le Développement de la Maman Handicapée (ACOLDEMHA). Il faut une politique qui cadre avec les actions de promotion de la femme handicapée. » D’autres, comme Marie Makaba et Aimé Kalanda, regrettent que des parents handicapés abandonnent leurs enfants, à cause de leurs faibles revenus. Ces enfants sont recueillis par des ONG. Devant cet état des choses, Annie Ngoie Cimone, handicapée moteur, appareillée de deux prothèses, a initié une série de formation pour des femmes handicapées à la cuisine de la chikwange, la salaison des poissons, la fabrication de produits d’entretien des locaux. A cette formation, elle a associé toute les catégories de handicap (moteur, visuel, auditif, mental). Elle pense que se limiter à une seule activité constitue également un facteur de risque de vulnérabilité causé par la mévente.
A Béni dans la Province du Nord Kivu, André Djunga, handicapé moteur, explique que les infrastructures scolaires et sociales ont été détruites. Le seul centre est Heri Kwetu, qu’il dirige, en instance de réhabilitation limitée faute de moyens. L’accès des personnes handicapées aux aides techniques est un calvaire et les centres orthopédiques quasiment inexistants. André Djunga s’apprête à effectuer des visites analogues pour établir les réalités dans les autres provinces comme le Sud Kivu et le Maniema, pour montrer d’autres réalités de la vie des personnes handicapées, dont le nombre est sensiblement en augmentation du fait des actes de guerre.
Des droits à construire. Les invalides suite à un accident du travail reçoivent leur salaire normal pendant six mois, et les deux tiers durant les six mois suivants. Rares sont les indemnisations, sauf cas exceptionnels. Après la première année d’invalidité, ces victimes sont licenciées. La pension de retraite ne dépasse pas 30€, les retraités sont gérés par l’Institut National de Sécurité Sociale, où le paiement de la pension de retraite continue à s’amenuiser chaque année avant de disparaître plus tard.
Dans les entreprises, la discrimination à l’emploi est visible car selon certains patrons, les travailleurs handicapés sont des charges supplémentaires. C’est pourquoi, nombre de ces personnes sont établies à leur compte, sans dispositions légales les concernant. Le Centre Intercommunautaire Congolais pour les Personnes avec Handicap a élevé un département chargé des relations professionnelles au rang de syndicat spécifique pour intégrer la dimension du secteur informel dans la politique de l’emploi. Actuellement, l’Union Nationale des Travailleurs du Congo (UNTC), encadre cette activité en vue de son intégration dans la politique de l’emploi, non seulement pour les travailleurs handicapés du secteur informel mais aussi ceux du secteur formel. Des négociations sont en cours au Ministère de travail pour insérer ces considérations dans la nouvelle politique congolaise axée sur la reforme du secteur de l’emploi.
Devant cette situation, le Ministère des Affaires Sociales a saisi l’opportunité de la Décennie Africaine des Personnes Handicapées, lancée en 1999 par les Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Union Africaine, pour lancer son Programme National d’Intégration et de Réhabilitation des Personnes Handicapées (PNIR/PH). Il doit couvrir les domaines de la statistique, de la réforme des associations des personnes handicapées, de la tenue de leurs états généraux, de l’entrée en vigueur du plan d’action national révisé et des modalités de son financement, etc. Un cadre de concertation d’Etat a été relancé en janvier 2010, le Comité National d’intégration et de réhabilitation des Personnes handicapées, avec mission de mobiliser les ressources nécessaires au financement du PNIR/PH, de suivre et évaluer toute action menée en direction des personnes handicapées. Mais le Ministère, qui alloue environ 5 % de son budget à des subventions, doit faire face à la multiplication d’organisations de personnes handicapées, souvent créées par dissidence de grosses associations gérées « en monarque » par leurs dirigeants. Il en résulte une situation confuse, aggravée par l’instabilité des animateurs de cette politique à la tête de l’exécutif de l’État…
Innocent Zengba, coordonateur du Centre Intercommunautaire Congolais des Personnes avec Handicap, avril 2011.