Lancé en 2010 à grand renfort de communication par l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH), Inovaccess voulait imaginer « une ville toute accessible, de la cité à l’entreprise, à l’échelle de trois quartiers de Grenoble riches en emploi. » Avec trois millions d’euros de budget essentiellement consacré à des études de terrain, diagnostics d’accessibilité et opérations de communication, sans bilan financier final.

Au terme de quatre années d’expérimentation, les résultats en terme d’emploi ne sont pas au rendez-vous, à tel point que le directeur régional de l’Agefiph, principal financeur, n’a pas voulu répondre à nos questions, renvoyant les curieux à la belle brochure bilan téléchargeable. On y apprend que les résultats ne sont pas quantifiables, notamment en matière d’emploi des travailleurs handicapés dans les entreprises ciblées. Etrange : l’Agefiph gère les déclarations des entreprises de plus de vingt salariés, verse des primes d’embauche, finance des actions de maintien dans l’emploi, elle dispose de tous les éléments utiles pour apprécier l’impact d’Inovaccess… « Au final, lit-on dans le bilan, apprécier ce dispositif expérimental à la lumière de quelques chiffres bruts (nombre d’embauches réalisées pendant l’opération, volume de travaux…) serait extrêmement réducteur. Il ne faut pas chercher la valeur ajoutée du programme Inovaccess là où elle n’est pas. Sa richesse est justement d’apporter un éclairage sur les obstacles qui ont contrarié l’action et engendré ces résultats modestes, et de façon concomitante, d’identifier les leviers permettant d’agir positivement pour les surmonter. » Quels ont été ces obstacles ?

Pas de réglementation, pas d’accessibilité !

D’abord, l’absence de réglementation sur l’accessibilité des locaux professionnels, une grosse lacune de mise en oeuvre de la loi du 11 février 2005, constate Xavier Berthet, architecte du cabinet Handigo qui a assuré une assistance technique à maîtrise d’ouvrage pour Inovaccess : « Les professionnels ont besoin d’arrêtés précis. Nous, on a pris la réglementation des Etablissements Recevant du Public pour compenser cette lacune. » Il regrette également l’absence de « droit à l’accessibilité » en matière de copropriété, qui pèse sur la possibilité de réaliser des travaux : « Il fallait traiter ces questions-là pour découvrir tous les freins aux projets. » Le cabinet Handigo a affronté d’autres problèmes, comme faire travailler ensemble des structures publiques et privées qui n’ont pas la même « culture » et dont les représentants ont tendance à conserver l’information dans leur giron et à ne pas la partager.

Il a également fallu convaincre des entreprises de jouer le jeu : « Sur les 74 employeurs identifiés comme pouvant bénéficier du programme Inovaccess, lit-on dans le bilan, 17 ont refusé la démarche ou n’ont pas donné suite […] 48 entreprises privées ou publiques ont bénéficié d’un diagnostic financé par le dispositif. En outre, 9 autres employeurs avaient déjà réalisé leur diagnostic […] 16 employeurs ont accepté de poursuivre la démarche en phase d’avant-projet (sur 30 pour lesquels cette démarche semblait nécessaire); 8 employeurs ont effectué des travaux (35 entreprises pouvaient y prétendre) ».

De fait, peu d’entreprises potentiellement concernées par Inovaccess sont allées au terme de la démarche : « Il a fallu ramer pour que chacun participe, reprend Xavier Berthet, bien qu’il y ait une gratuité totale de la réalisation des diagnostics d’accessibilité des locaux professionnels. Ce diagnostic n’obligeait pas à faire des travaux. D’ailleurs, c’est au propriétaire de les réaliser, alors que la plupart des entreprises sont locataires. Tout repose sur la conviction puisqu’il n’y a pas de réglementation d’accessibilité des locaux professionnels, c’est bien pour cela qu’il en faut une. La loi de 2005 a considéré plus importants les loisirs, la culture, la vie quotidienne, que travailler. » Mais comme pour pondérer cette implication décevante des entreprises pour lesquelles Inovaccess était conçu, Xavier Berthet relève que le parc de locaux professionnels du secteur tertiaire est rénové plus souvent que les logements et les établissements recevant du public.

La ville veut poursuivre.

Responsable du Pôle Accessibilité au service Déplacements Accessibilité de la ville de Grenoble, Hervé Buissier inscrit Inovaccess dans la continuité de la politique municipale. « Le travail sur le diagnostic de l’espace public effectué en 2003 et 2004 prend en compte la qualité d’usage (confort, visibilité, éclairage), cela nous permet d’avoir un fonds de plan, pour le guidage. D’autre part, le lancement d’une dynamique avec les différents acteurs de la chaîne du déplacement dans une orientation emploi complète le travail précédemment effectué sur la vie quotidienne, la culture, les loisirs. » Pour apprécier l’impact d’Inovaccess, il établit une comparaison avec l’action de la ville de Grenoble en direction des commerçants du centre-ville : « C’est un projet à long terme dans la continuité de celui des commerces lancé en 2003, dont les exploitants disaient à l’époque qu’ils ne recevaient pas de personnes handicapées. On a levé pas mal de préjugés, ce travail a mis cinq ans à porter ses fruits, les commerçants ont mis du temps à comprendre que l’amélioration de l’accès profite à tous : 80 % des aménagements de commerce entraînent une mise en accessibilité. Et on incite le public handicapé à fréquenter ces lieux-là. » Côté transports, Hervé Buissier ne peut que constater l’implication marginale du Syndicat Mixte des Transports Collectifs au sein d’Inovaccess: « Il travaille en concertation avec les usagers, il a participé à la communication d’Inovaccess, mais pas dans l’opérationnel. Il a néanmoins réalisé des améliorations de signalétique pour certains bus desservant des Etablissements et Services d’Aide par le Travail (Esat) en utilisant des codes couleur. » Si l’accessibilité des transports est répandue à Grenoble, ce résultat a été obtenu par l’action constante des usagers handicapés, dont François Suchod (décédé en septembre 2013) avant qu’il ne s’engage dans la municipalité, et des associations locales de défense.

On relève néanmoins une lacune étonnante : l’absence de la SNCF au sein d’Inovaccess, alors que la gare est dans le périmètre concerné, qu’elle est en pleine rénovation (de même que ses accès et proximité), suscitant des craintes sur l’accessibilité d’une passerelle devant être construite au-dessus des voies pour relier deux quartiers : « Je ne sais pas si on a pensé intégrer la SNCF, avoue Hervé Buissier. La passerelle SNCF reliant les quartiers aura bien des ascenseurs. » Côté aménagements de voirie et du cadre bâti, il estime que l’action de la ville est limitée par l’offre en matériels adaptés, qui ne correspondent pas forcément à l’usage des personnes à mobilité réduite. Côté emploi, il vise le long terme : « Les résultats sur l’emploi pourront prendre plus de trois ans à être appréciés. Et les réticences des employeurs sont présentes. Il y aura une suite au niveau de la ville, qui a décidé d’intégrer Inovaccess pour poursuivre cette action après les prochaines élections municipales. »

Et au quotidien ?

Militante associative et femme handicapée motrice, Sophie Marin Cudraz n’a pas ressenti d’impact du programme Inovaccess sur son quotidien : « La ville de Grenoble à vocation à être sociale et à la pointe de la technologie. Elle se présente aussi comme l’une des villes les plus accessibles de France. » Après avoir assisté au colloque de conclusion d’Inovaccess, le 15 octobre dernier, Sophie Marin Cudraz demeure dubitative : « Mon expérience personnelle ne rentre pas vraiment en résonance avec ce qui a été présenté. Mon sentiment, depuis toutes ces années à cheminer dans la ville de Grenoble, ne fait que se renforcer. Je vis depuis 35 ans dans le quartier Villeneuve. Ce quartier a été conçu entièrement accessible, cependant l’accessibilité s’y dégrade au fil du temps. Avec, comme exemple le plus criant, l’apparition des chicanes, ou barrières sélectives depuis 2008. Elles ont été installées dans le but d’empêcher les deux roues de circuler. Il s’avère que si ces barrières réduisent, empêchent selon les cas, la circulation des fauteuils roulants, des poussettes doubles… les deux roues y passent plus aisément. Cela montre qu’à Grenoble les réglementations ne sont pas toujours respectées. »

Sophie Marin Cudraz porte par ailleurs un regard très critique sur l’efficacité des politiques conduites par les pouvoirs publics et décideurs : « Ce que j’ai ressenti et ressens encore aujourd’hui, c’est le fossé qui existe entre les discours de ceux qui aménagent la ville et la réalité. Le monde du handicap n’est pas réellement écouté. Les décideurs, les acteurs semblent faire ce qu’ils veulent sans réelle concertation. On pense l’accessibilité des personnes handicapées de manière universelle mais on ne répond que très peu aux besoins des populations concernées. Quelques questions restent encore sans réponse : parle-t-on vraiment d’accessibilité, d’une ouverture des possibles, de tous les possibles, de liberté de déplacement et de circulation ou s’agit-il d’ouvrir certains chemins, d’obligations de suivre une voix tracée à l’image de l’autoroute ? Et qui est au coeur de ces projets sur l’accessibilité des personnes handicapées au travail : les entreprises ou les personnes handicapées ? »

Propos recueillis par Laurent Lejard, décembre 2013


Candidate cette année encore à l’Access Cities Award attribué par l’Union Européenne, Grenoble n’arrive qu’en seconde place du titre 2014 dont les résultats ont été annoncés le 3 décembre 2013 à Bruxelles.

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