L’affaire avait tout d’une galéjade quand elle a été révélée par le Canard Enchainé le 21 mai dernier : les nouveaux Trains Express Régionaux (TER), le Régiolis d’Alstom et le Régio2N de Bombardier, sont plus larges de 20 centimètres que la précédente génération (AGC et TER 2N NG des mêmes constructeurs), et pour les faire circuler en pleine sécurité, sans risque de chocs, les quais de gare doivent être rabotés à la va-vite ! Cette incongruité, qui va coûter 50 à 130 millions d’euros selon les sources, résulte de l’absence de dialogue entre Réseau Ferré de France (RFF), propriétaire des quais et des rails depuis la réforme de 1997, et la SNCF qui gère les gares et le transport ferroviaire. A l’époque, l’objectif était de restructurer en filiales la SNCF afin de la privatiser morceau par morceau, ce que la conjoncture n’a pas permis de finaliser. Réforme qui devrait être… réformée dans les prochains mois par la création de trois entités ! Il reste à démontrer (les technocrates et les politiciens s’y emploieront) que la réorganisation de RFF et de la SNCF servira mieux les clients, dont ceux qui sont handicapés.

Ces derniers vont être en effet les uniques victimes d’un rabotage de quais qui va augmenter l’espace vide (lacune) entre les quais et le plancher des TER récents qui étaient jusqu’alors aisément accessibles. Les clients en fauteuil roulant manuel devront être vigilants, les utilisateurs de fauteuil électrique risquent de coincer dans le vide les roues avant de l’engin, les aveugles devront surveiller l’embout de leur canne blanche au risque de le briser, etc.

Il est impossible de savoir de combien de centimètres la lacune sera augmentée. « Il n’y n’a pas d’impact sur l’accessibilité, insiste un porte-parole de la SNCF. Cela ne posera pas de problème. Quelques centimètres de quai sont meulés. » Lequel porte-parole, agacé par la question, refuse de préciser la valeur de ces « quelques centimètres » ni prouver par une vérification ou un test de terrain que ce meulage n’a pas d’impact sur l’accessibilité.

Réponse similaire mais plus posée à Réseau Ferré de France : « Le rabotage est surtout effectué sous l’emmarchement, et diffère d’un quai à l’autre, explique son représentant. L’accessibilité sera améliorée, les nouveaux Régiolis et Régio2N proposent une meilleure qualité de service. Le rabotage représente quelques centimètres dans le pire des cas, cela ne devrait pas poser de difficultés. » Toutefois, la SNCF a décidé de réunir avant fin juin son Conseil Consultatif des Personnes Handicapées et à Mobilité Réduite.

Comment, dès lors, comprendre la déclaration de la ministre en charge des transports, Ségolène Royal, qui a demandé à RFF et la SNCF de saisir l’occasion de ces travaux pour rendre tous les quais accessibles aux voyageurs handicapés ? Le secrétaire d’Etat aux transports, Frédéric Cuvillier, s’est efforcé d’expliciter le 26 mai dernier, lors de la présentation du rapport RFF-SNCF relatif à la mise en conformité des quais desservis par les nouveaux TER, à la fois sur le risque de destruction d’accessibilité et les travaux demandés par « sa » ministre alors que le Gouvernement s’apprête à repousser à 2024 l’échéance de mise en accessibilité du réseau ferroviaire : « Sur la première question, j’ai partiellement répondu en disant qu’à partir de ce rapport les procédures de dialogue devaient permettre à RFF et à la SNCF de prendre en compte la nécessité, et c’est ma demande et c’est ma commande, de l’accessibilité sur les quais. Donc c’est pour moi un des aspects et pas le moindre sur cette question de sorte que ces travaux soient aussi l’occasion de mettre l’accent sur l’accessibilité et que les conséquences des travaux soient aussi vues sous l’aune de ces difficultés d’accessibilité. »

« Pour votre deuxième question, complète Frédéric Cuvillier, le Gouvernement ne repousse rien, le Gouvernement essaie de remettre des engagements qui ont été pris par d’autres sans que jamais aucuns travaux n’aient été engagés. Vous le savez, sous la présidence de Jean-Marc Ayrault alors Premier ministre, à plusieurs reprises nous avons réuni des comités interministériels sur l’accessibilité, et notamment le ministère des Transports, et notamment sur la question de l’accessibilité des quais. Donc il ne s’agit pas de repousser, il s’agit au contraire de constater combien la carence est grande puisque, de mémoire, la loi était de 2008, que l’objectif était de 2015, et que cet objectif ne peut pas être tenu puisque entre 2005 et 2015, très peu voire pas, particulièrement dans certains domaines des transports, je pense à celui-ci, de travaux n’ont été engagés. Donc je m’associe, je dirais même mes propos sur l’accessibilité des quais et des gares en général ont été repris et appuyés par les ministres et je les en remercie, et par la sénatrice et je l’en remercie. » Conclusion étonnante : c’était la première fois que Frédéric Cuvillier s’exprimait publiquement sur ce sujet en deux ans de ministre puis secrétaire d’Etat aux transports…

Laurent Lejard, avril 2014

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