Ce sont des députés de l’opposition parlementaire qui ont soulevé le lièvre : dans ses préconisations relatives aux déclarations d’intérêts des professionnels de santé, la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) conseille de publier ces données sur Internet au format image. Cela pour « limiter la possibilité d’indexation par les moteurs de recherche ». L’objectif affirmé est de préserver les professionnels de santé de la dissémination des données relatives à leurs activités, alors même que la publication de leurs déclarations d’intérêts vise à informer le public de leurs éventuelles participations à des activités commerciales ou lucratives alors qu’ils siègent dans des comités ou travaillent pour des organismes publics. Dans ce cadre, la CNIL agit objectivement pour réduire le champ de diffusion de ces déclarations, et propose purement et simplement d’en interdire l’accès aux internautes aveugles auxquels, par définition, le format image est inaccessible.

Ce même mécanisme de publication aurait pu être mis en place pour les futures déclarations d’intérêts du personnel politique de notre pays, mais les députés en ont décidé autrement : ils ont supprimé, lors de l’examen en première lecture des projets de loi relatifs à la transparence de la vie publique, la publication de ces déclarations qui ne seraient consultables qu’en préfecture. Les amendements déposés par une poignée de députés de l’opposition visant au respect de l’accessibilité de la publication en ligne des déclarations d’intérêts ont donc été rejetés : ils étaient devenus sans objet, les députés ayant décidé, avec leur traditionnel courage politique, de s’auto-protéger…

Mais cela n’enlève rien à cette question fondamentale : la CNIL a-t-elle le droit de préconiser l’inaccessibilité aux personnes aveugles de la diffusion d’informations sur Internet ?
« Nous voulons trouver le juste équilibre entre l’accessibilité de l’information et la préservation de la vie privée, explique un peu gênée une juriste de la Cnil qui a suivi ce dossier. La Commission fait des préconisations qui ne sont pas impératives, elles sont une indication de moyens. » Moyens qui, en l’absence de rappel adéquat, s’affranchissent de l’accessibilité du web telle que définie par l’article 47 de la loi du 11 février 2005: « Les services de communication publique en ligne des services de l’Etat, des collectivités territoriales et des établissements publics qui en dépendent doivent être accessibles aux personnes handicapées. L’accessibilité des services de communication publique en ligne concerne l’accès à tout type d’information sous forme numérique quels que soient le moyen d’accès, les contenus et le mode de consultation. »

Bien évidemment, les préconisations de la CNIL ne sauraient à seules limiter les lois de la République. Mais combien de gestionnaires de sites Internet connaissent-ils la réglementation en matière d’accessibilité ? Dès lors qu’ils prendront conseil auprès du service juridique de la CNIL, ils pourront considérer le format image comme légal puisque préconisé par cette autorité administrative indépendante censée garantir les droits et libertés. « Je ne sais que répondre, concède la juriste de la Cnil. On n’a pas envisagé que les gestionnaires de sites Internet traitent ainsi nos recommandations. »

Laurent Lejard, juin 2013.

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