PAM 2 : telle est l’appellation du nouveau contrat de service que le Syndicat des Transports d’Ile-de-France (STIF) a élaboré pour régir les services de transport spécialisé de personnes handicapées dans les huit départements de la région. Sans concertation associative, de manière technocratique.
De fait, le nouveau contrat ignore les spécificités des personnes handicapées, notamment leur fragilité et leur fatigabilité. Il définit les PAM comme un service d’adresse à adresse « collectif ou le cas échéant individuel lorsque les contraintes d’exploitation et de qualité de service le rendent nécessaire ». En clair, les PAM ne sont plus tenus d’accompagner de porte-à-porte et peuvent privilégier le transport groupé de clients alors que cette pratique allonge significativement la durée des trajets de personnes souvent fatigables. Par ailleurs, PAM 2 rend payant le transport de la personne qui accompagne éventuellement un client handicapé, sauf si ce dernier apporte la preuve, par certificat médical, de la nécessité d’être aidé dans ses déplacements. Mais dans ce cas, l’exploitant peut refuser de transporter un client handicapé s’il n’est pas accompagné, ce qui rend l’accompagnement obligatoire même s’il n’est pas nécessaire, par exemple lorsqu’un aveugle se rend dans un lieu qu’il connaît : « Le STIF a raisonné médicalement, et pas en terme de situation », commente Félix Beppo, chargé de communication pour la filiale Somap Keolis qui exploite les PAM 75 et 92. Les nouvelles conditions contractuelles imposées aux clients piétinent leur vulnérabilité et déséquilibrent la relation contractuelle : lorsqu’un client oublie un rendez-vous ou n’y est pas présent, il se voit infliger automatiquement une pénalité financière, alors que certaines personnes, du fait même de leur handicap mental ou psychique, peuvent être défaillantes. Mais si le véhicule est en retard ou que le transport demandé ou commandé n’est pas assuré par l’exploitant, aucune indemnité n’est prévue pour le client !
Les PAM ne remplacent pas les transports inaccessibles.
Cette situation s’inscrit dans un contexte de délaissement : la région Ile-de-France n’a pas créé à l’échéance légale de février 2011 les transports de substitution aux lignes qui ne seront pas mises en accessibilité en 2015. Cela concerne 60% du réseau Grande Couronne ainsi que le métro parisien, pour lequel la RATP a abandonné toute idée d’aménagement, alors même qu’elle en faisait l’un des arguments de la candidature (malheureuse) de Paris pour les Jeux Olympiques et Paralympiques de 2012 ! Les Parisiens sont priés de se contenter du réseau bus dont le service est considérablement restreint en début de matinée, après 21h ainsi que les dimanches et jours fériés : en clair, il est souvent impossible de rentrer chez soi en bus après un spectacle ou une soirée entre amis. Pour pallier ces carences, le STIF et les collectivités territoriales refusent que les PAM constituent les transports de substitution imposés par la loi, prestation qui doit être facturée aux clients handicapés au prix des transports collectifs qu’ils substituent. L’enjeu financier semble en effet élevé, sans que son chiffrage soit toutefois connu.
Des formalités entachées d’illégalité.
L’un des objectifs de PAM 2 est de parvenir à une interopérabilité des services, pour qu’un résidant puisse être transporté par le service local lorsqu’il se déplace dans d’autres départements que le sien. Mais cela suppose que les huit départements appliquent à la lettre le règlement régional, ce qui n’est pas le cas. Exploités par la même société, Flexcité (filiale de la RATP), PAM 77, PAM 91, PAM 93, PAM 94 (site Internet mort !) et PAM 95 proposent des dossiers d’inscription presque identiques : le client doit cocher son type de handicap, fournir un certificat médical justifiant de l’accompagnement obligatoire et indiquer le nom du praticien en cas de transport pour raisons de santé. Seule exception, PAM 95 réserve la gratuité du transport de l’accompagnateur aux seuls titulaire d’une Carte d’Invalidité portant les mentions « besoin d’accompagnement » ou « cécité »… et demande à ces titulaires de fournir un certificat médical de « non accompagnateur obligatoire » ! PAM 78 ouvre pour sa part le service aux personnes temporairement handicapées sous réserve de fournir un « certificat médical type téléchargeable [à] retourner sous pli cacheté précisant les critères et la durée de l’incapacité », adressé au médecin du Conseil Général des Yvelines. La nécessité de fournir un certificat médical pour que l’accompagnateur soit transporté gratuitement figure sur le règlement d’exploitation mais pas dans le dossier d’inscription. PAM 92 demande un certificat médical semblable à celui de PAM 75 pour transporter gratuitement un accompagnateur, ainsi qu’une « lettre explicitant les raisons pour lesquelles vous ne pouvez utiliser le réseau de transport ainsi que vos besoins en transport »…
En matière d’entorse aux droits de la personne et au respect de sa vie privée, le dossier d’inscription de PAM 75 décroche le pompon : il demande de cocher le type de handicap, en précisant éventuellement la pathologie, Alzheimer, Autisme, Parkinson, Trisomie… Le client doit également indiquer sa « capacité à emprunter le réseau classique de transports en commun » sans qu’il soit informé des conséquences d’une réponse positive. Le certificat médical « accompagnateur nécessaire » n’est pas destiné à un médecin agréé, alors même qu’il interroge sur les « Atteintes des fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, polyhandicap ou trouble de santé invalidant […] Altération d’une fonction mentale, cognitive ou psychique, sensorielle nécessitant une surveillance régulière ou permanente du fait de risques de mise en danger de la personne âgée ou handicapée » et l’évolutivité du handicap. La planification de transports réguliers, domicile-travail par exemple, est soumise à la fourniture d’une attestation signée par l’employeur, ce que les autres départements n’exigent pas. Le paiement en avance, en alimentant un « compte mobilité », devient la règle, ce qui veut dire que ce sont les clients qui vont assurer la trésorerie de l’exploitant, le règlement sur facture après prestation de transport étant soumis à accord préalable. PAM 75 était le seul service francilien acceptant des non-résidants, tels les touristes français comme étrangers, exception que PAM 2 fait disparaître de la surface de la ville probablement la plus visitée au monde !
Un public hétéroclite.
Les Yvelines inscrivent les titulaires de cartes d’invalidité ou de stationnement, les personnes âgées bénéficiaires de l’APA et les personnes temporairement handicapées à 80%; Paris et la Seine-et-Marne acceptent ces publics, sauf les handicapés temporaires, le Val d’Oise ajoute les titulaires de carte de priorité (invalidité entre 50 et 79%) et de carte de stationnement délivrée par le ministère de la Défense. Dans l’Essonne, les titulaires de carte de stationnement ne sont pas admis; les Hauts-de-Seine ajoutent la carte de Grand Invalide de Guerre… qui n’est plus valable depuis le 1er janvier 2011 ! La Seine-Saint-Denis n’accepte que les titulaires de carte d’invalidité, et le Val de Marne leur ajoute les bénéficiaires d’une carte de stationnement délivrée par le ministère de la Défense. Résultat, les publics étant différents, le transport interopérable a du plomb dans l’aile…
Tarification en quiconque.
Cette cacophonie se retrouve dans la tarification : « Le Conseil Général de Seine-Saint-Denis n’a pas voulu déséquilibrer l’exploitation en appliquant directement PAM 2, précise Dominique Augry, Directeur de PAM 93. On continue à appliquer l’ancienne tarification, et tout accompagnateur reste gratuit, sans justification. » PAM 91 modifie le tarif régional. La Seine-et-Marne applique des tarifs nettement plus bas qu’ailleurs grâce à un complément financier du Conseil Général : « L’exploitant peut ou non imposer la présence de l’accompagnateur, au cas par cas », précise Malik Boutora, directeur des transports au Conseil Général. Ce qui transforme le droit au transport en épée de Damoclès. Autre pratique dans les Yvelines où le Conseil Général oblige tous les clients de PAM 78 à se réinscrire et applique PAM 2 dans toute sa rigueur; seule exception, il demande au nouvel exploitant, Lucky Star (lire l’Actualité du 15 octobre 2010), de faire preuve de souplesse dans l’application de la notion « d’accompagnateur obligatoire ». Ce département est d’ailleurs le seul à demander aux clients d’adresser le certificat médical indispensable à un médecin assermenté, celui du Conseil Général, respectant ainsi la confidentialité d’informations très sensibles. Les autres PAM font traiter par leur personnel un certificat médical qui n’est pas transmis sous pli fermé, à l’exception de PAM 91 qui n’en demande pas : dans l’Essonne, la mention « besoin d’accompagnement » ou « tierce-personne » portée sur la carte d’invalidité est retenue pour déterminer la gratuité de l’accompagnateur.
« La question de l’accompagnement n’a été vue que de manière fonctionnelle, on veut reposer beaucoup de questions, déclare Etienne Mazeaud, collaborateur de Véronique Dubarry, adjointe au Maire de Paris en charge des personnes handicapées. Cette adjointe, court-circuitée par sa collègue en charge des transports lors de l’approbation par Paris du règlement PAM 2 et de ses modalités de mise en oeuvre locale, hérite actuellement des protestations de clients. Les plus de 13.000 clients de PAM 75 sont en effet contraints de se réinscrire avant le 1er juillet, alors que les dossiers ad hoc n’ont été adressés que mi-mai, ce qui augure de grandes difficultés et d’importantes ruptures de transports.
Le STIF plus souple que les départements ?
« Le règlement régional n’impose pas mais édicte une règle à apprécier localement, commente Thierry Guimbaud, directeur de l’Exploitation au STIF. Les collectivités appliquent le tarif régional avec adaptation du prix. Il n’y a pas d’obligation ferme de la présence de l’accompagnateur. » Un propos qui modère la rigidité des règlements d’exploitation opposés aux clients, mais ne concède rien en matière de pénalités appliquées aux clients défaillants : « C’est l’un des problèmes de désoptimisation du système. Pour les retards de transports, cela s’apprécie au cas par cas en fonction de la responsabilité du transporteur, ou de responsabilité extérieure ». En clair, l’indemnisation du client face à la défaillance d’un transport PAM est de « l’ordre du geste commercial », sans garantie contractuelle… Reste la réinscription obligatoire, dans le but à la fois de faire approuver par chaque client le règlement PAM 2 et de purger les fichiers. Parce que là réside le non-dit : les services PAM sont tous saturés, la demande de transport dépasse l’offre à tel point que PAM 75 avouait 7% de refus pour le mois de février 2011. Au lieu d’augmenter l’offre, ce qui a nécessairement un coût, le choix du STIF est visiblement de réduire le nombre de clients, et donc la demande, en rigidifiant un service pourtant utile à tous ceux qui, du fait d’un handicap, sont privés de l’accès aux transports collectifs.
Laurent Lejard, juin 2011.