Pour Elhadj Mamadou Saliou Camara, Premier imam de la mosquée Fayçal de Konakry, la plus grande du pays, l’observation du jeûne du mois de ramadan s’impose à tout musulman. Pour l’étayer, il invoque le verset 183 de la deuxième sourate du Coran : « Ô les croyants ! On vous a prescrit le jeûne comme on l’avait prescrit à ceux d’avant vous, ainsi atteindrez-vous la piété ». Dans l’interprétation qu’il donne de ce verset, le leader religieux estime que « le jeûne est surtout une sorte de mise à l’épreuve de la foi du musulman. Parce qu’au cours de ce mois, ce sont des choses ordinairement licites (manger, boire, fumer et avoir des relations sexuelles avec son épouse légitime) qui sont exceptionnellement rendues illicites au cours de la journée. L’idée étant que celui qui aura réussi à s’y conformer aura, d’une certaine façon, reconnu la souveraineté de la volonté de Dieu sur ses propres désirs et passions. Le jeûne aide à discipliner et à soumettre l’âme du fidèle musulman à la volonté de Dieu. »

Mais à l’en croire, le ramadan n’est pas qu’une question de foi abstraite, le jeûneur peut aussi en tirer des bénéfices sanitaires : « Après onze mois durant lesquels les fidèles se nourrissent et boivent comme ils veulent et quand ils veulent, le mois de ramadan, en les contraignant à se priver notamment de boire et de manger au cours de la journée, participe à la réduction du taux de cholestérol dans leur organisme. » Pour se faire comprendre au mieux, Elhadj Mamadou Saliou Camara fait appel à la métaphore de la vidange qu’on fait subir aux engins motorisés au bout d’une certaine période de course !

Un jeûne sanitaire…

Cette vertu sanitaire se rattachant au jeûne, le docteur Mamadou Baïlo Kanté, consultant de recherche et formation en Sciences médicales et pharmaceutiques, la confirme. Selon lui, les avantages que l’on peut tirer du jeûne de ramadan sont d’autant plus évidents qu’en « temps normal, on prescrit à certaines personnes des régimes alimentaires privatifs quand ils sont sous la menace du surpoids ou d’autres problèmes du même genre. » Le phénomène serait néanmoins plus manifeste en Occident où, estime-t-il, la suralimentation est un véritable problème de santé publique. Se prononçant sur le jeûne par les personnes handicapées en général, et celles mendiantes de Conakry en particulier, le Docteur Kanté pense qu’en raison des conditions de vie qui sont les leurs, « elles ont fini par développer une résistance supérieure à la nôtre. » Comme comprenant que ses propos pouvaient prêter à équivoque, il s’empresse aussitôt d’ajouter : « ce n’est pas là une manière de cautionner ces conditions de vie ou de les minimiser, mais il s’agit d’une lecture que je trouve pour ma part lucide et dénuée de la passion empreinte d’une forte dose de pitié, comme c’est souvent le cas quand il s’agit de se prononcer sur les personnes handicapées. »

…mais une solidarité en berne.

Un point de vue que ne rejettent pas forcément les personnes handicapées elles-mêmes. C’est ainsi qu’Ibrahima Camara, marié, père d’une fille de 12 ans et vivant exclusivement de la mendicité, relativise l’âpreté du jeûne de cette année par le fait que, « ramadan ou pas, nous avons fini par nous habituer à la faim. Sinon, ç’aurait été vraiment dur. Mais nous, nous ne sentons pas forcément la différence entre le mois de jeûne et les autres mois de l’année… Les temps sont tout simplement durs. La preuve est qu’on peut, certaines fois, rester jusqu’à 14 heures avant d’avoir quelque chose à se mettre sous la dent. Pour preuve, ces 2.000 Francs guinéens [22 centimes d’euro] sont tout ce que j’ai eu à gagner depuis le matin alors qu’il est maintenant midi. Est-ce qu’un tel montant peut suffire à nourrir une famille de trois personnes ? Certainement pas. C’est vous dire combien de fois les choses sont compliquées pour nous. »

Bien qu’au même titre que toutes les personnes mendiantes, handicapées ou non, squattant les abords de la mosquée Fayçal et les fondations de la passerelle de Donka, Ibrahima ait reçu d’un opérateur économique libanais une somme de 500.000 GNF (55€ environ), un sac de riz de 50 kg et 10 kg de viande en deux tranches, il dit avoir vécu un ramadan des plus difficiles.

Ainsi, la voix nouée par une colère contenue et teintée d’une certaine résignation, il raconte : « Mon épouse qui pratique un petit commerce et moi-même, nous étions obligés de nous débrouiller, chacun de son côté, pour que quelque fois, elle nous prépare quelque chose. D’autres fois, on ne pouvait s’offrir le luxe d’une préparation. On mettait alors en commun ce que nous avons pour acheter du riz. »

L’achat de plats de riz, c’est également ce à quoi Sory a fait recours au cours du mois de ramadan. Agé de 22 ans et célibataire, il avait, dit-il, « tenu à jeûner ». Natif de la capitale guinéenne contrairement à beaucoup d’autres personnes handicapées qui y mendient, Sory est formel : « Le mois de ramadan 2012 est certainement le plus dur qu’il m’ait été donné de vivre ces dernières années. » A cette particularité, il trouve deux raisons essentielles. D’abord, le fait que contrairement aux années précédentes des plats n’aient pas été suffisamment servis au niveau de la mosquée de Fayçal. Y aurait-il effectivement eu moins de plats que les années passées ou bien serait-ce parce que la population mendiante augmente de manière vertigineuse d’une année sur l’autre ? Sory ne tranche pas. Par contre, en ce qui concerne la seconde raison, il constate que « le mois de ramadan 2012 a été caractérisé par le peu d’aumônes que nous avons reçues. On a eu l’impression que les temps sont de plus en plus durs. Et pour tout le monde, y compris ceux qui nous font des sacrifices. D’ailleurs, cela s’est davantage confirmé durant la fête. Le contexte est si difficile que beaucoup de ceux qui auraient pu nous venir en aide sont désormais, comme nous, des mendiants, handicapés ou pas. »

Les conditions auront, comme on le voit, été difficiles. Pour autant, certaines personnes handicapées avaient tenu à jeûner. Elles le devaient d’autant plus que, selon Elhadj Mamadou Saliou Camara, « le handicapé doit jeûner si son handicap ne relève pas de douleurs de son organisme qui l’empêcheraient d’observer ce troisième pilier de l’islam. » En plus des malades, voyageurs, femmes enceintes et nourrices, seules les personnes handicapées mentales bénéficient d’une exception pour ce qui est du jeûne du mois de ramadan.

Pour le Premier imam de Fayçal, le fait que des personnes handicapées trainent par terre, dans la boue ou la poussière, n’est pas une excuse pour qu’elles s’exonèrent de jeûner ou de prier. Invoquant les attributs divins de l’omniscience et du pardon, il déclare : « Dieu acceptera leurs actes s’ils ont fait les toilettes qui sont en leur possibilité. » Mais selon l’imam, la communauté musulmane se devait de manifester sa solidarité à l’égard des personnes handicapées qui, elles-mêmes, « se devaient de faire montre de responsabilité en n’utilisant pas notamment l’argent à eux offert pour se droguer ou se saouler. »

Sauf qu’en raison d’une austérité qui n’épargne personne, la solidarité religieuse n’aura pas particulièrement été au rendez-vous cette année. Même les entreprises qui avaient l’habitude de se livrer à un certain marketing social sur le dos des pauvres handicapés se seront montrées discrètes. Quant à l’Etat, il ne semble pas encore s’être remis de l’imbroglio qui avait été occasionné par l’expédition punitive du gouverneur de Conakry, Sékou Resco Camara, contre les mendiants de la ville en avril dernier

Boubacar Sanso Barry, septembre 2012.

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