Tout juste nommée secrétaire d’État en charge des personnes handicapées, Nadine Morano avait fort imprudemment trahi, lors d’une interview sur RMC le 8 juillet 2009, sa totale ignorance de l’existence de 4.000 sites labellisés Tourisme et Handicap (T&H). Il en aura fallu, de l’énergie, à tous ceux qui se sont investis dans ce label pour qu’il ne sombre pas, et permettre à la ministre de sauver la face… Finalement, l’accord s’est fait sur la création d’un « super label » venant distinguer un territoire offrant une large gamme de sites et activités touristiques, hébergements et restaurants labellisés T&H, avec accessibilité de la chaine du déplacement et des services publics ou privés dont un touriste handicapé a besoin. Au terme d’un appel à candidatures, deux villes (Angers et Bordeaux), un canal historique (celui du Midi), deux stations balnéaires (Balaruc-les-Bains et Saint-Gilles-Croix-de-Vie), un parc naturel à la campagne (le Morvan) ont été sélectionnés. Ce choix s’est fait autant sur l’existence attestée d’une offre adaptée que sur le dynamisme des professionnels à promouvoir le tourisme intégré des personnes handicapées.
Si la diversité des territoires est au rendez-vous de cette expérimentation grandeur nature, on déplore toutefois l’absence d’un territoire de montagne, 21 collectivités seulement ayant candidaté. Tous les territoires ont remis leurs rapports d’évaluation et à la commission nationale et aux ministres concernés qui devraient bientôt attribuer le premier label Destination pour tous, plus d’ailleurs par volontarisme politique que pour refléter la réalité « vraie » du tourisme pour tous.
Bordeaux la volontaire. Bordeaux (lire cet article paru en mai 2011) ne compte aucun musée labellisé, mais trois parcours piétonniers le sont dans le centre historique. Son point fort réside dans la desserte par tramway de la plupart des sites qui font sa renommée. Une stagiaire, Amandine Usaï, a réalisé le recensement des établissements et services accessibles ou adaptés, avec des résultats contrastés : la plupart des restaurants (ou leurs toilettes) sont inaccessibles mais, après avoir par ailleurs contacté 200 dentistes, elle n’en a trouvé que 5 dont le cabinet soit accessible. Elle a toutefois identifié des services de soins infirmiers, d’auxiliaires de vie et des kinés acceptant d’intervenir sur le lieu de résidence de touristes handicapés, et à des heures compatibles avec des activités de vacances. Côté transports, près de la moitié des lignes de bus est réputée aux normes d’accessibilité, ainsi que les quatre lignes de tramway. La continuité de la chaîne de déplacement est assurée depuis l’aéroport ou la gare SNCF. Il est en revanche dommage que le service de transport spécialisé au porte-à-porte Mobibus oblige les résidents temporaires et les touristes aveugles ou se déplaçant en fauteuil roulant à remplir un dossier d’inscription, formalité qui n’est pas précisée sur son site Internet. Reste à régler l’accessibilité aux promenades fluviales, un ponton adapté et un bateau aménagé sont en projet. Enfin, un recensement des sites et activités des environs de Bordeaux a été réalisé en collaboration avec le Comité Départemental de Tourisme (CDT) : châteaux, plages, golf, domaines viticoles…
Subsistera toutefois, pour Bordeaux, un point noir : l’accès aux musées municipaux. Actuellement, si la galerie des Beaux-Arts et le musée d’Aquitaine sont accessibles en fauteuil roulant, ils ne proposent, sur des bases régulières, ni médiations ni visites adaptés aux individuels déficients mentaux, auditifs ou visuels… alors même que la ville emploie le seul guide conférencier aveugle de France (Nicolas Caraty) ! Et il faudra attendre le courant de l’année 2012 pour que le musée des Beaux-Arts soit enfin mis en accessibilité.
Les données recueillies lors de cette expérimentation permettront d’élaborer une cartographie qui sera soumise à la validation de la commission communale d’accessibilité. Ensuite, ces travaux seront transmis à la commission nationale, dont la volonté est de mettre en place dès cet été les premiers labels Destination pour tous, après avoir effectué la synthèse des résultats des cinq autres sites pilotes. « On s’appuie sur ce qui existe déjà, pour que les touristes passent un séjour confortable sans rupture de charge, » explique Joël Solari, Conseiller Municipal délégué aux personnes handicapées et administrateur de l’Association Tourisme et Handicaps. « Destination pour tous nous fait gagner du temps, en créant une dynamique. » ajoute Laurent Hodebar, chargé de Mission Tourisme. Mais pour une grande ville, Bordeaux est pauvre en hébergements labellisés : quatre hôtels 2 étoiles, un 4 étoiles au design étudié, et aucun 1 ou 3 étoiles. Côté restaurants, c’est pire : seuls trois établissements sont labellisés.
Angers la dubitative. A Angers (lire cet article paru en juin 2009), la situation est moins bonne encore : aucun restaurant ni hôtel labellisé en centre-ville, un appart’hôtel près de la gare, deux hôtels 2 étoiles en périphérie ainsi qu’un gite. « Je n’étais pas sûre de candidater lors du lancement de l’appel à projets » explique Dominique Dubois, directrice adjointe de l’office de tourisme. C’est la mise en service de la première ligne de tramway prévue pour la fin du printemps 2011 qui l’a convaincue de tenter l’expérimentation, en se concentrant sur les handicaps moteur et visuel : le tram relie les deux rives de la Maine, la gare Saint-Serge et le parc Terra Botanica, dont la fréquentation dépasse désormais celle de l’imposant château médiéval qui constituait jusqu’alors la locomotive touristique de la cité, au centre-ville. Côté bus, deux des six lignes les plus importantes ont été mises en accessibilité, le service de transport spécialisé est désormais ouvert aux visiteurs handicapés. Angers s’appuie également sur un « circuit confort » labellisé quatre handicaps partant du château et reliant les sites majeurs (galerie David d’Angers, musée des Beaux-Arts, collégiale Saint-Martin, cathédrale), et contournant une cité canoniale aux (trop) méchants pavés. « La voirie a été passée au peigne fin dans trois ‘poches d’accessibilité’ : le centre historique, le quartier Saint Serge-Université et le Front de Maine, poursuit Dominique Dubois. Les territoires sont très contrastés, de modernes bien aménagés à anciens avec racines d’arbres et terrasses de bars et restaurants envahissantes. »
Actuellement, une cartographie est en cours d’élaboration pour définir les parcours les plus confortables, situer les quelques commerces accessibles. « En centre-ville, les commerces sont une horreur, avec marches et déclivité, les boutiques sont petites ! » constate Dominique Dubois. Angers a identifié un loueur de lits et matériels médicaux ainsi que les associations de service à domicile, mais pas les services de soins à domicile : « Il aurait fallu une grille d’évaluation plus précise », regrette Dominique Dubois. Autre point noir : l’accessibilité du château, pourtant cité en exemple il y a une vingtaine d’années et qui dépend du Centre des Monuments Nationaux (CMN). « On leur a dit que le minimum était d’informer les gens sur cette accessibilité. Le château est notre handicap ! » déplore Dominique Dubois. Faute de diagnostic légal d’accessibilité, l’appel d’offres lancé par le CMN pour sa centaine de sites historiques ayant été infructueux, c’est l’Office de Tourisme qui a guidé l’administrateur du monument : « On lui a fait éditer un plan des parcours et leurs difficultés, on l’a fait plancher sur un plan d’action qui a montré l’ampleur du travail à réaliser ». Les travaux de restauration du logis royal, consécutifs à l’incendie de 2009, vont améliorer l’accessibilité : installation d’un ascenseur dans ce bâtiment, nouvelles déambulations. « Destination pour tous nous a permis de progresser, de sensibiliser de nouveaux hôteliers. Mais tout reste à faire » conclut Dominique Dubois.
Saint Gilles Croix de Vie, la sereine. La station s’est engagée depuis 2000 sur des actions d’accessibilité, avec Access Vie. Cette association créée par un paraplégique (Marcel Berthommé) gère des activités sportives adaptées (surf, kite-surf, canoë, voile, char à voile, natation en piscine) qui offre aux visiteurs une vaste gamme de loisirs. Elle a également incité Saint-Gilles et les communes voisines à installer des équipements, améliorer leur voirie, faire labelliser T&H leurs équipements.
Station familiale, les groupes de personnes handicapées la fréquentent peu : « On a travaillé sur les handicaps moteur et visuel pour Destination pour tous, explique Guillaume Bossard, chargé des publics handicapés à l’Office de Tourisme. Pour les déficients mentaux, on s’appuie sur l’accompagnement familial ». L’offre balnéaire comporte cabines de plage adaptées et gratuites avec douche et WC, fauteuils Tiralo et Hippocampe sur des plages de Saint-Gilles et voisines; à quelques kilomètres, on peut pratiquer le handigolf. Mais la station balnéaire ne compte aucun restaurant labellisé T&H, et seulement une dizaine de chambres accessibles dont six labellisées.
La commune s’attache toutefois à améliorer l’accessibilité des commerces à l’occasion de travaux de voirie, et conduit des actions de sensibilisation auprès des acteurs touristiques privés. L’offre de transports cumule accessibilité de deux lignes d’autocars et taxis PMR locaux, en liaison avec les trains TER ou Corail. Mais la faible population hivernale empêche de structurer durablement l’accessibilité de la chaine du déplacement. Pour les soins et l’aide à domicile, l’Office de Tourisme a établi une liste de professionnels. « Ils tentent d’arranger les touristes autant que possible, explique Guillaume Bossard. Avec une carence estivale en personnels par rapport à la demande ». Autre problème repéré : le transfert de prise en charge des personnes en Service de Soins Infirmiers A Domicile (SSIAD), qui nécessite l’accord du département d’origine, une belle complication bureaucratique en guise de détente vacancière ! Mais au-delà de ces difficultés (dont le règlement de la plupart dépasse les compétences communales), Guillaume Bossard a apprécié l’expérimentation : « Le ‘plus’ du label Destination pour tous est de regrouper les acteurs du tourisme et de les sensibiliser. »
Morvan le structuré. Fief électoral de l’ancien Président de la République François Mitterrand, le Morvan et son parc naturel régional (lire cet article paru en juin 2011) constituent un terrain privilégié d’activités adaptées aux personnes handicapées motrices : un vaste parc de matériel adapté prêté ou modiquement loué permet de parcourir les sites, trois bases nautiques complètent une offre probablement inégalée sur un territoire. Cette réalisation est structurée depuis plusieurs années par Jean-Gabriel Ferrando, paraplégique et fondateur de l’association Dream qui organise des raids nature et handicaps.
Parmi les outils développés, un comité de pilotage réunissant tous les acteurs concernés, des diagnostics complémentaires d’accessibilité, un pôle matériels qui a réalisé des prototypes, des actions de formation sur le handicap. Un groupe Tourisme rassemble 22 membres (CDT, hébergeurs, musée de Bibracte, etc.). « On teste Destination pour tous sur l’aspect territoire rural, précise Jean-Gabriel Ferrando, chargé de mission au sein du Parc Naturel du Morvan. Pour le tourisme vert et les activités de pleine nature : randonnée, pêche, grimpe et escalade, découverte nature, activités nautiques, équitation dont équithérapie, descente tous terrains, rafting, kayak, sur un territoire très vaste. » L’offre d’hébergements est conséquente, composée de chambres d’hôtes et gîtes, mais seulement une douzaine sont labellisés. Alors, le Parc veut inciter par convention les professionnels à se faire labelliser, parce que la demande en accessibilité est, en saison, supérieure à l’offre.
Côté transports, c’est la même offre de carence pour tout le monde, la plupart des gens viennent en voiture. « Les quatre principaux transporteurs du secteur ont des véhicules adaptés, mais rencontrent des problèmes techniques d’adaptation au terrain, poursuit Jean-Gabriel Ferrando. Nevers Château-Chinon et Château-Chinon Clamecy sont des lignes accessibles. Il y a un projet de transport à la demande sur Château-Chinon et environs ». Le complément est assuré par quatre taxis qui assurent également le transport sanitaire, mais le coût est élevé. Côté services à la personne, l’offre mise en place par les centres sociaux est allégée l’été et repose, pour les touristes, sur les infirmiers libéraux. « Pour moi c’est compliqué, cela dépend de la bonne volonté du professionnel, constate Jean-Gabriel Ferrando. L’offre infirmière est élevée, mais fonctionne au maximum sur la population. » Cela nécessite d’élaborer une offre saisonnière pour l’aide à domicile, un dispositif difficile à mettre en place et planifier. Enfin, les associations de commerçants sont associées dans un groupe de travail pour repérer et signaler les problèmes d’accessibilité, faire des visites de vérification, de sensibilisation des commerçants à l’accueil et au confort d’usage.
Un canal à conquérir. Si le Canal du Midi (lire cet article paru en mai 2003 et toujours d’actualité) est classé, tout comme le centre de Bordeaux, au patrimoine mondial de l’humanité tenu par l’Unesco, son accessibilité est plus que limitée : un seul bateau habitable adapté est proposé à la location au départ de Homps, obligeant à choisir quelle partie l’on souhaite parcourir. Aucun matériel de randonnée n’étant disponible, les parcours sur les chemins de halage sont limités. Des projets de mise à disposition de handbike ou 3e roue sont en cours d’étude sur Narbonne et Carcassonne.
Restent les sorties à la demi-journée ou journée sur des bateaux-promenades collectifs, généralement envahis de groupes… et les trajets en voiture. Seule la partie parcourant le département de l’Aude a expérimenté Destination pour tous, au départ de Castelnaudary puis en bifurquant sur Narbonne par le canal de la Robine. « C’est un chantier important, 80km à vol d’oiseau, un dossier ambitieux et complexe, avec Castelnaudary, Carcassonne, les Corbières, le Minervois, la Narbonnaise, commente Alain Coste, directeur du CDT de l’Aude. L’offre tourisme et handicap est répartie au long du canal, mais largement perfectible. » Et de préciser que les hébergements, restaurants, campings, musées sont diversifiés. Si la chaine du déplacement se met progressivement en place, en cumulant transports collectifs et services privés, le voyage nécessite encore une préparation attentive. « L’étude des services à la personne est l’un des éléments positifs de l’expérimentation, en amenant des acteurs locaux à se parler, assure Alain Coste. L’offre est en cours d’évaluation pour chaque territoire, en fonction des spécificités d’organisation locale. On est en chemin, on s’inscrit sur la durée. »
Balaruc-les-Bains l’indolente. Entre collines et Méditerranée, posée au bord d’un étang salé, Balaruc-les-Bains est à la fois balnéaire et thermale. Engagée dans la démarche Territoire adapté initiée par Hérault Tourisme, elle dispose d’un centre de voile aux installations et prestations adaptées, d’une plage surveillée avec Tiralos et système Audioplage, d’un centre thermo-ludique accessible (O’Balia) et d’un casino. Si l’offre de loisirs est large, les hébergements sont insuffisants : « On a visité quatre hôtels, l’Ibis a des travaux à faire, explique Pierre Lary, directeur de l’Office de Tourisme. Le Neptune pose beaucoup de contraintes, mais il a des clients handicapés fidèles. Les gîtes de la Pinède ont aussi des travaux à réaliser ». Ajoutons le Mercure, dont les chambres adaptées sont étroites, vétustes et éloignées du coeur de l’établissement. Si le centre-ville est plat, beaucoup de commerces ont un seuil et doivent installer une rampe.
Pierre Lary regrette toutefois le court délai laissé aux territoires pour cette expérimentation : « J’ai un double sentiment. En deux mois, on a fait un travail qui nous aurait pris deux ans ! On a pu avancer sur certains points et on a eu confirmation des contraintes liées aux structures privées. Dans le secteur public, des travaux sont prévus, même s’il y a des délais de programmation et de réalisation. »
En attendant qu’Hérault Transport termine la mise en accessibilité de son réseau bus et autocar, le service de transport spécialisé assuré par le GIHP est ouvert aux touristes. Côté services à la personne, un seul cabinet de médecin généraliste est accessible, ainsi que deux d’infirmiers, qui effectuent essentiellement des soins à domicile, sans garantie qu’ils le fassent au coeur de la saison estivale qui est également une période de congés des professionnels de santé. « Balaruc n’est pas prête pour le premier label, conclut Pierre Lary. On n’a pas monté un dossier de synthèse pour se positionner. »
Le verdict de l’État. Présidente de l’Association Tourisme et Handicaps et de la commission nationale du label Destination pour tous (pour lequel aucun budget ne semble encore avoir été dégagé par les ministères chargés du tourisme ou des personnes handicapées), Annette Masson laissait planer le doute il y a encore quelques semaines sur le développement de Destination pour tous. Marie Prost-Coletta, Déléguée Ministérielles à l’Accessibilité au sein du ministère du développement durable, logement, transports, etc., explique cette perspective, après avoir suivi trois des territoires expérimentaux : « L’expérimentation va servir à s’assurer que le label est opérant tel qu’il a été construit, et correspond à ce que les territoires attendent. Elle était un mandat pour construire le label, le tester, mais pas pour le délivrer. Le travail que l’on a fait sera repris ». Effectivement, sans attendre la synthèse de l’expérimentation, la ministre de la Solidarité et de la Cohésion Sociale, Roselyne Bachelot, a proclamé lors de la Conférence Nationale du Handicap du 8 juin dernier le lancement, dès juillet 2011, de Destination pour tous. Sans avoir tiré les enseignements qui montrent que la France de 2011 est encore mal préparée pour offrir le confort d’usage dû aux touristes handicapés.
Laurent Lejard, juillet 2011.