Au départ, c’est une excellente idée : transcrire selon la méthode « Facile à lire et à comprendre » le discours de politique générale du Premier ministre devant l’Assemblée Nationale contribue à l’accès des personnes déficientes intellectuelles à la politique qui les concerne. Une idée qui émanait de la ministre déléguée aux personnes handicapées : « A la demande de Madame la ministre Marie-Arlette Carlotti, précise son bureau de presse, le discours de politique générale du Premier ministre du 3 juillet 2012 a été retranscrit en facile à lire et à comprendre et mis en ligne ici depuis cet été. » Cette tâche a été réalisée par l’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei) et l’association Nous Aussi, qui réunit des personnes déficientes intellectuelles. Mais seul le discours du Premier ministre a été traité, pas ceux des orateurs des groupes politiques de la majorité comme de l’opposition, aucune synthèse « Facile à lire et à comprendre » de ce débat parlementaire n’a été publiée.

Trois mois plus tard, le 2 octobre, le Sénat débattait de la politique en direction des personnes handicapées à la suite de la publication d’un rapport sénatorial de suivi d’application de la loi du 11 février 2005. C’est l’association Les papillons blancs de Tourcoing (Nord) qui a réalisé, à la demande de l’Unapei, l’adaptation « Facile à lire et à comprendre » du discours de la ministre des personnes handicapées. Là encore, sans que l’adaptation du débat parlementaire ou de sa synthèse n’ait été envisagée. « C’est la deuxième fois que l’Unapei nous sollicite, explique Didier Vandewalle, directeur de la promotion de la personne aux Papillons blancs de Tourcoing. On a réuni un groupe de personnes d’un Etablissement et Service d’Aide par le Travail et d’un foyer de vie, on a écrit le texte avec elles, puis un autre groupe l’a relu et l’Unapei a apporté ses corrections. Cela a demandé plusieurs sessions de travail sur une semaine. On ne nous demandé d’adapter que le discours de la ministre, c’est un travail bénévole. » Experte en la matière, l’association tourquennoise a développé une méthode « Facile à lire et à comprendre » qu’elle a utilisé pour adapter de nombreux documents, notamment ceux qui régissent la vie sociale dans les établissements spécialisés qu’elle gère : « Les personnes handicapées mentales s’approprient les affaires qui les concernent, poursuit Didier Vandewalle. Ce n’est pas si facile à faire mais c’est passionnant, pour que les usagers aient accès aux droits. » Une action citoyenne que l’on ne peut qu’encourager pour qu’elle soit développée partout, mais dont la mise en oeuvre dans le domaine de la politique nécessite une plus grande impartialité.

« Pour l’Unapei, c’est un début, précise son porte-parole. C’est la première fois qu’un ministre chargé des personnes handicapées s’adresse directement aux personnes handicapées mentales et donc se rend accessible. C’est une considération appréciée. Dans l’idéal, tout devrait être évidemment rendu accessible: tous les discours, tous les documents administratifs, toutes les informations disponibles pour tout citoyen devraient être retranscrites en facile à lire et à comprendre. Le ministère délégué chargé des personnes handicapées a ouvert la voie et nous espérons vivement que cela soit déployé […] Pour retranscrire des débats, il faut être présent, c’est un travail à temps plein que les bénévoles ne peuvent pas assurer. Il faudrait en effet une personne dont le travail consisterait à retranscrire les débats du Parlement en Facile à lire et à comprendre avec la participation et la validation d’une personne handicapée mentale […] Dans l’état actuel des choses, cela coûte du temps de bénévolat, qui n’a pas de prix, si on devait aller plus loin, ça aurait forcement un coût. »

Une direction que la ministre des personnes handicapées n’envisage pas de prendre : « Il s’agit, à travers ces retranscriptions de discours, indique son service de presse, de rendre accessible au plus grand nombre des informations du Gouvernement. C’est une volonté de la ministre Marie-Arlette Carlotti. Il est complexe de retranscrire l’ensemble du débat, qui est très long, notamment parce que les retranscriptions sont réalisées par des bénévoles. »

Le caractère partiel de cette adaptation est donc justifié par le recours au bénévolat d’une part, et la volonté d’une ministre d’autre part, transformant une initiative démocratique d’accès aux droits en action de propagande gouvernementale. Avec comme résultat une belle instrumentalisation des personnes handicapées mentales et de leurs associations, que le Gouvernement se flatte d’informer, mais de sa seule action, sans laisser place aux arguments contradictoires, aux dépens du nécessaire débat démocratique.

Laurent Lejard, novembre 2012.

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