Entrez par le 218 rue de l’Université, dirigez-vous tout droit pour prendre aux caisses extérieures votre billet gratuit, tournez à gauche et gravissez une forte côte, pénétrez dans le hall d’accueil puis empruntez 180m de rampe à 4 ou 5%, franchissez un tunnel obscur, vous arriverez enfin au coeur de la collection permanente d’oeuvres provenant des civilisations d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques présentée dans le Musée du Quai Branly (Paris 7e) qui a ouvert ses portes le 23 juin !
Un musée voulu par l’actuel Président de la République, Jacques Chirac, et qu’il a inauguré le 20 juin en présence du Secrétaire Général de l’Organisation des Nations Unies, Kofi Annan, et de nombreuses personnalités dont l’ancien Premier Ministre Lionel Jospin, « co-fondateur » de l’établissement. Un musée que Jacques Chirac souhaitait « exemplaire » en matière d’accueil des publics handicapés, et qui ne l’est hélas pas : inconfortable et fatigant pour tous les visiteurs. La raison principale réside dans la très faible culture de l’accessibilité du concepteur du bâtiment et de la muséographie, l’architecte star Jean Nouvel. Si le musée du quai Branly est ancré dans son époque, par une création architecturale virtuose et audacieuse qui tire le meilleur parti d’un site difficile des bords de Seine, la conception de son accessibilité et de l’accueil des personnes handicapées évoque ce que l’on faisait il y a vingt ans sur des projets similaires.
Accessible, mais pas en autonomie. Tous les espaces du musée sont accessibles, mais pas en pleine autonomie pour tout le monde : trop de pentes à gravir, des ascenseurs difficiles à trouver seul (des consignes ont déjà été données au personnel pour y conduire directement les visiteurs à mobilité réduite). L’ambiance obscure à éclairage ponctuel voulue par l’architecte pose problème à bien des visiteurs : « Où est la vitrine, où est le couloir ? ». Les malvoyants seront en difficulté dans tous les espaces de la collection permanente, les innombrables vitrines placées les unes (trop) près des autres engendrent des pollutions visuelles et la multiplication des reflets gênants. Les aveugles devront se contenter de quelques éléments tactiles, sonores et braille disséminés le long des parois couvertes de cuir du « Serpent » (espace central sur le plateau d’exposition), s’ils parviennent à les trouver en l’absence de guidage par le sol. Ce corridor étroit à forte pente est également un lieu de passage, et le seul endroit où l’on peut s’asseoir !
Si les sourds bénéficient du sous-titrage des vidéos disséminées dans le musée, ils devront attendre quelques semaines pour effectuer des visites en langue des signes au moyen d’un visioguide. Aucun siège n’est placé dans les lieux d’exposition, les personnes fatigables auront à leur disposition (au vestiaire du sous-sol) une canne siège d’équilibre instable, un déambulateur qu’il faut savoir manipuler ou un fauteuil roulant. Le placement des spectateurs handicapés moteurs se fera exclusivement en haut du théâtre Claude Levi-Strauss (situé au sous-sol), avec une visibilité réduite.
Consciente des lacunes générées par la conception architecturale et muséographique du bâtiment, la direction du musée a créé des palliatifs : l’accès des personnes à mobilité réduite est conseillé par l’arrière, rue de l’Université, pour réduire le trajet à pied, le personnel d’accueil sera très présent auprès d’elles pour les diriger vers les ascenseurs, leur proposer des aides à la visite (déambulateur, canne siège, fauteuil roulant). D’autres adaptations sont possibles mais les pentes et rampes inadaptées resteront en l’état par la volonté de l’architecte : « La rampe est un parcours initiatique, précise Jean Nouvel. Elle sera confiée tous les six mois à un artiste. Elle fait passer d’un monde à l’autre, pour accueillir avant d’exhiber. C’est une respiration, la remontée du fleuve, on prend le temps de pénétrer un territoire ». Pour Jean Nouvel, l’argument principal de cette rampe d’accès au profil inégal et pénible à emprunter n’est donc pas une tentative d’accès universel. Il en a d’ailleurs accentué la dramaturgie en créant un tunnel sombre en guise de seuil d’entrée du plateau des collections permanentes.
Tortueux et peu pratique. Les circulations sont complexes parce que les nombreux ascenseurs sont d’accès limité pour le public, même s’ils desservent tous les niveaux. Par exemple, pour vous rendre depuis le hall d’accueil jusqu’à la Mezzanine Est, vous devrez emprunter un ascenseur de la tour centrale dite « des instruments de musique » puis traverser le plateau pour rejoindre l’ascenseur qui dessert la mezzanine mais qui aurait pu vous conduire directement depuis le hall si le contrôle d’accès le permettait ! L’absence de sièges résulte toujours de la volonté de l’architecte. Le palliatif trouvé par la direction de l’établissement consiste à proposer des sièges cannes pliants; hélas, le modèle mis à disposition, à trépied, apparaît peu stable : pourquoi ne pas avoir retenu les sièges cannes éprouvés depuis longtemps dans les musées anglais ? Jean Nouvel ne voulait pas non plus de cartels décrivant les oeuvres exposées; la direction a réussi à les lui imposer, mais déportés sur le côté des vitrines, mal lisibles malgré le rétro éclairage, et le visiteur devra effectuer contorsions et aller-retour pour identifier ce qu’il regarde. Le « Serpent » est, quant à lui, entièrement recouvert de pièces de cuir mal jointives, dont le décollage est très prévisible puisqu’il constitue l’espace tactile du musée.
Exemplaire ce musée ? « Il est l’illustration du respect dû à chaque culture, à chaque identité, à chaque tradition, à chaque création, estime le Ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres. En matière d’accessibilité, si vous considérez qu’il y a des progrès à réaliser, on les réalisera. Je crois que l’accessibilité est totale, mais il y a certains endroits où il fallait trouver des possibilités pour que les uns et les autres puissent s’arrêter. On est en train de rajouter un certain nombre de dispositifs. Il faut toujours accepter la critique pour progresser quand cela va dans le bon sens ». En attendant, l’établissement ouvrira ses portes au public sans l’avis favorable de la Commission consultative départementale de sécurité et d’accessibilité, qui a décidé d’attendre la réalisation des travaux pour se prononcer. Dans l’intervalle le musée fonctionnera donc « aux risques et périls » de l’exploitant.
Le musée du quai Branly devrait ravir les conservateurs : il constitue le magnifique écrin d’une collection vivante et unique en son genre, qu’il faut aller découvrir et qui n’est pas écrasée mais plutôt magnifiée par un bâtiment dont l’inconfort et la complexité procureront également aux visiteurs un bain de culture… physique.
Laurent Lejard, juin 2006.
Musée des arts et des civilisations du monde. Accès par le 37 ou le 51 quai Branly, ou le 218 rue de l’Université (2 places de stationnement réservé), Paris 7e. Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h30, nocturne le jeudi jusqu’à 21h30. Renseignements : 01 56 61 70 00 ou par mél. Réservation de visite : 01 56 61 71 72. Entrée gratuite pour le titulaire de carte d’invalidité et un accompagnant, avec audioguide adapté aux déficients visuels ou visioguide gratuit (disponibles à partir de septembre 2006). Tarif réduit pour les activités : visites commentées, ateliers (disponibles à partir de septembre 2006). Les groupes de personnes handicapées peuvent être reçus le lundi, jour de fermeture au public. Parking souterrain payant (12 places aménagées), accès par le 25 quai Branly. Café Branly orné d’une tête de Moai au centre du jardin, restaurant panoramique Les Ombres sur la terrasse du musée, avec vue splendide sur la Tour Eiffel, le Trocadéro et la rive droite de la Seine.