Présenter une nouvelle production du « malade imaginaire », cette pièce de Molière que des millions d’élèves ont forcément étudié bon gré mal gré, aurait pu être une adaptation de plus. Assurément non, c’est probablement l’un des spectacles théâtraux de l’année, celui qu’il faudra aller voir absolument, qui fera parler encore bien des années après…
C’est tout le génie du metteur en scène Philippe Adrien que d’avoir tiré le meilleur parti de ses acteurs, en jouant pleinement de leurs capacités, en faisant totalement disparaître leurs déficiences, en les employant même. Comment savoir que Ouiza Ouyed, sirupeuse et perverse Béline, et Bruno Netter, Argan autoritaire mais dépassé par son petit monde, sont aveugles si on ne vous le dit pas ? Et quand Argan joue d’une canne blanche, comment deviner que derrière le jeu de scène ce n’est pas un comédien voyant qui joue l’aveugle ? Monica Companys (Toinette), sourde oralisée, a certes une élocution particulière, qu’une personne non avertie attribuerait à une origine étrangère : parce qu’elle joue à merveille de sa diction, qu’elle la fait rouler sur les mots, tout en signant parfois quelques passages, venant singer Argan l’air de lui dire telle une enfant « comme ça, toi l’aveugle, tu peux toujours me parler mon ami ». Elle éclate de présence, surmontant sa peur d’affronter un rôle classique : « je me suis toujours demandé si je pouvais jouer autre chose que des rôles de sourds » précise- t-elle, nous apportant sur scène une éblouissante réponse par l’exemple.
Mais la performance d’acteur est venue de Sergio Malduca, surprenant Purgon, dans sa tirade qui le fait évoluer « de la bradypepsie dans la dyspepsie ». Il maîtrise parfaitement durant les quelques minutes de sa saisissante apparition une élocution et un corps qui se tordent habituellement en tous sens : « à force de travail et de volonté, je crois que j’arrive à mon top même si cela me prend plus de temps que les autres » déclare- t-il malicieusement. A tel point que des spectateurs se sont parfois demandés s’il jouait le rôle d’un handicapé !
Ce « Malade imaginaire » est bien plus qu’une pièce de théâtre mettant en scène des comédiens handicapés avec d’autres qui sont valides : « Philippe Adrien ne voulait pas avoir affaire à des handicapés mais à des comédiens dont il a utilisé les particularités pour s’en servir comme un outil artistique » précise Bruno Netter. Avec une réussite remarquable qui mérite des « Top » d’applaudissements !
Laurent Lejard, septembre 2001.