Question : Quelle est la conception, la perception que vous avez du handicap et de la place des personnes handicapées dans la société d’un pays aussi développé que la France ?

Marine Le Pen : 
On juge justement l’évolution de la société à la manière dont elle traite ceux qui n’ont pas la même chance que les autres et qui, soit par naissance, soit par accident, se voient privés des facilités d’accès, de transport, de travail. C’est vrai que jugée à cette aune, la France a beaucoup d’efforts à faire, et c’est la raison pour laquelle, dans le projet présidentiel que j’ai présenté, on a fait un effort tout particulier pour prendre en compte les problématiques liées à celles des handicapés. L’idée étant celle du droit à l’indifférence, plus que du droit à la différence. Le droit à l’indifférence passe par le fait d’essayer de faire en sorte, dans la société, que les difficultés qui sont les leurs soient le moins marquées possible.

Question :
 Selon vous, quelles sont les carences actuelles de la société française et comment envisagez-vous de les corriger ?

Marine Le Pen : 
D’abord, il y a une difficulté majeure liée à une décentralisation qui s’est effectuée dans des conditions extrêmement négatives. Les Maisons Départementales des Personnes Handicapées sont régulièrement critiquées dans leur fonctionnement, dans leur financement ou absence de financement. Il y a parallèlement toute une série de handicaps qui sont quasiment niés dans la société française, je pense par exemple à l’autisme. Et puis dans la vie quotidienne, quand le pouvoir d’achat des Français baisse, le pouvoir d’achat des handicapés baisse plus vite, c’est ainsi. En conséquence, on formule dans le projet présidentiel toute une série de propositions, un effort financier incontestable en situation de crise mais qui nous est apparu nécessaire, qui passe d’abord par le développement des Etablissements et Services d’Aide par le Travail, ce qui permet un suivi individuel des jeunes travailleurs handicapés et polyhandicapés. On y réserve 2,5 milliards dans notre budget. On revalorisera l’Allocation aux Adultes Handicapés parce que c’est essentiel aujourd’hui : de nombreuses voix se sont élevées, les promesses de Nicolas Sarkozy n’ont pas été tenues dans ce domaine, nous réservons à ce poste presque 7 milliards.

Question :
 Pour lui faire atteindre quel niveau ?

Marine Le Pen : C’est un effort de 1,1 milliard par an, pour augmenter l’allocation de 33% en cinq ans.

Question : L’un des débats sous-jacents du quinquennat de Nicolas Sarkozy était de mettre en balance travail et allocations. Est-ce que les personnes handicapées doivent davantage s’incarner dans la valeur Travail, ou cette valeur Travail n’est pas primordiale par rapport à la place des personnes handicapées dans la société que vous souhaitez ?

Marine Le Pen : Bien sûr, je crois que la valeur travail est la même pour tout le monde. Cette exclusion sociale que représente l’impossibilité d’accéder au travail dont souffrent les handicapés, et dont souffrent également un certain nombre de chômeurs, ne peut pas être compensée exclusivement par des allocations. Quand le travail n’est pas possible, à l’impossible nul n’est tenu ! Mais quand il est possible, la priorité est l’accès au travail. On comprend mal, dans un monde où l’on a des possibilités de travailler à domicile ou par Internet, bien plus importantes aujourd’hui qu’hier en termes d’offre de travail aux handicapés, on comprend mal pourquoi cet investissement n’est pas fait de manière plus efficace.

Question : L’un des problèmes de ces dernières années réside dans les restrictions d’accès aux soins, des forfaits, des déremboursements, dont souffrent beaucoup de personnes handicapées mais aussi des personnes pauvres. Qu’envisagez-vous dans ce domaine ?

Marine Le Pen :
 Je me suis exprimée à de multiples reprises contre les déremboursements de médicaments, je pense que c’est une escroquerie majeure. On a expliqué aux gens qu’on déremboursait des médicaments sous prétexte qu’ils étaient inefficaces. Il n’y a qu’un malheur, c’est que je les connaissais pratiquement tous ! Comme je suis plutôt en bonne santé, cela voulait dire que c’étaient tous les médicaments qu’on m’a prescrit, à moi ou mes proches ! On voit bien qu’il s’agit d’une recherche cupide d’économies de la part de l’État, sur une partie de la population qui, par définition, a besoin le plus de solidarité : les malades de manière générale. On a clairement dit qu’on reviendrait sur un certain nombre de déremboursements, et que l’analyse se ferait en fonction de l’efficacité réelle des médicaments et pas uniquement en fonction de l’argent que l’on peut gratter en arrêtant de les rembourser. Je pense de manière plus générale qu’il y a peut-être une nouvelle politique du médicament à mettre en oeuvre, notamment en détectant l’influence souvent néfaste des lobbys pharmaceutiques. Je pense qu’il faudrait aller vers une vraie gestion des gaspillages, parce qu’en matière de médicaments, tous ceux que l’on jette à la poubelle sont des médicaments auxquels des gens n’ont pas accès. Le système de la prescription à l’unité me paraît quelque chose d’intelligent, de bon sens, et qui, dans un monde qui a fait de l’hyperconsommation et du gaspillage une sorte de marque de fabrique, serait bienvenu. Mais il y a surtout une réforme profonde de la Sécurité Sociale à faire, parce que bien souvent ses déficits sont liés à un mauvais fonctionnement. Je sais qu’en France on adore chercher les responsabilités des uns ou des autres, un coup c’est les malades imaginaires, un coup les médecins, et bien souvent on s’aperçoit que ce sont des dysfonctionnements structurels, des lourdeurs, des vieillissements du système qui en réalité coûtent le plus.

Question : En matière de compensation des conséquences du handicap, la plupart des personnes espérait que la loi de février 2005 assurerait la couverture quasi complète des dépenses liées à l’achat d’un véhicule adapté, d’un fauteuil roulant et autres matériels de vie à domicile, professionnelle ou sociale, ou d’adaptation du logement. Actuellement, il n’en est rien : comment comptez-vous régler ce problème qui fait que le poids financier du handicap continue à peser sur les personnes handicapées ?

Marine Le Pen : 
Je crois qu’il y a des choix à faire. On ne peut pas tout faire, je le dis vraiment avec une grande franchise. Il y avait des choix à faire au départ, et notamment en matière de transports, parce que la mise en conformité des transports en commun, ce sont des milliards et des milliards d’euros. J’ai toujours été étonnée de voir que l’on ne sollicitait pas l’avis des personnes handicapées. Comme elles sont les premières intéressées, on aurait pu commencer par leur demander leur avis : est-ce vous préférez avoir un financement qui vous permette une autonomie individuelle, type prise en charge de taxis, ambulances, véhicules adaptés, ou est-ce que vous préférez que l’intégralité des transports en commun soit mise aux normes ? Etant bien entendu que ce sont des milliards qui sont dépensés, au détriment de la prise en charge d’éléments auxquels les handicapés étaient plus attachés et qui auraient peut-être été un avantage dans leur mode de vie, dans le bien-être qui était le leur. Ce débat-là n’a pas été tranché, on s’aperçoit qu’on est dans une politique totalement absurde où l’on fait des travaux pour permettre l’accessibilité aux handicapés de la gare de Trifouillis-les-Oies : ils peuvent entrer mais ils ne peuvent sortir nulle part parce qu’il n’y a pas de moyens pour faire les travaux, pour descendre du train en question ! On est dans une espèce de machine à fabriquer les mégots où en réalité personne n’est content, ni le contribuable parce que beaucoup d’argent est dépensé avec un bénéfice pour les handicapés qui est moindre, ni les handicapés parce que tout simplement on ne leur a pas demandé leur avis et que ce genre de décision d’investissement financier ne peut s’effectuer qu’avec ceux qui vivent la situation au quotidien.

Question : 
De nombreuses personnes handicapées d’origine étrangère ont dû leur salut, leur survie, leur santé, la récupération d’une autonomie à leur venue en France. Cet asile sanitaire qui a concerné les anciennes colonies françaises a été mis en péril au fil des années. Est-ce que la France a encore vocation à faire de l’asile sanitaire ?

Marine Le Pen : 
Non, elle ne peut plus. Je crois qu’il faut avoir l’honnêteté de le dire : on n’a plus les moyens. On a 1.800 milliards d’euros de dettes, 150 milliards de déficit, 5 millions de chômeurs, 8 millions de pauvres. Des milliers de handicapés attendent de la solidarité. On ne peut plus se permettre de faire de l’asile sanitaire. Ce pourrait être en revanche le rôle d’associations humanitaires, en formant des médecins, en créant des dispensaires dans des pays qui manquent de soins. Mais honnêtement, dire aujourd’hui à l’ensemble de ceux qui sont grièvement malades ou blessés dans le monde, « vous pouvez venir vous faire soigner en France », c’est un mensonge à leur égard et une injustice à l’égard des nôtres. J’assume cette priorité, ce qui ne veut pas dire que je me désintéresse de la douleur et du malheur de ceux qui ont moins de chances que nous, mais je m’aperçois qu’on a plutôt tendance à baisser et eux n’ont pas particulièrement tendance à voir leur situation s’améliorer. Quand on va par exemple chercher des médecins au Bénin, plutôt que de former des médecins béninois pour les renvoyer au Bénin afin qu’ils soignent les Béninois, c’est une absurdité totale. On condamne l’ensemble de ces pays à n’avoir jamais le niveau de soins qu’ils pourraient espérer puisqu’on leur pique leurs élites pour les utiliser dans nos hôpitaux en les payant moitié moins cher. Je n’ai pas du tout cette vision-là, je l’assume très tranquillement et je considère que le premier de mes devoirs est à l’égard de mes compatriotes.

Question : Pour conclure, quel message souhaitez-vous faire passer aux personnes handicapées ?

Marine Le Pen : Je ferai tout pour que le handicap ne soit pas vécu comme un handicap. Tiens, est-ce qu’on ne pourrait pas changer ce mot ? Ce simple terme de handicap est une manière de renvoyer systématiquement les handicapés à leur situation physique. Or, les handicapés sont des citoyens, ils ont des familles, ils ont des enfants, ils ont des parents, ceux qui travaillent ont des problèmes de salaire, de pouvoir d’achat, de sécurité, ils veulent accéder à la propriété. Voilà, le handicap est un handicap, certes, mais une bonne politique serait de faire qu’on est citoyen, on est Français, on s’intéresse et on doit répondre à l’ensemble des problématiques dont celle que représente pour certains le handicap qui est le leur.


Propos recueillis par Laurent Lejard, février 2012.


Le volet handicap du programme présidentiel de Marine Le Pen est présenté sur le site du Front National. La vidéo complète de l’interview de Marine Le Pen est, quant à elle, disponible en suivant ce lien.

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