Les passagers voyageant par autocar sur des liaisons internationales ou interrégionales ont enfin des droits. Ou plutôt auront, en fonction de la mise en oeuvre par chaque pays de l’Union Européenne du Règlement Européen qu’elle a adopté le 16 février 2011, pour une application à compter du 1er mars 2013. Le texte, complexe, comporte en effet de multiples possibilités de dérogations dont la principale autorise les transporteurs à invoquer les règles de sécurité (article 10 paragraphe 1 alinéa a) ou… d’inaccessibilité du véhicule ou des gares routières (id. alinéa b) mais dans ce dernier cas, le transporteur est tenu de proposer un service de substitution.
S’il refuse l’accès à bord d’un autocar à un client handicapé qui a préalablement fait connaître ses besoins spécifiques, le transporteur sera tenu de rembourser, ou de proposer une alternative, ou d’accepter un accompagnateur voyageant gratuitement. Le refus de vendre un billet sera discriminatoire, sauf notification motivée cinq jours au plus après la demande d’un voyageur handicapé. Certaines parties du Règlement sont applicables aux trajets inférieurs à 250 kilomètres, ainsi qu’aux transports « occasionnels », c’est à dire aux services touristiques. On remarque toutefois que l’accessibilité aux toilettes d’autocars de tourisme n’est pas évoquée dans ce texte.
Dès l’adoption de ce Règlement, la Fédération Nationale des Transports de Voyageurs (FNTV) a demandé au ministère français chargé des transports de différer son application de… huit années, soit en 2021 ! « Sur un parc de 60.000 autocars, 10% sont aménagés ou pré-équipés pour recevoir des passagers en fauteuil roulant, justifie Eric Ritter, secrétaire général de la FNTV. Moins de la moitié des Schémas directeurs d’accessibilité des transports ont été élaborés, et des collectivités territoriales demandent dans leurs appels d’offres des autocars sans accessibilité pour les lignes qui ne seront pas aménagées mais desservies par un transport de substitution ». La FNTV a d’ailleurs écrit au Premier ministre, François Fillon, le 16 mars dernier pour lui demander de modifier la loi du 11 février 2005 « pour permettre aux entreprises du transport routier non urbain de voyageurs de s’en tenir aux seuls [souligné dans le texte NDLR] schémas directeurs d’accessibilité élaborés ». Ce qui revient à exonérer les collectivités qui n’appliquent pas la loi. Dans ce contexte très défavorable, la mise en oeuvre du Règlement européen se télescope avec la mise en accessibilité généralisée à compter de janvier 2015 de l’ensemble des transports collectifs français… sauf exceptions !
Exceptions, ou dérogations, que la France a demandé lors de l’élaboration du Règlement européen, précise-t-on au ministère des transports : « La France est favorable aux dérogations, afin d’obtenir un maximum de temps pour s’organiser », explique un porte-parole.
La détermination du délai sera soumise à concertation, au début 2012, entre professionnels et associations d’usagers incluant celles de personnes handicapées ou à mobilité réduite. Un arbitrage interministériel devrait prochainement réunir les ministres chargés de la Cohésion sociale, Roselyne Bachelot, du Travail, Xavier Bertrand, de la Santé, Nora Berra, et des Transports, Thierry Mariani. Dans le même temps, le principal opérateur en transport international de passagers en autocars, Eurolines, vient d’être autorisé à vendre des billets pour des portions de trajets en France afin de mieux remplir ses véhicules.
Mais si Eurolines échappe à l’obligation d’accessibilité instaurée par la loi du 11 février 2005, la compagnie devra appliquer pleinement le Règlement européen. « Nous transportons déjà des personnes handicapées, commente Céline Heller, porte-parole d’Eurolines. Nous respecterons le Règlement tant que faire se peut ». Or cette association de transporteurs, filiale du groupe Veolia Transport, ne peut indiquer la part de ses véhicules pouvant accueillir des passagers en fauteuil roulant, les rares qui s’y risquent devant être portés par leur accompagnateur obligatoire (ce dernier paie plein tarif et le voyageur titulaire d’une carte d’invalidité demi-tarif). Eurolines n’est pas davantage en mesure d’indiquer à ses clients handicapés quels points d’arrêt sont accessibles, et avec quels services (des toilettes adaptées par exemple). Enfin, la direction d’Eurolines n’a pas encore tranché sur une éventuelle demande aux autorités françaises d’un délai d’application du Règlement européen. Face à des investissements importants, il est visiblement urgent d’attendre…
Laurent Lejard, mai 2011.