Pour survivre, les personnes handicapées sont réduites à la mendicité dans les grandes villes du Bénin. Ce phénomène est encore plus remarquable les jours de culte, devant les églises et les vendredis devant les mosquées. Parmi ces mendiants « professionnels », on remarque les personnes sourdes qui ont à leur cou une ardoise portant l’inscription « Je suis sourd muet, aidez-moi à manger », des aveugles avec un bâton dans une main et tirés par un enfant de l’autre, des handicapés moteurs (les plus nombreux) avec des béquilles, assis à même le sol, dans un tricycle ou un fauteuil roulant, seuls ou accompagnés.

Il n’est pas rare de rencontrer des situations apparemment graves : des mendiants handicapés de tous âges viennent à vous avec une ordonnance pour implorer votre aide financière parce que l’un de leurs parents serait gravement malade et/ou hospitalisé : ils ont tout dépensé, il faut immédiatement leur acheter des médicaments… On voit aussi des enfants dont le handicap est exploité à des fins pécuniaires par leurs parents ou leurs tuteurs, tapis dans l’ombre. Ainsi, la mendicité est devenue une profession qui se généralise avec l’arrivée de personnes handicapées des pays limitrophes du Bénin, usant de toutes sortes d’astuces dont la principale est l’exhibition de leur handicap.

Pourquoi ? Chez certains, c’est la recherche du gain facile. Chez d’autres, à cause de la pauvreté ou de la misère des parents. Mais également l’échec d’un éventuel emploi, du fait du handicap. Ce sont ces diverses situations qui font sombrer dans la mendicité. Il ressort toutefois que la prolifération de la mendicité est le résultat d’une complicité entre donateurs (qui sont à la recherche perpétuelle d’une bonne conscience conformément aux préceptes des religions) et personnes handicapées, pour qui cela constitue une aubaine.

La mendicité est même confortée par la religion traditionnelle au Bénin : certaines pratiques du Vodoun recommandent de faire expressément l’aumône aux mendiants pour se voir guérir d’une maladie ou obtenir la réalisation d’un voeu. « Le métier de la mendicité est comme une drogue, explique Karim, handicapé moteur croisé à un carrefour de Cotonou. Quand on y entre, on n’en sort pas facilement et ce métier est sans retraite, car on vit au jour le jour de la recette de sa mendicité, qui n’est pas florissante. »

Si certains ont vainement tenté de s’en sortir, d’autres ont réussi. « Je suis sortie de la mendicité à cause des moqueries que les camarades d’école infligeaient à mes enfants », confie Angèle, handicapée motrice âgée de 36 ans, célibataire avec deux enfants. Elle s’est retrouvée dans la mendicité après avoir été chassée de chez son mari par les beaux-parents à cause de son handicap. Elle mendiait devant l’Eglise Notre-Dame de Cotonou avec ses deux enfants, tout en racontant sa mésaventure. Sa situation lui permettait d’émouvoir les coeurs sensibles.

Après avoir mendié pendant dix ans, ses deux enfants ont été envoyés à l’école par des âmes charitables. Un jour, les enfants ont refusé de continuer d’aller à l’école car leurs camarades les traitaient « d’enfants de mendiante » tout en imitant la marche déformée de leur mère. Avec ses économies, Angèle et ses enfants sont rentrés au village, à Cové dans le département du Zou, où avec l’aide de parents et de quelques bonnes volontés, elle a ouvert un petit atelier de tisserande de pagne. La scolarité de ses enfants est prise en charge par le centre de promotion sociale à travers l’UNICEF. « Je me sens fière aujourd’hui de quitter la mendicité au profit d’un travail que j’avais appris suite à ma déscolarisation », conclut Angèle.

C’est également parce que ses camarades de basketball en fauteuil roulant se moquaient de lui que Codjo a abandonné la mendicité pour le trafic d’essence, activité du « secteur informel » à la frontière du Nigeria. Agé de 30 ans, marié et père deux enfants, il a un niveau d’études primaires, sa femme est revendeuse de pain. Codjo travaille pour le propriétaire d’une Vespa transformée, avec de gros réservoirs fixés sur le cadre. Son embauche s’est faite par l’intermédiaire d’un membre de son association handisport. Chaque transport de la cargaison d’essence est payée 1.000FCFA (1,52€), il fait en moyenne quatre livraisons par semaine, et gagne moins que ce qu’il trouvait dans la rue. Mais il ne compte plus retourner à la mendicité, pour rester membre de son association handisport : « Compte tenu de notre handicap, les douaniers ne nous arrêtent pas au cours du trafic. Je suis fier de mon travail, car je ne suis plus obligé de me cacher comme dans la mendicité. J’ai intérieurement honte quand la question de la mendicité est évoquée au niveau de l’association. »

La mendicité prend de l’ampleur à cause de l’inexistence des structures de prise en charge réelle des personnes handicapées pour leur intégration sociale et professionnelle. Le caractère cosmopolite des villes favorise aussi cet état de choses dans la mesure où personne ne connaît la provenance de l’autre, pour la préservation des moeurs comme au village. Il est très difficile de trouver des mendiants reconvertis : lorsque les alternatives ne sont pas rapidement à la hauteur des fruits de la mendicité, on y retourne. « J’ai quitté la mendicité parce qu’on m’a inscrit à l’école et que ma mère a bénéficié d’une assistance financière du Centre de Promotion Sociale, pour son activité génératrice de revenus », explique Daniel, 14 ans, élève en CE2 à l’école Centre de Gbégamey. Sa mère a quitté leur village pour Cotonou suite au décès de son père. Ils n’avaient nulle part pour habiter et dormaient dans la rue. La mère passait de maison en maison pour chercher à blanchir le linge. « Un jour, poursuit Daniel, quelqu’un m’a conseillé d’aller à la Mosquée Centrale de Zongo pour recevoir de l’aumône. C’est ainsi que je me suis retrouvé dans le cercle des mendiants. Dans sa recherche de travail, un monsieur a conseillé à ma mère de m’envoyer à l’école. Ma mère continue de faire la blanchisserie et vend de la bouillie le soir. »

Le « métier » de mendiant est-il si facile ? S’il a l’avantage de sortir de la précarité liée à une solidarité basés sur la croyance, ses inconvénients sont nombreux. Il est difficile de se faire une place dans la rue, il faut conquérir son territoire sinon c’est la bagarre avec le concurrent qui occupait la place. Il faut rester au soleil du matin au soir, exposé aux gaz d’échappement de véhicules roulant à l’essence trafiquée. Et risquer d’affronter le regard d’une connaissances ou d’une autre personne handicapée : quel sentiment de honte lorsque l’on vous traite de mendiant !

La mendicité tendra à disparaitre lorsqu’une bonne politique d’intégration sera mise en place à partir de la scolarisation, de la formation et de l’emploi de la personne handicapée. Conscientes du phénomène, les autorités politico-administratives le règlent parfois en ramassant tous les mendiants des artères principales, à l’approche des sommets internationaux par exemple, sous prétexte de rendre la ville propre. Drôle de façon de régler un problème socio-économique…

Nassirou Domingo, mai 2011.

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