Cela devient une manie : l’obligation d’accessibilité disparaît dans tous les domaines, ces temps-ci. Après la désintégration par ordonnance de l’accessibilité universelle du cadre bâti et des transports, c’est au tour de celle des sites Internet de l’Administration et des services assimilés. L’obligation instituée par l’article 47 de la loi du 11 février 2005 et réglementée par le décret du 14 mai 2009 n’a pas été respectée, comme en témoignait l’audit de 600 sites Internet de l’Administration publié en juin 2014 par un opérateur privé : moins de 4% avaient fait l’objet du dépôt de l’auto-déclaration de conformité instituée par la réglementation, et dans des termes peu sincères. Un sujet qui a grandement fâché la secrétaire d’État chargée de la Réforme de l’État et de la Simplification, Clotilde Valter, lors du lancement officiel, le 25 juin dernier, de la 3e version du Référentiel Général d’Accessibilité de l’Administration (RGAA) : « On ne va pas rentrer dans un débat, je suis désolée, on parle de ça [le RGAA] aujourd’hui et on n’entre pas dans un débat. […] Dans ce cas-là, je ne réponds pas à vos questions et je m’en vais ! » Clotilde Valter a refusé tout net de dire si le Gouvernement entendait remplacer l’obligation légale d’accessibilité par un simple label à caractère facultatif. Pourtant, un responsable associatif a précisé que les services de la secrétaire d’État chargée du Numérique, Axelle Lemaire, prépareraient une réforme de cette obligation.

Donc, la voie suivie par le Gouvernement repose désormais sur une approche volontaire de la part de l’Administration, dont l’animation est confiée à la Direction Interministérielle des Systèmes d’Information et de Communication (DISIC) de l’État. « On agit sur deux leviers puissants, explique son directeur, Jacques Marzin. Le premier, c’est maîtriser l’accessibilité immédiate et instantanée des nouveaux sites. Au sein de tous les projets, on intègre les critères d’accessibilité dans les conditions d’acceptation d’ouverture. Et puis on a l’énorme problème du stock, tous les sites existants, là c’est plutôt le label et l’incitation à progresser qui va nous permettre de monter en accessibilité. Un label nous semble beaucoup plus puissant qu’une déclaration de conformité qui a un côté un peu administratif auto-déclarant, à mon avis un peu moins valorisant. » Jacques Marzin déconseille pourtant aux gestionnaires de sites existants le niveau le plus élevé d’accessibilité prévu par le RGAA : « D’abord, il dépasse de loin l’obligation légale et il est la plupart du temps réservé à des sites ouverts à des personnels handicapés. On arrive à des choses qui sont très spécifiques à certaines catégories de handicap, et correspondent à des niveaux d’investissement et de coûts qui sont extrêmement élevés. C’est la raison pour laquelle on n’incite pas les administrations à viser ce niveau maximum dans l’instant, mais plutôt de procéder par étapes. » Reste la question de la compétence à créer de l’accessibilité : « On a monté avec nos partenaires tout un cursus de formation avec les supports qui permettent de le mettre en oeuvre, conclut Jacques Marzin. On travaille aujourd’hui avec les directeurs des services informatiques des ministères qui bâtissent un plan d’accessibilité, et les actions de formation et d’accompagnement font partie de ce plan d’action qui est en train de se lancer. »

C’est le Fonds pour l’Insertion professionnelle des Personnes Handicapées dans la Fonction Publique (FIPHFP) qui finance la mise en accessibilité des sites Internet de l’Administration. « Le Fonds a reçu cette mission des pouvoirs publics à l’occasion de la Conférence Nationale du Handicap de juin 2011, précise son directeur, Jean-Charles Watiez, mission qui concerne à la fois les locaux professionnels, les écoles du service public et l’accessibilité numérique. On dispose d’une enveloppe de 150 millions d’euros pour financer la réalisation de ces trois accessibilités. S’agissant de l’accessibilité numérique, ce n’est que depuis la fin de l’année 2012 que le FIPHFP s’est vraiment employé à y travailler activement en nouant trois partenariats importants, un premier avec le Service d’Information du Gouvernement [SIG], le second avec la DISIC et enfin avec le Centre National d’Enseignement à Distance [CNED]. » Il convient de préciser que ces 150 millions proviennent de la contribution des administrations qui n’emploient pas, conformément à la loi, 6% d’agents handicapés, l’enveloppe ayant été décidée par les ministères de tutelle du FIPHFP qui réalisent ainsi des économies sur leurs budgets. Depuis, le Fonds a engagé 68 millions d’euros, dont 10 millions en faveur de l’accessibilité numérique, la DISIC ayant reçu plus de 3 millions pour réviser le RGAA. Comment le Fonds financera-t-il la mise en accessibilité des sites web administratifs ? « Nous sommes en train de renouveler entièrement le catalogue de nos aides, poursuit Jean-Charles Watiez, et nous en profitons pour inclure un volet accessibilité numérique sur des objets relativement simples qui pourraient être finançables directement auprès des employeurs publics de petite taille. » Le FIPHPF ne se fixe pas d’objectifs quantitatifs, mais qualitatif.: « Avec l’ensemble de nos représentants dans les régions, nous voulons identifier des employeurs publics qui ont vraiment des projets matures pour les aider à mettre à niveau leurs outils numériques », conclut Jean-Charles Watiez.

Côté associations, on observe la situation avec pragmatisme : « Le décret est presque caduc, il faudrait le mettre à jour, estime Mathieu Froidure, responsable de la commission nouvelles technologies de la Confédération Française pour la Promotion Sociale des Aveugles et Amblyopes (CFPSAA). Quel que soit le référentiel, ce qui fait qu’un service est accessible est son application; le RGAA reste complexe et propose un premier niveau d’accessibilité. » Pour Mathieu Froidure, qui dirige également la société Urbilog qui réalise des sites accessibles, c’est une affaire de professionnels dûment sensibilisés et formés : « Il reste beaucoup de gens qui ne connaissent pas l’accessibilité. Inexorablement, c’est un sujet sur lequel il faut former les professionnels, pour acquérir des réflexes. En tant que professionnel, on a des contrats avec les collectivités, mais si l’accessibilité n’est pas dans le projet… Elle figure dans la loi, mais elle ne contraint personne. » Mathieu Froidure déplore également que les terminaux mobiles (téléphones, tablettes) soient oubliés par le 3e RGAA, et plus globalement que l’accessibilité reste la grande absente du secteur commercial : « Il faut motiver les entreprises privées, sinon cela ne va pas changer grand-chose. »


Propos recueillis par Laurent Lejard, août 2015.

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