C’est à l’état de chantier que la Philharmonie de Paris a été inaugurée par le Président de la République et ouverte au public le 14 janvier dernier. Son bâtiment grisâtre s’élève porte de Pantin (Paris 19e) juste à côté de la Cité de Musique. Si le côté façade principale n’attend plus que ses finitions, les accès sont encore à fignoler et désencombrer de matériaux de chantier. Mais dès que l’on explore l’arrière du bâtiment, on constate qu’il y a encore de gros travaux à réaliser ! Le toit promenade ne sera pas ouvert au public avant plusieurs mois, alors qu’il constitue un argument architectural fort. Alors, pourquoi ouvrir une salle dans ces conditions, avec une accessibilité et un accueil inachevés des visiteurs et spectateurs handicapés ? Des dizaines de milliers de personnes ont acheté toutes les places disponibles pour les premiers concerts, et il n’y avait plus de solution de repli : retarder l’ouverture aurait entraîné l’annulation des concerts, le paiement de dédits aux artistes et le remboursement des billets aux spectateurs, un désastre !

La Philharmonie de Paris a donc été ouverte envers et contre tout et surtout son « starchitecte », Jean Nouvel, écarté du chantier il y a deux mois. La direction de l’établissement, le ministère de la Culture et la ville de Paris (financeurs à 90%, la région contribuant pour 10%) ont pris cette décision pour sauver ce qui pouvait encore l’être, convaincus que les atermoiements et exigences coûteuses du concepteur retarderaient la livraison et alourdiraient une note déjà salée: le coût de construction a triplé, passant de 110 à plus de 300 millions d’euros. Les errements constatés lors de la construction du célèbre musée du Quai Branly, confiée au même Jean Nouvel, se sont reproduits ici, comme si les politiciens qui lui ont confié le marché en 2006 n’avaient tiré aucune leçon de l’expérience.

Aujourd’hui, la Philharmonie est accessible aux personnes à mobilité réduite, même si des équipements restent à installer ou à mettre en service pour les personnes déficientes sensorielles : borne sonore directionnelle, plans relief et braille, boucles magnétiques, signalétique, etc. Le grand escalier attend les derniers clous de ses bandes d’éveil de vigilance, les ascenseurs extérieurs assurent déjà la liaison entre les parvis des niveaux supérieur et inférieur : c’est par ce dernier que devront passer les personnes en fauteuil roulant afin d’éviter la pente trop forte de la rampe décorée de ternes oiseaux stylisés. Les costauds pourront affronter la rampe principale, en la gravissant à l’extrême-droite où le cheminement est le moins pentu. Les curieux se demanderont pourquoi deux rampes d’accès vont vers le bas, dont une très pentue demandée, paraît-il, par des associations… Les visiteurs fatigables n’auront pas le choix : marcher plusieurs centaines de mètres depuis les arrêts des transports publics, ou venir en voiture, stationner dans le (cher) parking souterrain puis emprunter les ascenseurs extérieurs. La Philharmonie, dès sa conception, est un monument difficile aux personnes à mobilité réduite. Ces premières impressions confirment ce que laissait déjà pressentir les propos du directeur de la Philharmonie, Laurent Bayle, en juin 2014.

Cette difficulté se poursuit à l’intérieur, dans les larges couloirs de circulation qui ondulent le long de la salle et dont quelques pentes sont pénibles à franchir, à cause d’une moquette omniprésente qui freine les roues d’un fauteuil; l’isolation phonique y gagne ce que les roulants et mal marchants perdent… Avec du public, l’exercice devient fatigant à cause des multiples reprises d’effort pour circuler. Quant aux spectateurs malvoyants, ils ne devraient guère apprécier les toilettes uniformément blanches…

Les enfants, eux, ont déjà compris l’attrait des couloirs et lieux d’attente aux murs, sols et plafonds peints en rouge et desservant les salles d’activité pédagogiques: les vertus excitantes de cette couleur se traduisent en courses et cris. Les personnels apprécient certainement les serrures posées tout en bas des portes, il paraît qu’elles gênaient l’architecture du bâtiment, mais le problème sera bientôt réglé par des fermetures à hauteur de mains dont les trous percés sont bien visibles. Certains obstacles à la tête sont d’ores et déjà occultés par la pose de bancs blancs venant, par exemple, empêcher qu’une personne amblyope ne se cogne à l’angle d’une « boite panoramique » ou de l’arrière d’un escalier.

Mais l’essentiel dans une salle de concerts est la musique: côté acoustique, le résultat est actuellement assez décevant, avec un son plutôt sec qui éteint les notes. Ce son ne vit pas, il sort brut de l’instrument et la salle ne l’embellit pas, ne lui donne ni brillant ni mordant.

« Du rang où nous étions (au milieu du parterre, explique Bertrand Dermoncourt dans L’Express au sujet du concert inaugural du 14 janvier), il apparaissait aussi assez lointain, parfois peu précis, déséquilibré au détriment des cordes, et peu favorable aux solistes. »

Pour la vision, les spectateurs en fauteuil roulant sont victimes d’un mauvais étagement des rangées de sièges des gradins : des spectateurs gênés par les têtes de ceux qui sont assis devant eux ont tendance à se pencher en avant, ce qui fait que les « fauteuils » placés tout en haut voient davantage des dos et des têtes que le chef d’orchestre. Ce problème semble toutefois ne pas se poser au 4e balcon. Bien d’autres carences en accessibilité vont entrainer des travaux correctifs, comme des portes trop étroites, des toilettes mal utilisables (d’ailleurs fermées au public), etc. Sans parler des accès extérieurs qu’il faudra bien mettre en cohérence avec la voirie : les spectateurs aveugles qui viendront en tramway ou métro risquent de ne pas trouver les entrées, déviés qu’ils seront par le guidage podotactile de la voie cyclable qui parcourt le trottoir de l’avenue Jean Jaurès ! Ultime écueil : il convient de remarquer qu’en ce début de XXIe siècle, à l’heure du tout électronique, la réservation des places « fauteuil roulant » est impossible sur le site web de la Philharmonie, où le plan de salle a même disparu. A se demander si cette nouvelle institution culturelle s’adresse vraiment à tout le monde…

Laurent Lejard, janvier 2015.

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