Le monde (parisien) de la musique n’a bruissé que de l’ouverture à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) de La Seine Musicale durant le mois d’avril dernier. Un équipement musical qui faisait défaut dans l’ouest de Paris, un bel et grand « geste architectural » comportant une vaste salle pour les concerts de musique amplifiée, un auditorium pour le classique, des salles de répétition et de travail pour les formations musicales résidentes, des commerces et restaurants encore à venir… Grand vaisseau ultramoderne bâti sur la pointe de l’ile Séguin, jadis siège des usines Renault (dont rien ne subsiste), on repère de loin sa grosse sphère vitrée sur structure de bois surmontée d’un arc de cercle rotatif portant des panneaux photovoltaïques suivant la course du soleil : table rase du passé industriel et ouvrier pour un édifice comme les aiment les élus, ceux du Conseil Départemental des Hauts-de-Seine en l’occurrence qui ont voulu cet équipement culturel à 170 millions d’euros.

Hélas, par sa conception même, La Seine Musicale est potentiellement inaccessible aux usagers et spectateurs handicapés moteurs ! L’accès à l’île Séguin est exclusivement piéton en empruntant un pont fermé à la circulation dont la pente n’est pas franchissable sans aide par une personne en fauteuil roulant manuel. Aucune place de stationnement à moins de 500 mètres, pas d’emplacement réservé à moins de 600 mètres, avec toutefois un parking payant (cher et sans forfait spectacle) sous le pont. Un ascenseur dessert bien ce parking, le niveau rue et le sommet du pont, mais il est obsolète et peu fiable. « Je ne vais pas vous mentir, je l’ai déjà vu en panne », confie Lydie Sierra, en charge des grands projets culturels pour le département des Hauts-de-Seine. Pourtant, une procédure de dépose-minute est prévue, mais l’information n’est pas communiquée au public. Les personnes handicapées qui ont déjà vécu cette situation savent qu’attendre que leur conducteur-accompagnateur aille stationner au loin puis revienne à pied à de quoi inciter à sortir dans un autre lieu mieux accessible… Il ne manque pourtant pas de place pour créer des stationnements réservés, mais c’est la compétence de la ville de Boulogne-Billancourt, plus précisément de sa Société Publique Locale Val de Seine Aménagement qui n’a pas été saisie du problème, confirme le directeur de La Seine Musicale, Olivier Haber.

billetterie de La Seine Musicale.

Si le parvis est équipé d’un fil d’Ariane, ligne de pavés plus foncés et rugueux destinée à guider les visiteurs utilisant une canne blanche, il n’est ni détectable ni repérable depuis le trottoir du pont. Sur son parcours est installée une borne d’information multisensorielle (sonore, texte en noir et braille, plan du site imprimé et relief) mais le fil d’Ariane ne la signale pas. « Une borne sonore déclenchée par la télécommande pour feux sonores informe les visiteurs aveugles », précise la chargée des publics handicapés… laquelle ne possède pas une telle télécommande, ce qui ne lui permet pas de vérifier que ladite borne fonctionne correctement. « Où se trouve l’entrée ? « , demande une visiteuse pourtant voyante qui ne parvient pas à la repérer faute de signalétique. On lui montre la porte rotative nantie d’un bouton ralentisseur pour fauteuil roulant, au tambour bien trop étroit, en conséquence de quoi l’accès s’effectue par une autre porte qui ne s’ouvre que depuis l’intérieur ! Revenons au guidage podotactile qui longe le parvis jusqu’à, vers la gauche, l’accès au jardin situé sur le toit du bâtiment (sans signalétique pour l’ascenseur PMR), et sur la droite une porte robotisée commandée par un bouton à marquage braille… que le visiteur aveugle devra trouver en ne sachant pas où il est implanté. Derrière cette porte, le guidage podotactile est formé de lignes contrastées mais déjà en partie gommées. Il conduit à une billetterie hors-norme : pas de boucle à induction magnétique pour recevoir les clients malentendants appareillés, aucune formation du personnel pour placer au mieux les spectateurs déficients sensoriels dans les deux salles de spectacle, et probablement la seule ouverte ces derniers mois en France à ne pas comporter le comptoir abaissé pourtant obligatoire depuis une vingtaine d’années. « Il est sur le côté droit », explique la chargée des publics handicapés, désignant l’abattant qui permet au personnel d’accéder aux postes de travail implantés à l’opposé…

Auditorium de La Seine Musicale.

Haute Qualité d’Usage… sur le papier.

Ce que confirme Marie-Laure Fenech, chargée d’études pour le Centre de Recherche pour l’Inclusion des Différences dans les Espaces de Vie (Cridev), bureau d’études créé par Régis Herbin qui délivre le label Haute Qualité d’Usage. Sauf que l’espace manque pour installer un poste de travail. « La Seine Musicale n’est pas encore labellisée, poursuit Marie-Laure Fenech, notre mission d’assistance à maitrise d’ouvrage n’est pas terminée, nous attendons la réception de certains éléments. » L’établissement a en effet ouvert au public sans que l’accueil des spectateurs handicapés soit finalisé, les aménagements et services adaptés mis en place. Tel le vaste pupitre multisensoriel de la billetterie dont la partie sonore n’a pas été installée, alors qu’elle est censée donner aux usagers déficients visuels de nombreuses informations sur leur déambulation dans le bâtiment. Quand ces équipements seront en place, probablement à l’automne prochain, le Cridev fournira à La Seine Musicale un mode d’emploi et de maintenance, sorte de guide dont le respect des règles doit maintenir au fil du temps la Haute Qualité d’Usage. Reste que ce label sera délivré à un établissement potentiellement inaccessible : « Le pont de Boulogne n’est pas inclus dans le projet, explique Marie-Laure Fenech. Le pont côté Meudon est accessible. Lorsqu’une personne le demande, il y a un dépose-minute. De plus il existe un projet de troisième pont depuis le métro [inaccessible NDLR] et le terminus des bus, qui sera accessible. D’autres éléments sont en cours de négociation. On a eu quelques questionnements, même si aujourd’hui on n’est pas en totale autonomie. »

Bien d’autres incohérences seront à traiter. Si des emplacements sans siège au sol sont bien prévus pour les spectateurs en fauteuil roulant, l’accompagnateur peut se trouver à côté… ou déporté, selon l’implantation des places achetées. La tarification n’est pas simple : la plus grande partie des spectacles est « accueillie » et leur promoteur a la pleine liberté des tarifs. Pour les représentations programmées sous l’égide du Conseil Départemental dans le cadre de sa mission culturelle, un tarif réduit est prévu pour les titulaires de la carte d’invalidité ou mobilité inclusion. Problème : à la question posée par mél à la billetterie, un employé a répondu « Il n’y a pas de tarif spécifique », sans davantage de précision, mais un autre employé, à la billetterie « physique », répond le contraire ! La faute à un système « à étage », des employés sur place et d’autres chez un prestataire qui gère la réservation web et téléphonique. Autre problème : les spectateurs en fauteuil roulant ne peuvent pas réserver sur le web, et personne ne répond au téléphone, avec comme conséquence que les spectateurs en fauteuil roulant qui ont acheté des places standards pour les premiers concerts ont été « casés » dans les emplacements spécifiques lors de leur entrée dans les salles !

D’autres errements parsèment le bâtiment : signalétique en très grands caractères mais sans contraste, pictogramme des toilettes quasi-invisible, rupture de guidage entre bandes podotactiles de la rue intérieure et mains courantes braille des escaliers, boucles magnétiques et casques amplificateurs pas installés. Le chemin vers la Haute Qualité d’Usage est encore long…

Laurent Lejard, juin 2017.

NB : Visite effectuée le 18 mai 2017.

PS : Un être humain répond au téléphone (01 74 34 53 54) de la billetterie PMR depuis le 1er juin mais quand on l’interroge sur l’accessibilité, il évoque l’accès piéton par le pont Renault et la présence d’un parking payant, mais pas la dépose-minute. Mais il devient enfin possible pour les clients handicapés de réserver des places adaptées…

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