« Le coût pour les personnes handicapées du transport à la demande mis en place par une autorité organisatrice de transport ne peut être supérieur à celui applicable aux autres usagers dans un même périmètre de transport urbain. » Comment comprendre cette disposition introduite dans le code des transports par la loi de ratification de l’ordonnance de réforme de l’accessibilité, et qui s’applique depuis le 7 août dernier ? Comme une obligation d’égalité tarifaire entre clients du même service de transport à la demande (TAD), ou celle d’aligner le prix du TAD sur celui du transport collectif ? A l’origine de cette disposition législative, la députée socialiste Bernadette Laclais répond clairement : « Cela s’entend quel que soit le mode de transport. Réduire cette disposition aux seuls TAD n’est pas l’esprit du législateur. » Mais elle reconnaît que le Sénat ne voulait pas de cette disposition, alors que l’amendement défendu par Bernadette Laclais, qui était clair, a été modifié lors de la Commission Mixte Paritaire par un amendement du sénateur Les Républicains Philippe Mouiller adopté à la va-vite. Ce dernier a refusé de préciser son interprétation du texte mais, lors des débats, il défendait le maintien d’une tarification différenciée, et donc plus chère, des services de TAD pour personnes handicapées.

Activiste reconnue, et représentante Départementale de l’Association des Paralysés de France en Haute Garonne, Odile Maurin est prudente quant à l’application de l’égalité tarifaire : « La question qui risque de se poser selon moi est de savoir si un transport adapté en porte-à-porte relève de la définition d’un transport à la demande. Si effectivement un service de transport adapté en porte-à-porte peut correspondre à la définition d’un transport à la demande, il ne faut pas oublier la notion de porte-à-porte qui est un service supplémentaire par rapport à un transport à la demande classique. Dans l’esprit des parlementaires qui ont ratifié l’ordonnance, il s’agissait vraisemblablement de calmer les associations en prévoyant la gratuité des services de transport adapté en porte-à-porte. Le problème c’est qu’en utilisant le terme de transport à la demande, je crains qu’ils ne soient passés à côté de l’objectif. Volontairement ou involontairement. »

Cette distinction se retrouve également dans le point de vue de l’un des principaux opérateurs en la matière, le groupe Keolis, filiale de la SNCF. Il répartit le TAD en deux catégories : une ligne qui n’est opérée que si un client le demande en contactant la compagnie locale, et le transport de porte-à-porte de personnes handicapées. « Dans la plupart des filiales, ajoute son porte-parole, le prix est identique au réseau urbain ou interurbain alors que son prix de revient est largement supérieur aux transports en commun. Dans certaines filiales le tarif est légèrement supérieur à un ticket unitaire avec toutefois une particularité : l’accompagnateur dans tous les cas est gratuit si nécessaire. » Sauf que ce n’est pas l’opérateur qui fixe tarif et conditions d’accès, mais l’Autorité Organisatrice de transports.

Avocate spécialisée en droit du handicap, Alexandra Grévin rappelle la définition légale du TAD: « Les services publics à la demande de transport routier de personnes sont des services collectifs offerts à la place, déterminés en partie en fonction de la demande des usagers et dont les règles générales de tarification sont établies à l’avance, et qui sont exécutés avec des véhicules dont la capacité minimale est fixée à quatre places, y compris celle du conducteur. Ces services peuvent être organisés pour des catégories particulières d’usagers. »

Elle rappelle que les Autorités Organisatrices doivent mettre en place des transports de substitution en cas d’inaccessibilité de points d’arrêt ou de réseau souterrain : « Les transports de substitution sont prévus aux articles L1112-4 et L1112-5 du code des transports. Dans ces deux cas, l’autorité organisatrice de transport doit mettre en place un service de transport adapté aux besoins des personnes handicapées ou à mobilité réduite. En application de l’article L.1112-4 du code des transports, le coût de ces transports de substitution pour les usagers handicapés ne doit pas être supérieur au coût du transport public existant. Le transport de substitution peut être organisé sous forme de transport à la demande. Je trouve la définition entre ces deux transports, TAD et substitution, assez ténue. »

L’égalité tarifaire existe d’ores et déjà dans quelques villes. A Rennes, dont le TAD est opéré par Keolis, elle est totale depuis le 1er janvier 2013, date d’entrée en vigueur de la nouvelle Délégation de service Public. « La DSP est unique, précise le porte-parole de Rennes Métropole, elle couvre les réseaux Star et Handistar. Les personnes aveugles ou en fauteuil roulant accèdent de plein droit. » Les visiteurs et touristes également, en contactant Handistar au préalable pour satisfaire à quelques formalités, ce qui n’est pas si fréquent.

En effet, si l’égalité tarifaire avec le transport collectif semble en bonne voie dans notre pays, chaque opérateur oblige à s’inscrire au service qu’il gère, il n’existe pas un droit d’accès reconnu nationalement, telle la possession de la carte d’invalidité. L’égalité tarifaire existe également, de longue date, à Grenoble, comme le précise Henri Galy, président du Comité pour le Droit au Travail des Handicapés et l’Égalité des Droits (CDTHED) : « Nous avons obtenu cette égalité tarifaire en janvier 2004. Dans l’agglomération grenobloise, l’usager handicapé achète rigoureusement les mêmes titres de transport que l’usager valide, qu’il s’agisse de tickets à l’unité, de carnets de tickets ou d’abonnements, etc. En outre, s’il est titulaire de la carte d’invalidité, alors il a droit au tarif réduit. »

En Seine-Maritime, l’égalité tarifaire existe dans les réseaux urbains et interurbain : « Pour l’agglo du Havre ou CODAH, le tarif du service Mobi’Fil est le même que pour les lignes ordinaires, explique Michel Pons, président de la Coordination Handicap Normandie. En ce qui concerne l’agglo de Dieppe, le tarif du TAD est de 1,10€ pour toutes les personnes quelle que soit leur situation. En revanche le Pass annuel, gratuit pour les personnes handicapées de Dieppe et Rouxmesnil-Bouteilles, ne donne pas accès au TAD. Pour le département de Seine-Maritime, le tarif de Minibus 76 est le même que les lignes régulières mais ce service n’intervient qu’en dehors des trois grandes agglo (Rouen, Le Havre, Dieppe) ce qui rend compliqué son utilisation pour les PMR. D’une manière générale, j’entends, notamment sur Rouen, qu’il est efficace pour ceux qui l’utilisent régulièrement (aller au travail par exemple) mais vite indisponible pour les occasionnels. Par ailleurs, si chaque territoire a globalement mis en place ce service, il est compliqué, pour ne pas dire quasi impossible de se déplacer d’un territoire à l’autre. Reste la question des horaires pour aller et surtout revenir d’un spectacle. » L’accessibilité tarifaire ne fait pas tout, un TAD doit être organisé pour répondre à la réalité des besoins de la clientèle.

Et en Ile-de-France ?

Régis par le Syndicat des Transports d’Ile-de-France (STIF), huit TAD PAM desservent les départements franciliens à des tarifs élevés, assez identiques d’un département à l’autre. Ils effectuent plus de transports que l’ensemble des autres TAD de France. Si les prix sont répartis en quatre tranches de nombres de kilomètres parcourus, le Conseil Départemental de Seine-et-Marne subventionne les trajets courts et moyens, de même que celui du Val-de-Marne : dans ce département, le tarif est assez proche du coût du ticket de bus mais forcément supérieur aux formules d’abonnement. Mais dans les autres départements (Paris, Yvelines, Essonne, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val d’Oise), il faut avoir les moyens pour utiliser PAM : un trajet court coûte l’équivalent de cinq tickets de bus, dix trajets courts ou un aller-retour en grande banlieue reviennent plus cher que l’abonnement mensuel Pass Navigo ! L’alignement tarifaire ferait réaliser plus de 250€ d’économie mensuelle à un salarié handicapé utilisant quotidiennement un PAM pour se rendre à son travail. Fidèle à sa politique particulière de communication, le STIF refuse d’indiquer quand il demandera aux opérateurs d’aligner leurs tarifs sur ceux du réseau RATP-Transilien-Optile, et l’un de ses porte-parole glisse même qu’il pourrait ne pas respecter la loi, soulevant un problème juridique d’application… Vice-Président du STIF et Président de la commission transports du Conseil Régional Ile-de-France qui cofinance les PAM, Pierre Serne a un autre avis : « Les services de la région ont été surpris comme tout le monde par cette disposition votée par amendement sans discussion préalable avec les autorités organisatrices de transport. Les services juridiques et financiers sont en cours d’évaluation de ce que ça pourrait impliquer en Île-de-France. A ce stade, avec une évaluation grossière, le coût supplémentaire pour les collectivités locales franciliennes financeuses de PAM pourrait s’élever à 3 millions d’euros pour un système dont le financement est déjà compliqué. Cela dit, bien entendu nous nous conformerons aux textes en vigueur. » Sera-t-il suivi par le STIF, qui fonctionne en autonomie techno-bureaucratique capable de s’affranchir de la tutelle politique ? Rien n’est moins sûr, la nouvelle disposition est en cours de dissection administrative. « Je vais demander au ministère des transports quelle interprétation pourrait être faite de ce texte, s’inquiète la députée Bernadette Laclais. Je veillerai à son application même s’il faut à nouveau amender le texte. » Affaire à suivre…

Laurent Lejard, septembre 2015.

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