Des visages et des voix vous affirment « je suis handicapé(e) » mais à les voir ou les entendre, on a du mal à les croire. Un peu comme ces gens dont le conseiller Electricité a changé leur vie ou qui ont rencontré le bonheur en boulottant du fromage. De toute évidence, aucun trisomique, sourd appareillé, malvoyant à lunettes, myopathe émacié… Rien que de beaux visages souriants, de tous âges et origines, découpés en tranches. Le propos pourrait parler de racisme ou de diversité culturelle, le visuel et le message fonctionneraient tout autant.
Pourquoi avoir caché les handicaps? « Il est très difficile de communiquer sur le handicap, estime Philippe Hessenbruch, directeur de création dans l’agence de publicité Blue Spirit qui a réalisé la campagne. Le sujet est trop large, il est impossible d’avoir une représentation unique. Il devenait alors nécessaire de proposer un message consensuel ». Président de l’association Grande Cause Nationale Handicap créée pour la circonstance (elle est composée des 58 membres du Comité d’Entente plus la F.N.A.T.H -Association des accidentés de la vie), Régis Devoldère précise: « Nous voulions faire une campagne de communication auprès du grand public qui ne soit pas larmoyante. Derrière une personne handicapée, il y a une personne ». Le président estime également que le langage doit être simple et qu’il ne doit pas y avoir d’analogie à faire avec le racisme ou l’antisémitisme: « Le handicap est multiforme, il se vit de différentes façons ».
Le visage découpé a pourtant suscité des réactions : « Lorsque nous avons testé le visuel, complète Philippe Hessenbruch, les personnes qui composaient le panel ont ressenti un malaise important. Ce visage leur posait des questions ». Jean Canneva, président de l’Union nationale des amis et familles de malades mentaux, a été choqué lorsqu’il l’a vu pour la première fois : « Ce visage m’est apparu comme une représentation de la schizophrénie ».
C’est l’association Grande Cause qui paie le coût de la campagne. Chaque association membre a versé un droit d’adhésion de 800 euros, les « grosses » organisations ont contribué davantage pour couvrir un budget global de 122.000 euros environ. Pour l’une d’entre elles, Fait 21, son directeur précise les conditions dans lesquelles le « message » a été élaboré : « Nous n’avons pris aucune part dans son élaboration, affirme Jean- Paul Champeaux. Le Comité d’Entente a fait référence à la campagne similaire de 1995. Ce sont l’Unapei et l’Association des Paralysés de France qui se sont chargées de lancer un appel d’offres. En juillet dernier, l’agence Blue Spirit a été choisie. Elle nous a présenté une proposition qui a été peu discutée et qui a été retenue au terme d’un débat d’environ une demi- heure. On subit cette campagne plus qu’elle nous satisfait ».
« Les gens regardent avant tout le handicap, ils s’intéressent peu à la personne », réaffirme Philippe Hessenbruch. Mais en optant pour un message édulcoré et une fausse représentation, en cachant les déficiences, la campagne Grande Cause pourrait contribuer à donner au grand public une image erronée des personnes handicapées et renforcer leur invisibilité…
Laurent Lejard, octobre 2003
La campagne de publicité sur le handicap, estampillé Grande Cause Nationale par décret du Premier Ministre, a été lancée le 6 octobre. Elle devrait durer deux mois environ. Elle sera diffusée sur des médias qui offrent gratuitement de l’espace publicitaire. Les sociétés du service public de radio et de télévision doivent diffuser au moins douze messages. Cela concerne France 2, France 3, France 5, le Réseau France Outre- Mer (RFO) et Radio France. Les médias privés diffuseurs sont: R.T.L, Europe 1, R.F.M, N.R.J, T.F.1, Canal + , Canal Jimmy, Planète, 13e rue, Sport +, Match T.V, R.T.L9, M.C.M, M.T.V, T.M.C, Voyage. Côté Presse écrite: Paris Paname, Aéroports Magazine, Sept, J.D.D, Challenge, Sciences et Avenir, le Progrès, le Parisien, Aujourd’hui en France, Métro. Et aussi les salles de cinéma M.K.2, et le réseau Métrobus. Les spots radio-télé ainsi que les visuels de la campagne sont présentés sur le site handicaps-2003.org.