La question de l’accessibilité des personnes handicapées dans les infrastructures et édifices à usage public constitue l’épine dorsale de l’intégration sociale de cette catégorie de personnes au Cameroun, comme le relève Apollinaire Zang, qui utilise un fauteuil roulant : « Nous ne pouvons pas nous déplacer facilement, nos mouvements sont limités, notre insertion sociale en prend un grand coup. » A cause des escaliers, Apollinaire Zang est ainsi en difficulté de déposer le dossier de placement scolaire de son fils au Ministère des Affaires Sociales, dont les services sont installés dans un bâtiment conçu sans tenir compte de l’accessibilité aux personnes handicapées.

Le non-respect des lois et règlements en vigueur est la cause principale des difficultés d’accès dans les espaces ou l’environnement bâtis. Ce problème, qui tarde à connaître un dénouement, est pourtant une préoccupation de longue date des pouvoirs publics, traité pour la première fois par les articles 35 à 39 du décret 90/1516 du 26 novembre 1990 fixant les modalités d’application de la loi 83/013 du 21 juillet 1983 portant sur la protection des personnes handicapées. Ces dispositions prévoyaient des dimensions relatives à la largeur, la hauteur des portes et fenêtres, des interrupteurs, poignées de portes et autres installations nécessaires dans un édifice accueillant les personnes handicapées.

Même si la nouvelle loi 2010/002 du 13 avril 2010 portant sur la protection et promotion des personnes handicapées, qui abroge celle de 1983, ne reprend pas les normes précédemment énoncées dans le décret d’application évoqué plus haut, son article 33 pose le principe de l’accessibilité des personnes handicapées aux édifices et renvoie sa mise en oeuvre à un acte réglementaire. Un projet de décret d’application est en cours d’élaboration.

Par ailleurs, d’autres textes juridiques traitent de l’accessibilité des personnes handicapées, notamment la circulaire 001/PM/CAB du 18 avril 2008 par laquelle le Premier Ministre prescrit la prise en compte de l’approche handicap dans les règles régissant la passation, l’exécution et le contrôle des marchés publics notamment en matière de constructions d’infrastructures. Reste l’application des textes : « Pour leur protection, les personnes handicapées ont les plus beaux textes qui ne servent presque à rien, parce qu’on ne les applique pas ! » déplore Lucienne Emini, non-voyante rencontrée sur les escaliers du Ministère des Finances, venue là faire le suivi d’un dossier.

Les Camerounais handicapés sont souvent confrontés à l’ignorance ou à une méconnaissance de leurs difficultés d’accessibilité, de la part des maîtres d’ouvrages, des architectes, des entrepreneurs ou des décideurs. Fort de quoi, le Ministère des Affaires Sociales, avec l’appui des autres administrations et partenaires techniques, a procédé en 2008 à l’élaboration d’un « Guide pratique sur l’accessibilité des personnes handicapées aux infrastructures et édifices publics ou ouverts au public ». Ledit document présente des formes et des mesures spécifiques à l’accessibilité pour les déficients moteurs, auditifs et visuels.

Ce Guide, à l’élaboration duquel l’Association des Personnes Handicapées Moteur du Cameroun (APHMC) a pris une part active, rappelle le cadre juridique afférent et présente quelques illustrations de prise en compte de l’accessibilité : infrastructures, édifices ou voiries, etc. Il vise également à faciliter la tâche aux décideurs, planificateurs, architectes, dans les projets de construction en milieu urbain ou rural, pour la mise en oeuvre effective des prescriptions légales et réglementaires en la matière.

Toutes ces mesures ne pourraient avoir d’efficacité que si elles étaient accompagnées d’actions permanentes de sensibilisation des responsables en charge des constructions, ou d’une stratégie à l’endroit des contrevenants, des populations en général, et même des personnes handicapées elles-mêmes. Il semble que seule l’APHMC ait entrepris, depuis 2010, des actions de sensibilisation par voie d’affichage, d’autocollants et un projet d’élaboration de spots radiotélévisés. Ces actions n’ont toutefois pas connu le succès escompté à cause des moyens limités de cette organisation.

En dehors de quelques évocations médiatiques durant la Journée Internationale des Personnes Handicapées du 3 décembre, il n’existe pas d’autres actions des pouvoirs publics ou de la société civile destinées au grand public, visant une sensibilisation permanente des populations sur les difficultés que rencontrent les personnes handicapées dans leur accès aux infrastructures et édifices ouverts au public. C’est peut-être pour pallier ce manquement que la loi de 2010 a prévu, en amont, que l’autorisation de construire ou d’exploiter soit subordonnée à la prise en compte de l’accès et de l’usage des personnes handicapées, notamment pendant la phase de conception des projets de construction. Reste, encore une fois, la question de son application.

Outre le nouveau Palais des Sports de Yaoundé, prévoyant l’accessibilité des personnes handicapées, certains hôpitaux, supermarchés et grands hôtels apparaissent accessibles mais ces aménagements n’ont pas été faits a priori pour les personnes handicapées : ils sont plutôt destinés à faciliter la circulation des chariots, brancards et autres instruments nécessaires pour le fonctionnement de ces structures… Beaucoup de lieux accueillant du public sont encore conçus sans tenir compte des personnes en situation de handicap, notamment les services publics, agences de voyage, gares, lieux de culte, etc.

Les personnes handicapées ne s’en sortent que grâce à la « solidarité africaine », basée sur l’entraide les uns des autres. « Je dois me faire porter par quatre personnes ou plus pour entrer dans le train, parce que mon fauteuil roulant électrique pèse près de 100kg et que les portes du wagon sont situées à plus de 80cm du sol ! », affirme ainsi Noé Ngue, un paraplégique usager de la compagnie de transport ferroviaire.

Dans un contexte de non-respect généralisé de la réglementation en la matière, il est difficile d’envisager un quelconque classement des lieux, quartiers ou villes les plus accessibles. Pourtant, ce classement pourrait provoquer une certaine motivation de la part des constructeurs d’infrastructures et d’édifices.

Avec les mesures coercitives prévues par la nouvelle Loi, le décret d’application attendu sur l’accessibilité des personnes handicapées aux infrastructures et le dynamisme et la vigilance des personnes handicapées elles-mêmes, il reste à espérer que les concepteurs et aménageurs de l’espace public n’auront plus qu’à appliquer les principes d’accessibilité pour des personnes qui en ont désespérément besoin.

Étienne Mbogo, septembre 2011.

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