Depuis trois ans, le musée du Luxembourg, géré par le Sénat (qui en a confié l’exploitation à une société privée), conduit une politique d’expositions de prestige. La dernière en date, celle des oeuvres du peintre Amedeo Modigliani, a reçu plus de 500.000 visiteurs. Gauguin et l’école de Pont- Aven prendra sa place le 2 avril. A partir du 1er octobre, ce sont les tableaux du génie de la Renaissance italienne Sandro Botticelli qui attireront les foules. Lesquelles devront se presser sur un trottoir exigu longeant la rue de Vaugirard dans sa partie la plus étroite et sinueuse, parcourue de voitures, taxis et autobus. Si l’accès à ce musée est dangereux, son accessibilité est difficile pour les personnes handicapées motrices : un escalier d’une vingtaine de marches calme les ardeurs picturales des personnes en fauteuil roulant, la longue file d’attente malaisée à contourner sans risques dissuade de nombreux « béquilleux » ou personnes âgées.

Pour faire disparaître ce danger et les nuisances apportées aux riverains, l’administration du Sénat a fait entreprendre, il y a quelques mois, des travaux de mise en accessibilité et de déviation du flux d’attente. Les visiteurs patienteraient à l’intérieur du jardin du Luxembourg, laissant le trottoir libre. Un bâtiment (construit en zone inconstructible sans permis ni accord de l’architecte des Bâtiments de France) comportant un ascenseur permettrait aux personnes qui en ont besoin d’accéder au musée. Des toilettes, qui font cruellement défaut actuellement, seraient aménagées en sous- sol, ainsi qu’un restaurant et des boutiques. Le conditionnel est de rigueur parce que quatre voisins, dont trois personnalités, ont décidé d’empêcher cela. Ces trois illustres personnages sont Claude Cheysson, ancien Commissaire Européen puis ministre sous François Mitterrand, Jacques Lesourne, ancien directeur général du journal Le Monde, et Marian Apfelbaum, diététicien à la mode. Les plaignants ont obtenu de la justice un arrêt des travaux d’accessibilité alors qu’ils étaient réalisés à 90%. Il reviendra au Conseil d’Etat de régler le litige dans les prochains mois.

Claude Cheysson déclare qu’il est « très choquant » que ces travaux aient été entrepris sans permis de construire, créant « une dégradation de l’espace public du jardin du Luxembourg ». L’ancien ministre estime insupportable une « agression » aussi importante du paysage : « le Sénat ne pouvait ignorer la loi ». L’épouse de Jacques Lesourne nous précise que c’est l’un des copropriétaires de l’immeuble, qui souhaite rester discret du fait de ses fonctions publiques, qui a lancé la procédure en justice. « Nous ne savions pas, alors que nous voyions monter les murs de ce bâtiment, qu’il était destiné à faciliter l’accès aux personnes handicapées. Si on nous avait demandé de l’argent pour financer un autre accès moins destructeur pour le jardin, nous l’aurions fait » ajoute Odile Lesourne, évoquant « ces pauvres handicapés ».

En attendant, le personnel du musée continuera à bricoler, en portant les fauteuils roulant ou effectuant des visites guidées en dehors des heures d’ouverture au public, à destination de groupes de personnes handicapées motrices : à cette occasion, elles entrent par la porte arrière, donnant sur le jardin du Luxembourg, procédure qui n’est guère appréciée, en raison des risques encourus, par les compagnies qui assurent (très cher) les oeuvres présentées.

Entre une administration sénatoriale prise en flagrant délit de désinvolture avec l’application des lois votées dans ses murs, un exploitant privé qui souhaite accroître ses sources de profits, et des riverains qui ne voient pas plus loin que la ligne des arbres de « leur » jardin du Luxembourg, voilà les personnes handicapées ou âgées prétexte et victimes d’un Clochemerle de luxe…

Jacques Vernes, mars 2003.

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