Deux fois plus de demandeurs d’emploi handicapés en six ans, telle est la brutale réalité des travailleurs handicapés en France. Avec plus 413.000 demandeurs d’emploi handicapés fin 2013, contre 206.000 fin 2007, ce chômage n’en finit pas de croitre, d’autant que les trois-quarts de ces travailleurs sont sans qualification. Des travailleurs qui pourraient trouver une solution en Entreprises Adaptées, qui constituent un bon outil de retour vers l’emploi durable : issues de la réforme des Ateliers Protégés par la loi du 11 février 2005, les Entreprises Adaptées oeuvrent dans le milieu ordinaire de travail, proposant des services et fabriquant des produits dans le secteur concurrentiel, tout en mettant en place l’encadrement social et professionnel indispensable à des personnes « éloignées de l’emploi » selon le terme administratif en vigueur. Pour cela, ces entreprises reçoivent une « subvention spécifique » annuelle, et une aide au poste pour chaque travailleur handicapé « éligible » qui représente la moitié d’un SMIC cotisations sociales incluses.

Inconstance étatique.

Si le secteur des Entreprises Adaptées est rattaché à l’Economie Sociale et Solidaire, il n’est plus réellement encouragé à se développer par les politiques publiques. Pourtant, un Pacte National pour l’Emploi avait été signé en décembre 2011 par le Premier ministre d’alors, François Fillon, dans lequel l’Etat s’engageait à financer 1.000 nouvelles aides au poste pendant trois ans, réévaluer la partie forfaitaire de la subvention spécifique et soutenir la formation des salariés handicapés. 29 mois et un changement de pouvoir plus tard, la signature de l’Etat est piétinée, le Pacte devenu un chiffon de papier : le financement de nouvelles aides au poste a été supprimé par la loi de finances pour 2014, au prétexte que les crédits budgétés en 2013 n’avaient pas été consommés. Pourtant, les Entreprises Adaptées ne perçoivent une aide au poste que pour 80% des travailleurs handicapés éligibles, alors même que 700 aides « non consommées » ont été retournées au budget de l’Etat par les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRRECTE).

« Ce problème est lié à la rigidité du système, une optimisation budgétaire qui empêche toute péréquation, explique Sébastien Citerne, Directeur Général de l’Union Nationale des Entreprises Adaptées (UNEA). Pour 2014, le financement de 22.368 postes a été demandé par les DIRRECTE, mais la loi de finances n’en couvre que 21.536 en équivalent temps plein. » S’il estime qu’une partie des 700 aides non consommées résultent de demandes prévisionnelles de la part d’Entreprises Adaptées qui n’ont pas recruté en conséquence, Sébastien Citerne ne peut que constater un déficit, tout en ayant des difficultés à définir le besoin réel faute d’informations fiables : « Il faudrait créer 500 nouvelles aides au poste chaque année. Cela fait des années que l’on se bat avec l’Administration pour avoir des données fiables sur l’utilisation et l’attribution des aides. Il manque un pilotage de l’emploi dans les Entreprises Adaptées, les correspondants Emploi des travailleurs handicapés des DIRRECTE n’ont pas été réunis avec l’administration centrale depuis deux ans. » Rien d’étonnant, donc, à ce que le Pacte National pour l’Emploi soit en déshérence, même si Sébastien Citerne perçoit une lueur d’espoir dans l’arrivée d’une nouvelle équipe au sein de la Délégation Générale à l’Emploi et à la Formation Professionnelle (DGEFP). Mais il déplore la baisse de la subvention spécifique, qui est passée de 2.200€ par salarié handicapé en 2010 à 1.800€ en 2013, et le refus obstiné de l’Agefiph de soutenir les Entreprises Adaptées : « Elle refuse tout financement, au mépris de la loi, même pour les travailleurs handicapés pour lesquels une aide au poste n’a pas été attribuée. Il en est de même pour la Reconnaissance de la Lourdeur du Handicap. »

L’initiative pénalisée.

Dans ce contexte, il faut que les Entreprises Adaptées soient bien implantées et couvrent des domaines d’activités diversifiés pour se développer. C’est le cas du groupe DSI, qui gère huit établissements employant 510 salariés (dont 84 % de travailleurs handicapés), les trois quarts à Toulouse et Carbonne (Haute-Garonne). Mais sur ses 428 travailleurs handicapés, DSI ne perçoit que 252 aides au poste, soit 59 % de l’effectif éligible. « Elles représentent 13 à 14 % de notre chiffre d’affaires, précise Jean-Louis Ribes, directeur général de DSI. Elles sont complétées d’une subvention spécifique qui représente peu de choses, alors que notre effort de formation de ces travailleurs handicapés représente 2,5 fois le taux obligatoire. »

DSI emploie des travailleurs « tous handicaps » y compris des personnes vivant avec des maladies invalidantes, avec une moyenne d’âge de 43 ans, dans l’impression numérique et offset, l’entretien des espaces verts et la vente de matériels dédiés, la Gestion Electronique de Documents, entre autres secteurs. Parmi ses clients, le Centre National d’Etudes Spatiales (y compris pour des activités classées Confidentiel Défense) et Airbus, deux poids lourds de l’industrie locale de haute technologie.

DSI se veut à la pointe de la technique, comme en témoigne ses machines d’imprimerie numérique et offset. « Elles représentent 10 millions d’euros d’investissement, pour de l’impression en continu ou feuille à feuille », ajoute Jean-Louis Ribes. Si son entreprise tourne bien, il doit affronter l’administration: « La DIRRECTE fait pression pour qu’il y ait des sorties de nos salariés vers les entreprises ordinaires, ce qui ne les intéresse pas parce que leurs rémunérations sont supérieures à ce qu’ils auraient ailleurs. Pour les personnels d’exécution, le salaire médian est de 1.800€, et de 3.000€ pour les cadres. »

La situation est bien différente pour diVertCity, société coopérative qui emploie 14 salariés dont 11 travailleurs handicapés : « Une entreprise récente doit être en croissance pour bien fonctionner, et passer un seuil critique afin d’assurer le bon encadrement de ses salariés handicapés, argumente son créateur, Marc Aristégui. Mais à l’heure actuelle, la DIRRECTE nous dit qu’il y a régression. 2,5 aides au poste ont été accordées à l’ouverture de l’entreprise, j’en ai demandé 10 pour la seconde année alors qu’on nous dit qu’on peut juste espérer la même dotation que l’année précédente. Cela veut dire que l’on n’a aucune visibilité prévisionnelle : les circulaires budgétaires sont publiées en avril, les crédits et dotations ne seront notifiées que plusieurs mois après. Cela ne facilite pas la vie d’une jeune entreprise qui a besoin de croître. » Et a ainsi empêché diVertCity de répondre à des appels d’offres, faute de savoir sur quel montant d’aides publiques elle pourra compter cette année afin de recruter en conséquence : « Cette absence de visibilité empêche de travailler convenablement, fait peser un risque permanent », conclut Marc Aristégui.

Pourtant, les moyens existent puisque sept aides au poste non consommées dans la Région Midi-Pyrénées en 2013 ont été remontées à l’Etat. « La sous-consommation des aides au poste résulte d’un double langage, reprend Jean-Louis Ribes. Ces sept aides au poste ont été remontées au niveau national sans être redistribuées, alors que des postes éligibles ne sont pas dotés ! Théoriquement, les aides non consommées devaient être redéployées sur les territoires déficitaires. De quel droit l’Administration n’attribue-t-elle pas les aides aux postes demandées ? Il n’y a à mon sens aucune raison à ce que la loi ne soit pas appliquée. Je comprends qu’on soit prudent, on nous demande en permanence d’anticiper. Nous, on continue à recruter, en se mettant en danger. Notre modèle économique est fondé sur la loi, mais la modification de la règle du jeu est toujours à notre désavantage. » Et de réaffirmer sa conviction que l’Entreprise Adaptée est un formidable outil d’insertion : « C’est un outil de sortie du chômage ou d’entrée dans l’emploi, comme le démontre une étude réalisée en 2010 pour l’UNEA. Il y a dans notre pays 400.000 demandeurs d’emploi travailleurs handicapés, alors que je considère que 400 000 travailleurs handicapés pourraient être employés en entreprise adaptée. » Il lui reste à en convaincre les pouvoirs publics…

Laurent Lejard, mai 2014.

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