Les Editions du Fox viennent d’éditer un ouvrage essentiel pour comprendre la Langue des Signes Française, le Dictionnaire étymologique et historique. « Ce dictionnaire est le premier du genre, affirme l’ethnolinguiste Yves Delaporte, il n’en existe d’équivalent pour aucune des langues des signes dans le monde entier ». Et pour combler cette carence, Yves Delaporte travaille actuellement à un ouvrage équivalent pour l’American Sign Language en collaboration avec une Américaine : « L’état des connaissances aux U.S.A est le même qu’en France : les chercheurs ne travaillent que sur la syntaxe et le synchronisme, personne ne s’intéresse au vocabulaire. Je crois assez bien comprendre ce qui s’est passé : la syntaxe fascine, elle donne du sens à la phrase en indiquant le rapport aux mots. En langue des signes, il s’établit par le déplacement dans l’espace. Mais le vocabulaire est important, c’est lui qui permet de communiquer alors qu’il est complètement ignoré ».

Le Dictionnaire étymologique et historique comporte 900 entrées et 1.200 signes en incluant les variantes. « La plupart datent de deux siècles, le plus ancien est celui qui figure sur la couverture, fin XVIIe, antérieur à l’Abbé de l’Epée, inconnu à Paris mais parlé à Clermont-Ferrand, Chambéry; il veut dire papa, père ». Les mots-signes sont détaillés, commentés dans leurs variations et évolution. Les signes récents, innombrables, ne figurent pas dans l’ouvrage qui s’attache à retrouver les racines de la L.S.F : « Jusqu’à présent, on ne disposait guère que des dictionnaires édités par International Visual Theatre, des ouvrages qui sont plutôt des lexiques bilingues élémentaires : je rends hommage au magnifique travail d’I.V.T, qui a d’ailleurs accepté de me céder le droit d’utiliser les dessins de leurs ouvrages ». Mais l’oeuvre d’Yves Delaporte est d’une toute autre portée, qui place son Dictionnaire étymologique et historique de la langue des signes française au niveau du Dictionnaire historique de langue française conduit par le célèbre linguiste Alain Rey.

Yves Delaporte regrette que l’uniformisation vers laquelle tend la langue des signes française se fasse au détriment de la disparition des 50 dialectes existants en France. « Un vaste débat a lieu parmi les sourds sur l’uniformisation de la L.S.F; actuellement, c’est le dialecte parisien qui s’impose, comme jadis le dialecte francilien est devenu le français pratiqué sur tout le territoire national. Ce phénomène est logique, les grandes associations sont basées à Paris, elles éditent des ouvrages et forment des enseignants, des interprètes, des sourds. On peut s’en réjouir ou s’en désoler, ce que je regrette, c’est que les dialectes disparaissent avant d’avoir été recueillis; ils sont une source extraordinaire d’informations, mais quatre seulement ont été partiellement recueillis sur leur cinquantaine ».

Pour autant, Yves Delaporte est optimiste quant au devenir de la L.S.F : « Elle est victorieuse, s’inscrit tous les jours dans davantage de lieux. Elle est la seule à pouvoir introduire l’enfant sourd dans la pratique du français. L’interdiction à partir de 1880 de la langue des signes avait généré l’illettrisme des sourds, alors qu’au XIXe siècle il existait de nombreux écrivains sourds qui s’exprimaient dans un français châtié, ce qu’aucun né ou devenu précocement sourd n’est aujourd’hui capable de faire. Mon souhait est que dans les faits, elle soit de plus en plus enseignée aux enfants qui en ont le plus besoin ».

Laurent Lejard, octobre 2007.


Le Dictionnaire étymologique et historique de la langue des signes française, par Yves Delaporte. Editions du Fox. 20€, chez l’éditeur et dans quelques librairies mentionnées sur le site internet de celui-ci.

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