Pourquoi le Fonds d’Insertion Professionnelle des Personnes Handicapées dans la Fonction Publique (F.I.P.H.P.F.P) s’est-il retrouvé début 2007 avec une trésorerie de 130 millions d’euros et des engagements de dépenses de 150.000 euros ? Qui avait intérêt à conduire dans l’impasse l’équivalent de l’Agefiph dans les trois fonctions publiques nationale, territoriale et hospitalière ? La plupart des membres du Comité National, organe d’administration qui décide des actions à mettre en oeuvre, s’accordent sur un point : les deux ministères de tutelle, Budget et Fonction Publique, sont les principaux responsables de cette situation de blocage. L’attitude de la Caisse des Dépôts et Consignations (C.D.C), à laquelle le gouvernement précédent avait confié la gestion du Fonds, est également critiquée. L’autoritarisme et la politique du fait accompli ont achevé d’irriter les membres du Comité National.
Le Comité National a été informé le 9 août dernier par les deux ministres de tutelle du limogeage de la présidente qu’ils avaient élue un an auparavant, de la démission du directeur, de l’élargissement des missions du fonds et de la suspension de la collecte pour 2008. Par simple lettre, sans concertation. Depuis, les demandes de rendez-vous formulées par les syndicats de fonctionnaires auprès des ministres concernés sont restées sans réponse. Les tutelles ont annulé sans préavis les réunions de commissions en adressant de simples messages de courrier électronique deux jours avant les dates prévues, avec comme conséquence l’impossibilité pour le F.I.P.H.P.F.P de participer à la Semaine pour l’emploi de novembre 2007. Une véritable épreuve de force : « On a dû se battre, affirme Maïté Druelle qui représente la C.F.D.T, pour que le Comité National du 20 septembre se tienne alors qu’il y avait des dossiers importants à l’ordre du jour, dont des conventions avec des ministères ou le département de l’Isère. Il y a des choses qui se font dans notre dos. Nous sommes particulièrement choqués de la manière dont le gouvernement traite les questions. On s’est rendu compte très vite des problèmes et des querelles de personnes. La C.F.D.T a voulu prendre de la hauteur en intervenant auprès de la direction générale de la fonction publique, sans être véritablement écoutée ».
« Il est rare de se voir imposer le limogeage d’une présidente dans un établissement public, constate Yves Naudin de la C.F.T.C. Du coup, la représentation de l’État a été entièrement renouvelée, avec la nomination de trois nouveaux membres. On n’a pas à se faire imposer la gouvernance ! « . Selon Maïté Druelle, la présidente du Comité National, Martine Faucher, avançait plus vite que le gestionnaire, la Caisse des Dépôts et Consignations, et les deux ministères de tutelle se plaçaient la plupart du temps en opposition aux décisions du Comité National dont ils rejetaient la mise en oeuvre : « Les trois commissions du fonds travaillaient, préparaient les dossiers, le Comité prenait des décisions, et après on se heurtait au mur des tutelles. Si le Comité National ne s’était pas emparé du guide des employeurs publics, publié en juin dernier, il n’aurait pas vu le jour ! Personne ne veut perdre la face et désavouer le choix effectué unilatéralement par l’État de confier la gestion du Fonds à la C.D.C ».
« Qui organise cette crise ? s’interroge Solange Fasoli de la C.G.T. Les tutelles ont parlé de crise parce que le gestionnaire ne rend pas le service qu’on attend de lui ». Elle estime que le gouvernement est dans une situation schizophrénique : « Les contributions sont puisées dans la masse salariale alors que l’État doit être exemplaire en matière d’emploi. Dans le même temps, les deux ministères de tutelle ont opposé leur veto à la plupart des décisions pour des raisons inexpliquées à ce jour. Ils ont également rejeté la convention d’objectifs et de gestion ». Une convention que le contrôleur d’État exige pourtant pour valider le budget 2008. « J’ai plutôt tendance à penser que la crise a des causes multiples, estime Emmanuel Guichardaz de la F.S.U. Elles ne sont pas uniquement liées à la gouvernance. Tout d’abord, un grand nombre de ministères a tenté de verser le moins possible au Fonds sans chercher des moyens d’action d’insertion professionnelle et de recrutement ». Emmanuel Guichardaz prend l’exemple de son ministère, l’Education Nationale, qui n’a ni mis en chantier l’élaboration d’une convention nationale ni lancé des actions de recrutement : « On est dans un cadre législatif et réglementaire nouveau, alors que les Maisons Départementales des Personnes Handicapées ne fonctionnent pas toutes convenablement. La répartition entre la prestation de compensation du handicap et les dépenses qui sont de la compétence de l’employeur est mal définie. Nous ne disposons pas d’un catalogue des aides, sur ce point la C.D.C n’a pas été à la hauteur ». À ses yeux, les tutelles ont bloqué les décisions du Comité National par crainte de dilapider l’argent, avec comme résultat un déséquilibre énorme des sommes utilisées par rapport à la collecte.
« Depuis quelques semaines, les tutelles débloquent les dossiers et la C.D.C a été dotée d’une direction renforcée pour gérer le fonds ». « Au début, constate Sophie Beydon-Crabette de la FNATH, il a fallu apprendre à travailler ensemble. Il y avait une méfiance, toutes les décisions devaient être justifiées par des chiffres alors qu’on ne disposait pas de statistiques ». Elle estime que le déblocage récent de la situation résulte à la fois du changement de gouvernement et d’une prise de conscience de l’impasse dans laquelle se trouvait le Fonds.
La fin du blocage des décisions du Comité par les tutelles signifierait-il que l’État cesse ses manoeuvres délétères ? Pas si sûr. Au cabinet d’André Santini, ministre chargé de la fonction publique, on estime qu’il n’y a pas de crise de gouvernance mais que la présidente n’avait pas fait son travail… Un propos sur lequel Martine Faucher, dont les anciens membres du Comité National louent le sérieux, la compétence, et l’engagement, ne tient pas à polémiquer : « Je trouve ça dommage parce que c’est faux. Ce qui a motivé ma candidature à la présidence du Comité National, c’est mon engagement pour le handicap et les personnes handicapées. Mais je me suis sentie ni humiliée ni blessée par mon limogeage, parce que je ne me sens pas responsable de la situation. C’est un peu facile de taper sur des gens qui n’ont pas de droit de réponse. Je garde toute mon opiniâtreté pour mon travail, avec le sentiment que ce qui est important, c’est que les travailleurs handicapés ne fassent pas les frais de cette querelle ». Martine Faucher poursuit son action en tant que Déléguée ministérielle aux personnes handicapées au Ministère de la Justice, fonction qu’elle occupe depuis avril 2006 après avoir dirigé la mission handicap de ce ministère.
Pour remplacer Martine Faucher, l’État avait semble-t-il désigné un « candidat officiel » soutenu par l’Élysée (qui n’a pourtant pas officiellement confirmé ce soutien) en la personne de Jean-Christophe Parisot, nouvellement nommé au Comité et par ailleurs Délégué ministériel chargé de l’emploi et de l’intégration des personnes handicapées au ministère de l’éducation nationale. Lequel bénéficie d’un traitement privilégié en déduisant de sa contribution les Auxiliaires de Vie Scolaire, avantage introduit en 2005 et pour trois ans dans la législation et que l’actuel ministre, Xavier Darcos, entend pérenniser. Après une véritable campagne électorale, avec multiples communiqués et site web éphémère, Jean-Christophe Parisot a pourtant retiré sa candidature pour « raisons familiales » et n’a pas même assisté au Comité National électif : une sortie par la petite porte et une manière de faire qualifiée de « harcèlement » par l’un des syndicalistes, un second considérant que la candidature de Jean-Christophe Parisot « pouvait faire l’unanimité contre elle ».
C’est un autre représentant de l’Etat, Didier Fontana, Délégué ministériel au handicap au ministère l’économie, des finances et de l’emploi, qui a été élu par 14 voix sur 16; il était l’unique candidat à la présidence après le retrait de Sophie Beydon-Crabette. Par sa position, Didier Fontana apparaît bien placé pour concilier les points de vue et dynamiser le Fonds. Sa double casquette de haut fonctionnaire paraplégique représentant à la fois l’État et le ministère de tutelle qu’est celui des Finances et du Budget, ne l’empêche pas d’être résolument optimiste : « Tout le monde a constaté les difficultés, on est en phase de trouver des solutions qui vont dans le bon sens ». Expérimenté, Didier Fontana mène depuis une quinzaine d’années des actions d’insertion professionnelle au sein de son tentaculaire ministère qui est l’un des rares à respecter un objectif annuel de recrutement de 6% de travailleurs handicapés. Sa longue expérience de l’administration et de l’emploi seront ses atouts essentiels pour dynamiser le Fonds et le préserver des tentatives d’extension de ses missions, telle la mise en accessibilité des locaux administratifs recevant le public qui avait envisagé le 23 octobre dernier par la Secrétaire d’État à la solidarité, Valéry Létard.
Désormais, le Fonds d’Insertion Professionnelle des Personnes Handicapées dans la Fonction Publique est en ordre de marche, il peut oeuvrer à plus d’emploi public pour les travailleurs handicapés, et c’est bien là ce que l’on attend de lui…
Laurent Lejard, novembre 2007.