Dans quelques semaines, cinq départements vont tester de nouvelles modalités d’octroi de l’Allocation aux Adultes Handicapés. Aux conditions actuelles reposant sur un taux d’invalidité minimal de 50 % sera ajoutée une évaluation déterminante de l’employabilité du demandeur. Telle est la décision que viennent de prendre les deux ministres en charge des personnes handicapées, Xavier Darcos et Nadine Morano, après avoir reçu, le 19 janvier, le rapport « L’emploi : un droit à faire vivre pour tous » commandé à un groupe de médecins dirigés par le docteur Michel Busnel.

Ce rapport maintient le taux de 50 % d’invalidité comme critère médical d’accès à l’AAH, sur lequel s’ajouterait l’évaluation de l’employabilité afin de déterminer le montant de la prestation. Cela veut dire que le barème actuel ne changerait pas, mais que les compléments Majoration Vie Autonome et Garantie de ressources seraient accordés en fonction du critère d’employabilité. Les 130.000 allocataires qui perçoivent la MVA risquent de la perdre s’ils n’entrent pas dans un processus d’insertion professionnelle. La voie serait également ouverte au conditionnement de l’octroi de l’AAH aux seuls demandeurs effectuant un réel parcours d’insertion professionnelle, ou dont l’employabilité serait estimée nulle ou presque.

Toutefois, la plupart des propositions formulées par les experts n’auront pas de suite. L’unification des barèmes d’appréciation de l’invalidité et des incapacités nécessiterait en effet une modification considérable de la réglementation en matière de solidarité nationale, de Sécurité Sociale, de médecine du travail, de droit des assurances, de médecine de ville, etc. Autre proposition irréaliste, l’inscription de l’employabilité dans le projet de vie et le plan de compensation du handicap de la personne en appuyant « toute approche de l’employabilité sur une démarche pluridisciplinaire, multidimensionnelle, inscrite dans le temps, permettant l’évaluation et le suivi » : d’une part, le Parlement est saisi de propositions législatives tendant à rendre optionnelle l’élaboration du plan de compensation du handicap, d’autre part à cause de l’incapacité des Maisons Départementales des Personnes Handicapées à traiter actuellement les dossiers dans le délai de quatre mois qui leur est imparti par manque de moyens humains et matériels. « Il n’est pas question d’envoyer les gens de force au travail, précise Thierry Hennion, médecin du travail et membre du groupe d’experts rapporteurs. Le terme ‘activation’ nous apparaît impropre, on préfère parler de ‘politique facilitatrice’ : accéder à un emploi si tel est le désir. Mais il ne faut pas s’arrêter trop vite à l’absence de projet professionnel dans le projet de vie écrit par la personne handicapée ».

« Un rapport pour rien », estime le docteur en droit et en médecine Louis Melennec, qui a refusé de diriger le groupe d’experts : « A 68 ans, je n’ai plus de temps disponible pour réaliser un rapport inutile qui finira dans le tiroir des ministres ! ». « Un rapport alibi », selon l’économiste du travail Philippe Askenazy, qui a cessé sa participation dès la première réunion du groupe : « Les grandes orientations étaient déjà décidées, le Gouvernement cherche à les faire justifier par des experts ». Philippe Askenazy perçoit dans ces orientations une politique d’activation qui inciterait les inactifs à entrer dans un processus de retour à l’emploi, au moyen d’outils adaptés : bilan professionnel, remise à niveau, formation ou requalification professionnelle, etc. Une politique de « réhabilitation du travail comme valeur et comme fondement de notre modèle social », selon les propres termes de Xavier Darcos lors de ses voeux aux partenaires sociaux et au monde associatif, « notamment pour tous ceux qui sont aujourd’hui artificiellement écartés du marché du travail ». « Je pense notamment, ajoute le ministre, aux personnes handicapées : j’ai d’ailleurs reçu cette semaine une importante contribution pour améliorer leur employabilité. Cela fera partie de mes priorités en 2010 ».

Une manière détournée de récupérer sur le dos des allocataires une partie de l’augmentation de l’AAH que le Président de la République a été obligé de mettre en oeuvre après l’avoir promise durant sa campagne électorale. 

Laurent Lejard, janvier 2010.

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