Le 16 novembre 2015 vers 1 heure du matin, une escouade policière a fracassé la porte d’un appartement dans un quartier sud d’Avignon (Vaucluse). L’occupant de ce petit logement, c’est David M., Arménien arrivé en France en 2008 avec sa famille. Agé de 21 ans, c’est un aveugle complet converti à l’islam depuis ses 17 ans. Quel crime lui a valu cette destruction suivie d’un menottage mains dans le dos puis d’une perquisition dévastant l’appartement accompagnée de la saisie de son ordinateur adapté et de la chaine hifi sur laquelle il écoutait rap, rock et livres audio ? David M. portait la barbe et il a décidé de la raser quelque temps avant les horribles attentats de Paris et Saint-Denis. Des voisins, qui n’apprécient pas le jeune homme, l’ont remarqué et, n’écoutant que leur civisme, ont dénoncé l’aveugle musulman à la police. Laquelle est venue mettre « bon ordre » dans le style particulier que des milliers de personnes ont subi ces trois dernières semaines…

Au terme de son audition et de 48 heures de garde à vue, aucun délit, aucune infraction n’a été relevé à l’encontre de David M. Mais l’état d’urgence étant proclamé en France depuis le 13 novembre, sur simple soupçon de la police les préfets ont le droit d’assigner des personnes à résidence : obligation de rester au domicile de 21 heures à 5 heures du matin et de pointer à la police ou la gendarmerie trois fois par jour. Au moindre manquement, c’est six mois de prison. Cette coercition n’est pas employée qu’à l’encontre de musulmans, elle est également appliquée à des militants écologistes soupçonnés de vouloir manifester lors de la conférence mondiale sur le climat qui se déroule jusqu’au 12 décembre en banlieue parisienne : 24 d’entre eux au moins ont reçu une telle assignation valable jusqu’au dernier jour de la COP 21. En cet automne 2015, les Français découvrent la différence entre Etat de droit, dans lequel la police doit prouver ses reproches, les fonder sur la législation et rendre compte aux magistrats, et Etat policier dans lequel l’autorité administrative agit comme elle l’entend.

Que reprochent donc la police et le préfet du Vaucluse à David M.? Issu d’une famille catholique arménienne non pratiquante, il s’est converti à l’islam, ce qui ne regarde que lui. Il s’est également laissé pousser une barbe que ses voisins ont perçue comme un signe d’intégrisme… La police a par ailleurs remarqué qu’il avait discuté avec le « bras droit » de l’imam (assigné à résidence) de la mosquée salafiste de Sorgues (10 km au nord-est d’Avignon). Ce « bras droit » habitant le même quartier que David M, il est assez naturel qu’ils se parlent. Aux yeux de la police, c’est suffisamment suspect pour établir sur le jeune homme l’une de ces fameuses (et si utiles) fiches S d’atteinte à la sécurité de l’Etat… mais pas assez pour que le « bras droit » sus-mentionné soit inquiété!

Quant à la mosquée de Sorgues, David M. n’y est jamais allé. D’ailleurs, il n’a aucune activité politique ou prosélyte, n’a tenu aucun propos sectaire; aucune action « anti-française » n’a été invoquée par la police. Mais son tourisme oui: le jeune homme est en effet allé en octobre voir ses parents, qui vivent à Lille, et en a profité pour visiter Bruxelles… La police française lui reproche de s’être promené à cinq kilomètres de Mollenbeek Saint-Jean (l’une des communes qui forment Bruxelles) d’où est originaire l’un des membres des commandos du 13 novembre.

Pourtant David M. n’est pas allé à Mollenbeek: il avait prévu d’aller visiter des amis au Maroc et devait prendre un avion low-cost le 16 novembre, second séjour perçu comme suspect par la police.

Enfin, crime suprême, David M. possède plusieurs téléphones mobiles neufs, en plus de l’Iphone qu’il utilise habituellement. Résumons les reproches policiers : un musulman converti rasé de frais possède plusieurs téléphones et a voyagé au Maroc puis visité Bruxelles et allait retourner au Maroc, tout cela en étant aveugle de naissance… « Les policiers ne m’ont rien dit de concret, relate David M. Des choses qui ont un rapport avec mes voyages, mais je n’ai rien fait de mal. On m’a par exemple dit que j’étais allé en Belgique le 22 octobre. J’étais à Lille chez mes parents et je suis allé faire un petit tour à Bruxelles, en fait. Mon voyage au Maroc, je l’ai préparé bien à l’avance, et les policiers disent que je l’ai préparé par rapport aux attentats. »

Lors d’un premier séjour en mai dernier où il était parti à l’aventure, David M. s’est fait des amis qu’il voulait revoir, et souhaitait découvrir d’autres lieux du Maroc. Sans formation ni métier, il n’a que le brevet des collèges, ne travaille pas et vit seul avec l’Allocation aux Adultes Handicapés, son complément et une allocation logement. Arménien parlant parfaitement le français, il a demandé à sa majorité la nationalité française, qui lui a été refusée : « L’environnement dans lequel vous vivez ne vous permet pas de vous assimiler à la vie, l’intégration française et à ses valeurs », lui a écrit la préfecture. David M. était, à ce moment-là, fraichement converti à l’Islam. Quelles étaient ses relations avec ce fameux « bras droit d’un imam salafiste » ? « Je ne suis pas sûr de qui il s’agit exactement, explique le jeune homme. J’ai cité aux enquêteurs les prénoms des gens qui m’ont aidé et c’est peut-être parmi eux que figure cette personne, mais moi j’en sais rien. » La encore, aucune description, pas de confrontation, rien : David M. a été auditionné sans avocat, bien qu’il en ait demandé un. « Les policiers m’ont dit qu’il ne pouvait pas ‘ouvrir sa gueule’, ‘tout ce qu’il peut demander c’est son chèque de 500€’. » Ses déclarations ont été recueillies dans un procès-verbal que les policiers lui ont fait signer sans le lui lire, alors que sa cécité l’empêchait de le faire, et sans témoin attestant de la conformité du document : « Ils m’ont montré où il fallait signer, ils m’ont dit qu’il s’agissait du procès-verbal de la garde à vue, c’est tout, personne pouvait venir me voir, il n’y avait que des policiers autour de moi. »

Si les policiers ont tout mis sens dessus-dessous dans l’appartement, ce ne sont évidemment pas eux qui ont rangé : David M. ne retrouvait plus rien chez lui. Ce sont des membres de la communauté musulmane qui l’ont aidé à retrouver sa canne blanche, ses repères, l’accompagnent quotidiennement au commissariat d’Avignon, le soutiennent. Son avocat a lancé au Tribunal Administratif une procédure de contestation de l’assignation à résidence, une audience est prévue le 17 décembre prochain pour examiner le fond de l’affaire. Et là, il faudra plus que des vagues soupçons pour convaincre les juges.

Laurent Lejard, décembre 2015.

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