La famille propriétaire de la société anonyme Moussaron (371.000€ de bénéfice en 2015) bénéficiant de l’agrément d’exploitation d’un institut médico-éducatif à Condom (Gers) avait pris l’habitude de licencier les employés qui osaient dénoncer les conditions d’éducation et d’hébergement des pensionnaires. Par trois fois, licenciements pour faute et poursuites en diffamation, par deux fois condamnation des récalcitrants par le tribunal correctionnel. Pourtant, dès 1997 une inspection menée par l’Administration avait relevé des lacunes qui n’avaient pas été corrigées lors des suivantes, à tel point que l’Agence Régionale de Santé a qualifié cette accumulation de « graves dysfonctionnements » et « maltraitance institutionnelle » dans son rapport d’inspection de juillet 2013. Pourtant, les propriétaires gérants de l’établissement n’ont jamais été inquiétés; au contraire, ils ont obtenu la condamnation des premiers lanceurs d’alerte, et poursuivi leurs activités comme si de rien n’était.

Les voilà enfin déboutés de leur troisième poursuite : le Tribunal de Grande instance de Toulouse (Haute-Garonne) a relaxé le 21 novembre dernier Céline Boussié, aide médico-psychologique pendant sept ans au sein de l’établissement : « J’ai fait mon devoir, même si on m’a reproché d’avoir attendu six ans, mais c’était difficile. Je me réjouis pour les enfants, la justice a reconnu que ces enfants étaient maltraités; mais de l’intérieur plus rien ne filtre. Moi je ne regrette rien, mais quand on voit le parcours que j’ai subi pour dénoncer ces actes, alors que je pouvais être condamnée pour non-dénonciation… » Comme tous les salariés d’établissements médico-sociaux qui constatent au quotidien des actes de maltraitance trouvant leur origine dans la gestion et le management, elle était prise entre deux feux : les signaler à la tutelle administrative au risque d’être sanctionnée par la direction, ou se taire en se rendant coupable de non-dénonciation d’actes de maltraitance, de violence. Elle a choisi la première voie… et a été licenciée sans indemnité, poursuivie en diffamation, harcelée dans sa vie privée. La voilà lavée de ces ignominies par la justice.

« C’est le premier jugement de relaxe du grief de diffamation sur la base des règles de protection des lanceurs d’alerte, apprécie l’avocat Fiodor Rilov, défenseur de Céline Boussié. Elle a été très courageuse, dénoncé des faits choquants. On lui a fait justice, pas seulement pour Moussaron, mais aussi pour des milliers d’enfants handicapés. » Cette première relaxe d’une lanceuse d’alerte en préfigure-t-elle d’autres ? On ne peut que l’espérer. Parce que le comportement des directions d’établissements recevant des enfants et des jeunes, handicapés ou en difficultés sociales, reste le même ainsi que viennent de le vivre quelques Girondins : la direction du centre départemental de l’enfance et de la famille (CDEF) d’Eysines, près de Bordeaux (Gironde) a récemment sanctionné des éducateurs qui avaient publiquement dénoncé les maltraitances, violences en tous genres, et même des viols commis entre pensionnaires. Faute d’agir pour traiter les problèmes, la tutelle départementale a préféré punir des salariés qui « ont manqué à leur obligation de discrétion professionnelle » !

Quel avenir pour Moussaron ? Ni la gérante de la société anonyme Maison d’enfants Moussaron ni son avocat n’ont voulu s’exprimer sur cette affaire et préciser s’ils feraient appel de la relaxe de Céline Boussié et d’une journaliste également poursuive. La capacité d’accueil de l’établissement a été réduite de près de la moitié par la tutelle (40 lits contre 85 en 2013). Après une phase de mise sous administration provisoire, la famille propriétaire a recouvré la pleine gestion de l’établissement. Des rumeurs de cession de l’agrément et de vente des bâtiments de Moussaron circulent. L’Agence Régionale de Santé demeure inerte, alors qu’elle avait le droit (et le devoir) de poursuivre en justice les « graves dysfonctionnements » et la « maltraitance institutionnelle » qu’elle a constatés. La loi du silence a longtemps prévalu dans les établissements médico-sociaux, que des lanceurs d’alerte parviennent à briser en lieu et place de l’Administration qui a, certes, le devoir de protéger les populations, mais n’en a toujours pas le courage.

Laurent Lejard, décembre 2017.

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